En dépit d’un carton plein avant les deux dernières journées des éliminatoires de la CAN 2017 qui met son équipe en pole position pour la qualification, Aliou Cissé veut rester dans une dynamique victorieuse. Et le déplacement au Burundi le 4 juin prochain, le sélectionneur national ne l’envisage pas avec des habits de lumière. Mais sous les oripeaux…
Coach, parle-nous de votre mission au Burundi notamment avec la requête du Sénégal qui a saisi la CAF pour se plaindre du stade devant abriter la rencontre Burundi / Sénégal, du 4 juin prochain ?
Honnêtement, ce dossier pour moi appartient maintenant au passé. Aujourd’hui, tous les Africains se battent pour le développement du football africain. Et pour cela, il faut dénoncer les agissements et comportements de certaines fédérations. Le football ne se joue pas à 48 degrés comme au Niger, le football ne se joue pas non plus sur des terrains où on a l’impression que les pays hôtes font exprès de nous frustrer. En tout cas au Sénégal, quand les équipes viennent chez nous, elles sont dans de bonnes conditions. De leur descente d’avion à l’aéroport jusqu’à leur hôtel, ils sont mis dans de bonnes conditions. Malheureusement, à chaque fois que le Sénégal se déplace partout en Afrique, c’est à l’aéroport que nous commençons à sentir l’hostilité. Il faut mettre fin à ça.
Peut-on s’attendre à un discours guerrier pour remobiliser la troupe ?
Le football ce n’est pas de la guerre. Moi, je n’ai pas de discours «va-t-en guerre». On prépare un match de football et on ne sort pas de ce cadre-là. Je ne suis pas en guerre, je n’ai pas d’armée encore moins de soldats pour aller gagner une guerre, non. Le football ce n’est pas ça.
Footballeur, vous avez joué sur des terrains hostiles, cela devrait vous servir en tant que coach…
Ce n’est pas l’hostilité du terrain où nous allons jouer qui importe. Le problème n’est pas à ce niveau. Effectivement, ces choses-là existaient quand je jouais au football. Aujourd’hui que j’ai arrête ma carrière, elles continuent à exister. On se pose la question de savoir où est l’évolution dans tout ça. C’est ça qu’on est en train de dénoncer en réalité. Quinze ans après, les choses ont peu évolué. Si on veut que demain le football africain soit bien représenté par le gratin continental, il faut que les choses reviennent à la normale. Ce n’est pas d’aller à Bujumbura ou à Rumonge dans des conditions difficiles qui nous gène. On a joué dans d’autres conditions difficiles. Mais, chaque Fédération, soumise à ce genre d’agissements, où que cela puisse être sur le continent, doit le dénoncer.
Et si la CAF venait à confirmer le match à Rumonge ?
Dans ce cas, on jouera le match à Rumonge. Le problème n’est pas là même si on sait que les conditions ne sont pas réunies pour aller jouer à Rumonge. Si on doit aller jouer là bas. c’est sûr et certain qu’on ne va pas s’y installer. On va rester à Bujumbura. Et s’installer dans la capitale pour jouer un match qui se joue à 15h00 (l3h00 GMT), cela veut dire qu’il faut qu’on quitte le jour du match entre 05h30 et 06h00 du matin.
Et pourquoi ce réveil matinal ?
Parce que la route est impraticable mais surtout les sites hôteliers de Rumonge ne sont pas adéquats par rapport à notre délégation. Maintenant, si on devait y aller, on ira ; il n’y a pas de souci là-dessus. Je ne parle pas seulement au nom du Sénégal mais plutôt de toutes ces équipes africaines qui se déplacent et qui sont mises dans des conditions anormales. Et ça à mon avis, il faut en un moment donné le dénoncer et arrêter ces agissements faits à dessein pour frustrer des gens. Je comprends que ça soit de bonne guerre. Parfois, il nous arrive de voyager dans des pays où on sait qu’on a déjà nos visas depuis un mois. La seule chose qu’on doit faire, c’est d’arriver, de prendre nos affaires et partir à notre hôtel. Mais, dès qu’on arrive à l’aéroport, on nous parque comme des animaux. Chez nous, au Sénégal, cette pratique n’existe pas du tout.
Ce match contre le Burundi se joue dans un contexte de fin de saison. Des appréhensions par rapport à la motivation ?
Je n’ai pas besoin de booster mes joueurs. Ils sont assez responsables. Je le redis et le répète : j’ai affaire à de grands professionnels, des joueurs ambitieux qui ont envie d’écrire l’histoire du football de leur pays. Ils savent qu’aujourd’hui, être footballeur professionnel, c’est être présent sur la scène internationale. Je n’ai pas à devoir motiver un joueur à venir défendre les couleurs de son pays. Ce serait quelque chose de grave.
