Il est sans nul doute l’un des Sénégalais les plus célèbres du landernau sportif. Journaliste, agent de joueurs, président de l’OM et aujourd’hui enseignant en journalisme, Pape Diouf est un expert sportif réputé. Pour Stades, l’auteur de C’est bien plus qu’un jeu jette un oeil sur le football sénégalais. Entretien
Vous êtes au Sénégal depuis quelque temps, avez-vous suivi la finale de la Coupe nationale entre l’AS Pikine et l’Olympique de Ngor ?
J’avoue que je ne l’ai pas suivie intégralement. Mais j’ai quand même pu voir quelques images, mais aussi quelques commentaires. C’est toujours passionnant de voir de nouvelles équipes disputer les trophées les plus prestigieux du pays. Je dois dire quand même que j’avais laissé ici les écuries historiques comme la Jeanne d’Arc de Dakar, l’US Gorée, le Jaraaf, les équipes saint-louisiennes comme la Linguère et autres. Aujourd’hui quand c’est une équipe comme Pikine qui fait le doublé (Coupe- Championnat) au Sénégal, je reste assez admiratif.
Quelle appréciation portez vous sur le football professionnel sénégalais qui a bouclé sa sixième année ?
Je vais me répéter. J’ai toujours dit que le football professionnel n’était pas viable en Afrique. Le professionnalisme requiert tant de choses que notre football d’aujourd’hui ne peut pas présenter. Pour qu’un football professionnel puisse vivre, se crédibiliser, il lui faut des clubs forts, avec des finances saines. Les joueurs se plaignent, car n’ayant pas reçu de salaires, des salaires qui n’atteignent pas un niveau extraordinaire. Le sponsoring ne peut pas répondre de manière significative dans la mesure où qui dit sponsoring dit donnant-donnant. Or, je dirais que tous les éléments sont au ralenti. Tout est à l’arrêt. Je pense que le football n’a pas à gagner en s’instituant professionnel, alors que rien dans sa réalité ne justifie cette appellation. Quand on regarde le football sénégalais aujourd’hui, il n’y a pas une star, une seule vedette dans le championnat. Or, pour que le professionnalisme soit visible, il faut des leaders, aussi bien au niveau des joueurs qu’au niveau des clubs. Mais, dès qu’un jeune émerge, il s’en va. Ce qui fait que toutes nos dernières vedettes ont été formées dans les championnats professionnels européens et pas ici.
Des dirigeants de clubs et de la Ligue pro sollicitent un accompagnement de l’État. Qu’en pensez-vous ?
Cela me fait sourire. Nous sommes dans un pays où les priorités sont nombreuses, beaucoup de secteurs requièrent d’autres urgences que le football. Penser que le football peut se développer isolément des autres secteurs, c’est se leurrer. Penser que l’État doit aider le football et non pas les autres secteurs, c’est également se leurrer. Quand des gens décident de créer une activité privée, commerciale, il leur revient à eux de trouver les financements, d’organiser leur business. On ne peut pas ouvrir une boutique et demander l’aide de l’État. Aujourd’hui, l’État a d’autres priorités que de se pencher sur le berceau du football. Même s’il a comme devoir régalien de doter le pays d’infrastructures, de structures propres à la pratique du sport, en l’occurrence du football. On peut considérer qu’un peuple qui fait du sport est un peuple qui répond à une certaine sécurité sanitaire. De ce point de vue-là, oui, c’est dans les attributions de l’État. Mais c’est se tromper que de demander que l’État vienne financer un professionnalisme qui est une activité privée. Que diraient alors les spécialistes de la santé, de l’éducation, de la culture ? Eux aussi ont besoin d’aide. Je pense qu’il faut être sérieux en ne demandant pas à l’État ce qu’il ne peut pas donner.
