Au crépuscule de sa carrière, Demba Bâ se rend de plus en plus à l’évidence. S’il se dit heureux de son parcours de footballeur, l’attaquant de Basaksehir (Super Lig turque) reconnaît que son parcours n’a pas été un fleuve tranquille. A 34 berges, le natif de Sèvres est d’avis que s’il n’a pas connu une grande carrière internationale, c’est parce qu’il a commis beaucoup d’erreurs. Même s’il ne veut jeter l’anathème sur personne.
Demba, vous allez croiser Copenhague en quart de finale de l’Europa League. Pouvons-nous dire que c’est déjà fait?
Non, pas du tout. Comment on peut dire ça, sachant que Copenhague a sorti le Celtic Glasgow. Ça ne sera pas du tout facile et on n’a pas à dormir sur nos lauriers. C’est une autre paire de manches qui nous attend.
Et surtout un duel sénégalo-sénégalais entre vous et Dame Ndoye ?
Bien sûr, lui c’est mon pote. Quand j’ai vu le tirage, je l’ai appelé il n’a pas décroché. Je sais qu’il a peur (éclats de rires). On se croisera, il n’a pas à me fuir.
Que ressentez-vous après cette qualification de Basaksehir ?
Je suis très content pour ce club qui n’a jamais connu ce genre de succès dans son histoire. Si on est là, c’est pour aider Basaksehir à écrire les plus belles pages de son histoire. Ça fait énormément plaisir.
Pensez-vous qu’à 34 ans, vous êtes dans le bon club au bon moment ?
Il me reste quelques années dans le football. J’en profite et j’aime bien ce pays qui est la Turquie. Pour mes dernières années de football, j’en profiterai pour donner le meilleur de moi-même.
A quand votre fin de carrière ?
Vous savez, je ne joue pas pour de l’argent, c’est parce que j’aime bien ce sport. J’en ai donné la preuve. Je sors de deux fractures tibia-péroné dont une à 30 ans, et pourtant je continue à jouer à ce niveau-là. Tous les jours, je fais de sacrifices pour rester sur cette dynamique et Allah me facilite tout cela. Ce n’est pas pour l’argent, c’est plutôt par amour.
A 34 ans vous n’avez, semble-t-il, toujours pas renoncé à la Tanière…
(Il soupire). Vous savez, j’aime le football et j’aime bien représenter mon pays. Aujourd’hui, on connaît tous les choix d’Aliou Cissé et sur quoi il se base. Maintenant, si lui demain, il m’appelle et me dit : «Eh Demba j’ai besoin de toi pour gérer les petits», je discuterais avec lui. Et, vous savez, ma position par rapport à ça.
Pourquoi entre vous et les différents coachs, l’histoire se termine toujours mal ?
Je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire. Peut-être que c’est de ma faute. Je ne vais pas la rejeter sur les autres. Après, Demba Bâ a son caractère et je ne pense pas que ce soit un mauvais caractère. Quand je vois des choses qui ne sont pas justes, je ne peux pas me taire (Il se répète). C’est comme ça qu’on avance dans la vie. Si j’ai eu la carrière que j’ai eue, c’est parce que j’ai d’abord été honnête avec moi avant de l’être avec les autres. Et, quand je vois des choses qui sont injustes en termes de football, je ne peux pas me taire, sous prétexte que de garder une bonne relation avec un tel ou un tel, ou alors ça va nous servir financièrement ou politiquement. Non, non je ne peux pas.
Pourquoi Demba Ba dérange ?
Parce que je dis la vérité. Ce sont mes vérités, je ne dis pas que c’est la vérité absolue, c’est ma vérité. Quand je vois certaines choses se passer sous mes yeux, je vous le dis, je ne peux pas me taire. Ce n’est pas moi. Dans l’Islam, le Prophète (PSL) dit qu’il faut combattre l’injustice par la main, si tu peux, sinon par la bouche. Et si tu ne peux pas, par le cœur. C’est dans tous les domaines. En tant que musulman, c’est l’Islam qui régit notre vie. Quand on se réveille, en tant que musulman, on regarde les heures de prières. C’est en fonction de cela qu’on planifie notre journée. C’est comme ça que je vis. Je fais de mon mieux. Je fais des erreurs, c’est vrai. Et si j’ai pu blesser certaines personnes, je m’en excuse.
Mais Demba, à l’époque, n’aviez-vous pas franchi le Rubicon en vous attaquant directement au ministre des Sports et au président de la Fédération ?
Qu’est-ce que j’avais dit à l’époque ? Ah c’est vrai. Mais je ne l’avais pas dit comme ça. Mais dis-moi, ce qui s’était passé c’était du mensonge ou pas ? Laissez-moi reformuler ce que j’avais dit.
Oui, allez-y…
Quand le ministre vient vous voir et vous dit «on n’a pas l’argent pour payer vos primes de matches». Et, après le débat, l’argent est disponible en l’espace de 30 minutes. Cela veut dire quoi ? Je vous pose la question.
C’est pour ça que vous dites que c’est du mensonge ?
C’est ce que j’ai ressenti. Quand quelqu’un vient me voir pour dire qu’il n’y a pas d’argent. Au bout de 30 minutes, tout le monde touche son enveloppe. Comment ont-ils réussi à débloquer autant de millions en 30 minutes, dans un pays étranger, à 23 heures, le soir ?
Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, surtout ici, en Afrique. Etes-vous d’accord avec moi ?
