Les Lignes de Tidiane Kassé
C’était flou et vague. C’est devenu plus précis et plus troublant. Vendredi passé, on s’inquiétait de l’imprécision entourant la date de livraison du stade Senghor, en prévision de Sénégal-Egypte du 6 septembre. Mi-août, disait le secrétaire général du ministère des Sports. C’est-à-dire une date accrochée nulle part. Un point qui peut naviguer sur le calendrier avec plus ou moins cinq jours, voire plus ou moins dix jours. En matière d’infidélités faites au temps, dans un pays où fonctionner à l’heure est une forme de ringardise, on serait toujours loin de la dose mortelle.
On pouvait donc aller vers mi-août sans jamais savoir à quel rendez-vous se présenter pour récupérer les clés du stade Leopold Sedar Senghor. Les esprits sensés iraient les demander le 15 août. Mais c’est un vendredi. Une journée que les priorités religieuses rendent trop courte et dont on peut aisément différer les urgences au lundi. En plus, c’est l’Assomption et le début d’un long weekend… Qu’importe, les 16, 17 ou 18 août sont dans la bonne fourchette.
On peut le dire maintenant : allez vaquer à autre chose.
Quand le responsable des travaux sur la pelouse de Senghor a posé son doigt sur l’agenda, «mi-août» est devenu fin août. Précisément, le «29 août au plus tard», (voir L’As de samedi). Et puisqu’il n’a pas dit le «plus tôt», on en restera probablement là. En la matière, qui peut le plus, ne peut pas toujours le moins. On sera alors à une semaine de Sénégal-Egypte. Terrible défi.
De la manière dont se gèrent les échéances et les incertitudes qui vont avec, c’est comme si on demandait à la Nasa de poser un véhicule spatial sur Jupiter, en visant un site d’atterrissage de 10 mètres carrés, aux flancs d’un ravin. Car la pelouse de Senghor n’est que le couvert, sur une table où tout le service est à restaurer ou à remplacer, avec les projecteurs, la toiture et autres menus détails indispensables pour faire de ce stade un lieu fréquentable.
Dans trois mois, la date butoir attend. On espère que cela ne sera pas celle d’une faillite programmée. Car aucun recul n’est possible par rapport à fin août, aucune alternative n’est acceptable. Le samedi 6 septembre, il faudra que Sénégal-Egypte se joue au stade Senghor. Coûte que coûte.
Ce «coûte que coûte» ne signifie pas dans n’importe quelles conditions. Il s’agit d’une exigence de qualité de surface de jeu, de confort et de sécurité pour le public, d’aisance au niveau des annexes utilisées par les équipes et autres acteurs.
Quand on se trouve ainsi dans une course contre des objectifs non négociables, le plus important n’est pas dans l’échéance finale. C’est dans les étapes intermédiaires que se situent les défis. Avec des check-lists calées jusque dans les moindres détails. Mais aussi une responsabilité de décision à faire prévaloir à chaque date repère, par rapport au temps qui reste et du possible à faire dans le respect des délais.
Le pire, dès lors, est de s’enfoncer dans le mensonge du temps, de camoufler l’impossible derrière l’hypocrisie des vaines promesses. Pour, au final, devant l’échec, chercher à se soulager à travers des justificatifs creux et des transferts de responsabilités.
Lambiner jusqu’à ce que les réparations du stade Senghor, qui attendent depuis un an et demi, tombent dans le registre des urgences extrêmes, constitue déjà une faillite. Ne pas rattraper le temps perdu serait une faute lourde. Mais n’ayant pas constaté qu’on est capable du meilleur dans la prise en charge de ce dossier, rien n’interdit de penser au pire.
Les précipitations actuelles ne témoignent pas d’une diligence ; elles traduisent l’incapacité à travailler dans le temps. La suite édifiera.
Quand les inspecteurs de la Caf sont passés, il y a un mois, les recommandations qu’ils ont laissées, pour faire du stade Senghor un endroit digne des compétitions internationales, ne relèvent pas de travaux d’Hercules. Elles n’appellent pas des acquisitions démentielles.
On a un stade vieux d’un quart de siècle. Un prêt-à-porter chinois dont on trouve les copies conformes un peu partout en Afrique, depuis que Pékin a construit son premier stade sur le continent en Tanzanie, en 1970. Une cuvette qui n’a rien à voir avec les beautés architecturales qui ont rang de monuments dans certaines villes du monde. Mais Senghor a le mérite d’offrir une base de dignité sportive. On peut sauver la face avec. Une sorte de mbañ gace dans un pays où l’indigence en infrastructures sportives, aussi bien au plan qualitatif que quantitatif, est d’une honte profonde.
Cela rappelle les «fonds de malle» qu’on portait chez le tailleur pour une retouche, lors des grandes occases. On pouvait faire le pied de grue jusqu’à minuit, mais il fallait que le pli soit droit. Qu’importe le temps qui reste pour Léopold Senghor, il faut qu’on soit à la bonne heure, le 6 septembre.
Waasport