Pourtant, ailleurs en Afrique, le football professionnel fait des résultats. Au Maghreb, en Égypte ou en RD Congo avec Vita Club et TP Mazembe…
Au Maghreb, c’est une vieille tradition. On peut y trouver des clubs forts, puissants. Mais ce n’est pas forcément du professionnalisme. Il y a une bonne organisation qui permet à ces équipes de conserver leurs meilleurs joueurs. L’Algérie au Mondial, c’est une équipe avec des joueurs presque tous issus des clubs français. Il n’y a que l’Égypte qui a pu garder ses joueurs. Il ne faut pas se leurrer. Ceux qui connaissent les pays du Maghreb savent qu’ils ont un niveau de développement que nous n’avons pas. Vous parlez du Congo. Il y a le TP Mazembe qui est à mon avis l’exception à la règle. Le président du club, Moise Katumbi, qui est également le gouverneur de la province du Katanga, est un mécène. Parce qu’en Afrique, il faut plutôt parler de mécénat que de sponsoring. Katumbi a su tirer profit du mécénat, puisque le TP Mazembe a pu gagner la Ligue des champions. Le club a créé un grand engouement sur le plan local. Et donc, il parvient à garder des joueurs quasiment payés à des tarifs du football professionnel européen. Il y a des garçons qui émargent à plus de 20 000 euros (13 millions FCFA) par mois. Si vous faites la comparaison avec ce qui se fait dans certains pays comme le Sénégal ou des pays voisins, il y a quand même matière à réfléchir. Donc, je ne pense pas que la comparaison soit bonne, d’autant que comparaison n’est pas raison. Je pense que dans cette affaire, le TP Mazembe a su avoir un mécène avant de passer à un statut semiprofessionnel. J’ai été là-bas, invité par le président du club qui m’a fait visiter les installations du club que je trouve magnifiques avec notamment un stade à l’anglaise avec des supporters éduqués. Il a même doté le club d’un avion personnel, car ayant compris qu’en Afrique, les déplacements constituent les obstacles majeurs. Il a eu des moyens que d’autres n’ont pas. Son travail a intéressé pas mal de sociétés qui sont allées jusqu’à nouer un sponsoring. Quand dans une région tout le monde s’intéresse à un club, tout le monde va au stade, les sociétés savent qu’elles peuvent en tirer quelque chose. Mais quand je suis une compagnie ou une personne morale et que je veuille soutenir des équipes et qu’il n’y a pas de retour, cela ne peut pas marcher.
Parlons de l’équipe du Sénégal qui s’apprête à disputer les éliminatoires de la CAN 2015. Face à des adversaires qui ont des ossatures locales, n’y a-t-il pas d’inquiétudes pour les Lions dans un contexte de reprise des championnats européens ?
Des appréhensions, on peut toujours en avoir. Mais des inquiétudes, il faut toujours en avoir aussi. Rien n’est jamais acquis. Rien ne ressemble moins à un match de football qu’un autre match de football. Ce groupe (G avec l’Égypte, le Botswana et la Tunisie) reste jouable pour le Sénégal, mais il est loin d’être joué, tout peut arriver. Il faut déjà bien démarrer, que les joueurs soient super concentrés, mais que la réussite accompagne l’action. Émettre un jugement a priori relèverait peutêtre de l’imprudence mais, je pense que dans ce groupe, le Sénégal a son mot à dire. De quelle manière il le dira ? Je ne sais pas. Rien n’est plus difficile que de faire un pronostic. La dernière Coupe du monde est là pour nous le démontrer. Le match Brésil / Allemagne ne s’est pas passé comme prévu pour beaucoup de pronostiqueurs. Ne l’oublions pas, le Sénégal est en phase de reconstruction. Il faudra mettre définitivement un mouchoir sur la génération dorée de 2002, c’est– à-dire les Diouf, Diao, Fadiga et autres. C’est fini avec cette génération. Le Sénégal a besoin de reconstituer, de solidifier, plutôt que d’avoir des prétentions tout de suite gourmandes.
Est-ce une prétention gourmande que d’ambitionner de se qualifier pour la CAN 2015 ?
Le fait de ne pas se qualifier à la dernière CAN situe le Sénégal en dehors des 16 meilleures équipes africaines. De manière brutale, on peut le dire comme ça. Même si on sait que, parfois, la constitution des poules peut faire varier des résultats, leur donner des significations qu’il convient de nuancer. Dans la hiérarchie, le Sénégal se trouve au milieu des équipes qui ont un potentiel, qui peuvent, avec la réussite, se hisser pas loin des meilleures. Mais il faut effectivement cette dose de chance. Se qualifier pour la CAN serait une bonne chose. Peut-être qu’avec une qualification, il y aura matière à aiguiser les appétits. Selon le groupe dans lequel le Sénégal tombera, il pourrait avoir l’ambition d’aller le plus loin possible. L’ambition n’est jamais interdite, mais il faut simplement savoir faire la part des choses. Mais être ambitieux, c’est aller le plus loin possible, dans ce qu’on a comme potentiel et le plus longtemps possible. Je pense que le Sénégal peut remplir sa mission.