Non. Je pense que toute vérité est bonne à dire. C’est la façon de le faire qui compte le plus. Peut-être que ce jour-là, je n’avais pas utilisé la bonne manière.
Et pourquoi vous ne vous êtes pas excusé après ?
M’excuser de quoi ? D’avoir dit la vérité ?
Non, mais de ne l’avoir pas fait avec la manière qu’il fallait.
On ne s’excuse pas de n’avoir pas mis la bonne manière. On s’excuse quand on fait une chose grave. Je ne suis pas quelqu’un qui a de l’ego. Les gens du ministère et de la fédé, ce sont quand même mes aînés. Ce jour-là, s’il y a une chose que je n’ai pas respectée, c’est la hiérarchie par rapport à l’âge. Ces gens-là peuvent être des oncles à moi. Si j’avais des excuses à faire, ce serait de n’avoir pas respecté cette culture africaine et sénégalaise de parler de bonne manière avec les personnes plus âgées que nous.
Alors au-delà de tout ça, n’avez-vous pas eu des regrets sur votre carrière en équipe nationale, après 10 ans pour seulement 4 buts ?
C’est ce que je t’ai dit en début de conversation. Vous m’aviez demandé pourquoi j’avais des problèmes avec tous les coaches qui sont passés en équipe nationale. Sauf Amara Traoré, bien sûr. Nous entretenons de très bonnes relations. C’est une personne très honnête. Alors, malgré ses dix ans, il faut aussi compter le nombre de matches et le nombre d’entraîneurs qui sont passés. Mais, comme je l’avais dit, je me suis remis en question. Je n’en veux à personne d’autre qu’à moi-même. Il faut savoir une chose : l’impact d’un joueur dans un groupe va au-delà du nombre de buts qu’il a marqués. Malheureusement, c’est un paramètre qui est très peu quantifiable.
Justement, vous étiez le porte-drapeau des binationaux dans la Tanière. Parlez-nous un peu du rôle que vous avez joué à l’intérieur ?
Déjà, je ne pensais pas être le porte-drapeau des binationaux. Il y a une chose aussi qu’il faudrait qu’on arrête, au Sénégal. S’il y a un joueur qui décide de défendre l’équipe nationale du Sénégal comme sa nationalité sportive, il ne faut pas le taxer de binational. Il faut arrêter avec ça. C’est un Sénégalais point. Il y a des binationaux qui connaissent plus la culture sénégalaise que certains qui sont nés au Sénégal. Il y en a d’autres qui aiment plus le drapeau du Sénégal que ceux qui sont nés au pays. Dans un sens, le binational a plus de mérite. Parce que lui, il a eu le choix, et il a choisi le Sénégal. Ceux qui sont nés au Sénégal, s’ils avaient le choix de représenter une autre sélection que le Sénégal, est-ce qu’ils vont rester pour jouer avec le Sénégal ? Peut-être oui, peut-être non. On ne le saura jamais. Par exemple, qui parle de l’équipe d’Espagne, parle de plus de notoriété, plus de revenus, une valeur marchande plus élevée sur le marché, plus de chances sur les transferts et les salaires. Il y a des gens qui vont succomber à ça. Et s’ils ont la possibilité, on ne peut leur en vouloir. Pourquoi quelqu’un qui est né sur le sol sénégalais se sentirait plus Sénégalais que celui qui est né ailleurs. Cela ne veut rien dire. On doit arrêter ce débat de binational à partir du moment où le joueur a choisi de jouer pour le Sénégal. Il est Sénégalais à part entière tout comme celui qui n’a pas eu à faire ce choix-là.
Revenons à la question…
Pour revenir à votre question, je n’étais le porte-drapeau de personne. J’ai toujours voulu unifier. C’est dans mon caractère. Pour jouer dans une même équipe, on n’a pas besoin de s’aimer ou de s’apprécier. On n’a pas besoin d’aller ensemble au resto tous les soirs, ou de s’appeler chaque jour au téléphone. On n’a même pas besoin de se parler quand on est en regroupement. Mais quand on est sur le terrain, on a qu’un seul objectif : c’est la fierté du Sénégal.
Préparez-vous votre reconversion ? Vous investissez dans quoi aujourd’hui ?
(Eclats de rires). J’investis dans moi. J’apprends beaucoup de choses. Je suis animé par tout ce qui touche à la psychologie. J’aime bien essayer de savoir le fonctionnement de l’être humain et du cerveau humain. Et je pense que j’utiliserai ces connaissances là pour aider ce qui veulent faire carrière à obtenir une grande carrière.
Passez-vous des diplômes pour devenir entraîneur ?
Non, pas encore. Je suis tout simplement dans une phase d’apprentissage de plusieurs techniques qui pourraient aider une personne à se développer en tant qu’être humain et en tant qu’athlète. On peut être fort, avoir des muscles, courir vite… mais qu’est-ce qui contrôle tout ça ? Le cerveau. Ah, vous avez compris. Si on contrôle le cerveau, cela veut dire qu’on contrôle le reste aussi. J’essaie d’apprendre une nouvelle approche différente de ce qu’on voit aujourd’hui. Avec des idées novatrices et j’espère que cela va fonctionner.
Vous n’êtes pas dans le secteur de l’immobilier ?
Oui, comme tous les autres joueurs. C’est un peu une rente annuelle qui est plus garantie que certains domaines. Mais ce n’est pas quelque chose qui anime une personne. Ce n’est pas une passion. Je veux juste, qu’après le football, je puisse avoir une rente annuelle pour faire vivre la famille.