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5 ans ! C’est l’âge du professionnalisme lancé en 2009 au Sénégal. Et ce n’est peut-être pas encore l’âge adulte, mais c’est quand même un temps requis pour se métamorphoser. Quelle mutation les clubs ont-ils connue ? Ont-ils réellement changé de statut ? Sont–ils réellement entrés dans le professionnalisme ? C’est, en somme, l’objet d’une série d’enquêtes que nous entendons mener sur le terrain. Et c’est dans ce cadre que nous avons fait une descente sur le terrain, pour faire l’état des lieux.  Aujourd’hui, nous prenons la chaloupe. Direction l’Ile de Gorée pour une visite au club insulaire qui fête ses 80 ans cette année et qui, socialement, est légèrement au-dessus de la moyenne générale, même si sportivement ça traîne dangereusement les pieds.

Union Sportive Goréenne : Profiter de la notoriété de l’Ile pour attirer les partenaires
Un complexe sportif à l’image de ceux de Diambars ou de Dakar Sacré-Cœur, c’est le projet clef de l’Us Gorée, club du président de la Fédération sénégalaise de football, Me Augustin Senghor. Pour le réaliser, les dirigeants du club insulaire veulent vendre l’image de l’Ile historique. Mais, en attendant, ils font les yeux doux aux entreprises basées au port de Dakar pour les accompagner.
« Avec l’avènement du professionnalisme, tout club qui n’accepte pas de suivre la mutation imposée par le contexte est voué à disparaître ». Cette vérité, Tidiane Camara, la prend très au sérieux. Le secrétaire exécutif de l’Us Gorée, reconnaît ainsi que son club « est condamné à avoir des projets » pour garantir son avenir. Il cite en priorité « un centre de formation » qui sera en fait « un centre sport études » à l’image de celui de Diambars de Saly. Et le club est en quête d’un terrain à la dimension de l’ambition. Un projet indispensable pour le club mais qui ne peut naturellement pas tenir sur l’Ile de Gorée très étroite. « Il nous faut trouver un espace très large dans la proche banlieue de Dakar pour bâtir ce centre. Ensuite, il va falloir aller chercher les moyens de financement », reconnaît M. Camara, par ailleurs ancien dirigeant de l’Entente Sotrac Ouakam (Eso). Des zones seraient déjà pistées pour l’érection de ce centre de formation. En effet, d’après le secrétaire général exécutif, les localités de Diamniadio et Nguékhoh sont, entre autres, les sites ciblés pour ouvrir ce centre cher au club octogénaire (l’Us Gorée a été créée le 23 septembre 1933). Outre les terrains et autres infrastructures, « un réceptif hôtelier » est aussi prévu dans ce complexe « pour permettre au club d’avoir des sources de financement fiables ».
Comme partout ailleurs, le transfert des joueurs est la principale source de financement. « Mais il faut que le foot soit beaucoup plus attrayant pour pouvoir attirer des sponsors et que les retombées financières soient redistribuées aux clubs.
Tantôt nous comptons sur des membres du conseil d’administration qui n’ont pas les mêmes surfaces financières, tantôt c’est du mécénat (…) parce que, parfois, les trésoreries sont tendues. Et dans ce cas, une ou deux personnes mettent la main à la poche en attendant que les sources de financements viennent en appoint ». En attendant les « projets porteurs, c’est le mécénat qui fait fonctionner présentement le club », reconnaît M. Camara. Malgré cette situation économique difficile que traversent les clubs, c’est le calme à Gorée. Pas de tension sociale due à des problèmes de salaires. « L’Us Gorée ne fait pas trop de bruit. C’est l’un des rares clubs où on n’entend pas souvent des problèmes entre les dirigeants et les pratiquants. C’est vrai que parfois c’est tendu, mais nous arrivons à honorer nos engagements vis-à-vis des joueurs. Parfois, c’est le président qui met la main à la poche pour sortir le club de situations difficiles, et s’il y a des rentrées de fonds, il est clair que les remboursements s’opèrent ».