Les joueurs s’inspireront sans doute des mauvaises conditions du terrain de Madagascar contre le Burundi…
Aujourd’hui, la motivation ne fait pas partie de mon discours parce que je ne vais pas sélectionner des joueurs qui ne sont pas motivés. Ça c’est une évidence. Il n’y a pas de débat sur la motivation de mes joueurs. Si aujourd’hui, pour venir défendre les couleurs nationales, il faut que je motive mes joueurs, il y a problème. Il n’y a pas de motivation spécifique et spéciale pour venir défendre les couleurs de notre pays. Motiver des joueurs dont les papas, les mamans, les frères et sœurs sont nés au Sénégal et vivent ici n’a pas de sens. Les joueurs eux-mêmes pour la plupart ont grandi au Sénégal et connaissent les réalités du pays.
Et pour la liste, pensez-vous l’élargir à plus de 23 joueurs pour éviter les aléas de dernière minute ?
Je ne crois pas. Vous le saurez. Ça peut être une éventualité, on est en train d’y travailler. Il y aura un point de presse le 18 mai. Ça sera l’occasion pour nous de parler de tout cela.
Justement, vous renouez avec les points de presse. Qu’est-ce qui est à l’origine de ce changement ?
Cette histoire de conférence de presse, encore une fois est un non-débat pour moi. J’ai décide d’une façon de laisser faire ce débat parce qu’il y avait des choses que je ressentais de l’intérieur de ce groupe là. Vous savez, la communication d’un entraîneur n’est pas unique, elle est double. Il y a une communication à l’interne que je ne vous dirai jamais et il y a une deuxième communication que je dois partager avec la presse parce que je prépare un groupe qui, mentalement, doit être fort. Je dois préparer un groupe qui doit mériter ma confiance aussi.
L’opinion a quand même pensé que vous rechigniez à faire face à la presse…
Dans cette équipe nationale, on parle trop d’Aliou Cissé, mais je ne suis pas important. Il faut que les choses soient claires. C’est l’équipe nationale du Sénégal et ce sont les joueurs qui sont importants, ce n’est pas ma personne. Ce qui est important, c’est le projet que nous sommes en train de mettre en place, que les garçons y adhèrent et soient heureux de venir en équipe nationale. Il y a une joie de vivre qui est là et il y a des garçons qui ont envie d’écrire l’histoire de notre football. Je pense que ce sont ces différents aspects qui sont importants. Il y a des garçons qui adhérent au projet que l’entraîneur et la Fédération sont en train de mettre en place. Il y a une équipe qui est en train de gagner malgré tout. Ce n’est pas Aliou Cissé qui est important. J’ai toujours été supporteur de l’équipe du Sénégal. Aujourd’hui, que ce soit avec ou sans moi, la seule chose que je veux c’est que l’équipe gagne.
Que cherchez-vous au Rwanda avec ce camp d’entraînement de dix jours ?
Ces huit jours sont d’une importance capitale. Il y a des choses que je ne peux pas expliquer tout le temps. Mais, le match que nous avons joué au mois de juin dernier (3-1 contre Burundi à Dakar, ndlr) était très compliqué à gérer pour un entraîneur. Tous les sélectionneurs avec qui j’ai discuté craignent ces matchs de juin qui se jouent dans un contexte de fin de saison. C’est une période où la fraîcheur physique n’existe pas et, sur le plan mental, les joueurs sont décrochés. Les championnats finissent le week-end prochain, mais il y aura des joueurs qui resteront pratiquement une semaine sans jouer. Or, dans le haut niveau, cinq jours d’arrêt ont leur impact. C’est difficile pour un sportif de haut niveau de rester plus de deux jours sans s’entraîner. Ça veut dire qu’il faut les retaper. C’est pour cela que j’ai décide de les récupérer un peu tôt. On ne peut pas les laisser livrés à eux-mêmes sinon on ne pourra plus les récupérer. Au niveau du rythme ils n’y arriveront jamais. Et je remercie la Fédération d’avoir compris ça. D’avoir compris qu’il faut que je récupère mes joueurs rapidement pour justement faire une révision athlétique qui aboutira à un match amical. S’entraîner c’est une chose mais jouer une rencontre en est une autre. C’est pourquoi le match du 28 mai contre le Rwanda est important. Il nous permettra d’avoir un temps de jeu pour certains et d’autres de retrouver du rythme avant le match du 4 juin contre le Burundi.