Est-ce que Pape Diouf est prêt à apporter sa pierre à l’édifice du sport sénégalais, du football en particulier ?
À chaque fois que l’on a fait appel à moi, j’ai toujours répondu présent. Et je pense que cela date de très longtemps. Maintenant, je me refuse de me présenter comme Tarzan, d’Artagnan ou comme quelqu’un qui aurait une baguette magique. Je suis quelqu’un qui a une expérience certaine mais d’autres ont aussi leur expérience. Et la place qui est la mienne est celle du dialogue, celle de l’échange avec d’autres qui se dévouent corps et âme pour le sport, dans le sacrifice parfois. Échanger avec ces gens-là de manière à voir ensemble ce qu’il y a de mieux à faire. Je crois qu’aujourd’hui, le sport sénégalais, et plus particulièrement le football sénégalais, a besoin d’un diagnostic dur. On ne peut pas soigner un mal, quand on ne le diagnostique pas clairement. Je crois que les théories les plus savantes, les démarches les plus pointues sont vouées à l’échec si un diagnostic clair, tenant compte de la réalité locale, n’est pas fait. Sinon tout ce qui sera fait sera un échec. Un diagnostic clair, qui ne tiendrait pas compte des antagonismes ou des positions qu’on a envie de défendre ; un diagnostic qui ne tiendrait compte que de l’intérêt des Sénégalais en général et du football en particulier. Il faut avoir du courage et reconnaître qu’aujourd’hui il n’y a pas grand monde au stade, pourquoi il n’y a pas un grand public ? Nous vivons une concurrence féroce, avec une diffusion par les télévisions de matchs autrement plus intéressants pour le public sénégalais. Il y a quand même des gens qui se battent. Quelqu’un comme Mathieu Chupin qui a créé un club (Dakar Sacré-Coeur), avec de bonnes installations. Ce n’est pas rien, c’est un exemple concret, une initiative à encourager, à saluer. Le vrai problème consiste en l’absence d’un diagnostic sérieux du sport sénégalais. Le football en a besoin. Et pourtant, à mon sens, il y a au Sénégal des gens très clairvoyants. C’est à ces gens-là qu’il revient aujourd’hui d’établir ce diagnostic.
Marseille dont vous avez le président il y a quelques années connaît un difficile début de championnat…
Un début de championnat difficile ne veut pas dire que le championnat ne sera pas réussi à l’arrivée. C’est la première chose qu’il faut dire. Aujourd’hui, je pense qu’il y a des remarques qu’on peut faire sur l’OM. La première est qu’on ne nous a parlé que de Bielsa. On nous a rabattus les oreilles avec Bielsa depuis plusieurs semaines, à nous faire oublier que l’Olympique de Marseille avait échoué la saison dernière. Que l’équipe a terminé à la 6ème place et que depuis 10 ans, c’est la première fois qu’elle ne se qualifie pas en compétition européenne. On l’a oublié, car l’arrivée de Bielsa avait masqué tout. Penser qu’un entraîneur peut fondamentalement changer la vie d’un club et d’une équipe, c’est se leurrer. Si telle était la réalité, il n’y aurait pas besoin d’aller chercher des joueurs chers. Il suffirait de prendre un entraîneur situé dans la haute hiérarchie, de lui donner un bon salaire et on est toujours gagnant. Ce n’est pas comme ça. À supposer même que Bielsa termine à la deuxième place du championnat, ce qui serait un excellent résultat. Mais il aura réussi à faire ce qu’Elie Baup avait réussi il y a deux ans. Maintenant s’il est champion, on pourra commencer à parler de «sorcier». Un entraîneur est utile dans une communauté de football, mais ce n’est pas la pièce définitive. Il est une des pièces importantes, mais pas celle qui change tout. Et croyez-moi, si j’étais le président du Jaraaf ou de l’AS Pikine et qu’on doive me prêter Mourinho ou Messi pendant six mois, je choisirais qu’on me prête Messi. Il y a de fortes chances qu’il me change la vie en six mois, plus que Mourinho. Mon sentiment est qu’aujourd’hui à l’OM, on ne sait pas comment la saison va se terminer. Mais faire croire que la seule présence de Bielsa suffisait pour changer la donne, je pense que c’est prendre les gens pour des canards sauvages.