À 1 point de la qualification à la CAN-2017, vous projetez-vous déjà sur cette compétition ?
On sait que le haut niveau c’est aussi de l’anticipation. Mais, honnêtement, ce sont les deux prochains matchs qu’on doit jouer qui m’intéressent. Il nous manque 1 point et le match qui nous attend face au Burundi ne sera pas une promenade de santé. Nous avons à cœur de faire le meilleur résultat possible à Bujumbura. Ce match est dans nos cordes. On n’est pas encore à la CAN, mais c’est vrai qu’il nous arrive de temps en temps de lever la tête pour voir ce qui se passera dans six mois. Mais entre juin 2016, décembre 2016 et janvier 2017 il y a beaucoup de choses qui peuvent se passer au niveau des joueurs. En réalité, cette fin de saison-là rime avec stress pour un sélectionneur parce qu’en fin de saison, on n’arrête pas de se poser la question sur la prochaine destination de nos joueurs. Pour ceux qui sont descendus en division inférieure, on se pose la question de savoir s’ils pourront rebondir ailleurs. Forcément, on pense un tout petit peu à cette CAN, mais la grosse pensée de cette équipe du Sénégal, c’est le match contre le Burundi. Il nous reste 1 point qu’il faut prendre. On ne l’a pas encore et on ne va pas sous-estimer cette équipe burundaise. On sait qu’elle a des arguments à faire valoir. Ça tombe bien parce que nous aussi nous avons des arguments à faire valoir. Ce qui fait qu’on va vers un match très important.
La gestion de l’effectif en place depuis quelque temps paraît primordiale pour vous…
Cette dynamique est importante et il ne faut pas la casser. Mais elle ne doit pas fermer hermétiquement le groupe. Effectivement, depuis un an cette dynamique est là et ça me fait plaisir que vous l’avez remarqué. Nous sommes en train de travailler avec des garçons qui sont heureux de venir en équipe nationale et qui comprennent que ce qu’on est en train de leur dire doit porter ses fruits. Ce sont les résultats qui sont en train de nous donner raison sur le projet mis en place. Maintenant, comme je le dis, dans une saison, il y a des méformes et des blessures. Ne perdez pas de vue qu’aujourd’hui, il y a huit cent footballeurs sénégalais dans le monde. Moi, la seule sanction en réalité que je m’autorise, qui est un devoir pour moi, c’est celle de sélectionner. C’est ça mon job. Sur les 800 joueurs sénégalais, je suis amené à ne sélectionner que 23 personnes et d’éliminer plus de 700.
Après un an de magistère, on a constaté que vous avez gardé au moins 90% de votre effectif…
Nous sommes cohérents par rapport à ce que nous sommes en train de faire depuis le début. Quand on tourne avec 95% de notre effectif depuis un an que nous sommes la, on ne peut pas nous dire que c’est incohérent et que ça manque de stabilité. S’il y a stabilité, c’est bien pour le groupe que je suis en train de manager depuis un an. Il faut me le concéder. Il faut dire que mon travail c’est de sélectionner. Et qui dit sélection, dit forcément ouverture du groupe. Sur les 800 joueurs. Je dois prendre 23 et sur cet effectif là, je dois en un moment choisir 18 joueurs pour les mettre sur la feuille de match et éliminer encore 5 autres joueurs. Sur les 18 qui sont aussi retenus, mon rôle est de mettre 11 joueurs sur le terrain et 12 sur le banc de touche. Malgré tout, mon travail c’est de mettre tous les pensionnaires sur le même pied d’égalité, entrainer tout le monde de la même façon et donner de l’importance à tout le monde. C’est ça mon rôle. Ça veut dire que si effectivement, il y a des méformes et des blessés, mon rôle c’est de préparer certains joueurs qui sont très proches du groupe et qui ne l’ont pas encore fréquenté. Il a des garçons qui sont très proches de l’équipe nationale du Sénégal, peut-être que c’est l’occasion pour eux de venir sur ce match du Burundi.
Pouvons-nous nous attendre à revoir des joueurs locaux dans le groupe ?
Pour ça aussi, on verra. Je vous donnerai la liste et les joueurs locaux font partie du football sénégalais. Il n’y a pas de raison qu’il n’aurait pas de locaux dans le groupe du Sénégal. Mais comme je l’ai dit, nous n’allons pas faire non plus n’importe quoi. Une équipe nationale, ça se mérite. On ne sélectionne pas des joueurs pour leur faire plaisir.