Fils de pub
Pour réaliser des projets à la dimension de celui de Diambars ou de Dakar Sacré-Cœur, un compagnonnage avec un partenaire extérieur s’impose. « A Gorée, on est en train d’y travailler », révèle M. Camara. « L’Ile de Gorée est un patrimoine mondial de l’Humanité, et cela nous offre beaucoup de perspectives et de potentialités à exploiter. Donc Gorée, en tant que club avec ses 80 ans de légende bleue, devrait pouvoir s’appuyer sur la notoriété historique de l’Ile », raisonne celui qui assure aussi la fonction de directeur de Cabinet de Me Augustin Senghor à la mairie de Gorée. Mais en attendant de trouver un partenaire étranger, il fait les yeux doux au Port de Dakar en général et à la liaison maritime Dakar-Gorée qui gère la chaloupe en particulier pour accompagner le club du président de la Fsf. « Gorée mériterait d’avoir un bon maillage avec l’environnement portuaire. Gorée est lié au port, parce que sa porte d’entrée, c’est la liaison maritime Dakar-Gorée », pense M. Camara qui espère que son club est « sur un territoire fertile pour pouvoir faire un bon montage ». A l’endroit des « fils du club » dont Bayal Sall (As St Etienne/ L1 France), Tidiane Camara attend beaucoup plus. « C’est vrai qu’il fait beaucoup pour le club, il lui faut faire davantage. Au même titre que d’autres grandes figures emblématiques du sport dont El Hadj Amadou Dia Bâ en athlétisme, Oumar Guèye Sène en football, etc. Gorée est certes une île culturelle, mais aussi sportive », rappelle-t-il tout en lançant un appel à tous les sportifs issus de l’Ile pour « apporter leur soutien permanent au club » qui a besoin d’un « déclic à partir de cette année ». Avec notamment la finale de la Ligue que le club doit disputer contre le Casa Sports. Depuis 19 ans (le 3e et dernier sacre des Goréens en championnat remonte à 1984) et 17 ans en Coupe du Sénégal (1996), les Goréens courent derrière un autre titre majeur.

MBAYE MBOW (PRESIDENT SECTION) : « Il est temps que l’Etat nous aide »
Il n’est pas facile d’être président de club en ces temps de professionnalisme. Ce n’est pas Mbaye Mbow, le président de la section football de l’Us Gorée qui soutiendra le contraire. « Face aux difficultés quotidiennes que rencontrent les clubs, il nous arrive de mettre la main à la poche pour régler les problèmes urgents », révèle-t-il. Comme ailleurs, à l’Us Gorée, la « vente des joueurs » reste la première source de revenus. Et il se trouve que « le club n’a pas beaucoup vendu de joueurs », regrette le président de la section foot des Insulaires. Dans ces conditions, M. Mbow attend beaucoup du soutien de l’Etat qui tarde encore à accompagner le football professionnel en général et les clubs en particulier. Il ne trouve pas d’explication à cette absence d’aide depuis cinq ans que le professionnalisme a été lancé. « Il est temps que l’Etat nous aide. Même les maires ne sous aident pas », regrette-t-il.
Et contrairement à certains présidents de club qui pensent que l’aide de l’Etat devrait être versée à la Ligue sénégalaise de football professionnel, M. Mbow plaide plutôt pour qu’elle soit allouée aux clubs qui, selon lui, « emploient les joueurs » et ont donc plus besoin de ressources financières. Mieux, d’après lui, « la Ligue professionnelle n’existerait pas sans les clubs ». Des clubs qui sont sous perfusion et qui ont besoin de soutien pour tenir. A Gorée dont « la masse salariale tourne autour de 5 à 6 millions de FCfa par mois », le président de la section foot avoue qu’il éprouve toutes les peines du monde pour tenir ses engagements. Ce d’autant qu’il ne peut pas compter sur aucun partenaire. Mais « avec les conseils de Me Augustin Senghor, nous avons tenu au départ un franc discours à nos joueurs. Et à chaque fin de mois, on se bat pour être à jour ».

PATRICE CARDEAU (COORDONNATEUR GENERAL) : « Un changement énorme »
Il est fils du club, et est donc bien placé pour parler de la transition du club de l’amateurisme au professionnalisme. Chargé de la coordination dans le nouvel attelage du club du président de la Fédération sénégalaise de football, Patrice Cardeau dit avoir noté des changements depuis 5 ans. « En tant qu’ancien footballeur de l’Us Gorée, j’ai vu un changement énorme, puisque les joueurs sont maintenant des salariés. Certes les salaires ne sont pas assez consistants par rapport au coût de la vie, mais c’est quand même mieux que du temps de l’amateurisme ». L’ancien milieu de terrain des Insulaires rappelle qu’à leur époque, « on (leur) donnait juste 150 FCfa pour le transport après un match de football ». « Aujourd’hui, avec ces salaires, les joueurs parviennent non seulement à régler leurs besoins primaires, mais aussi à assister leurs parents », ajoute-t-il. Ce qui est déjà un plus à ses yeux. Nommé cette année à ce poste de coordonnateur général, donc courroie de transmission entre les différents niveaux de l’encadrement technique, il a eu à tenir dans le cadre de sa mission « des réunions entre les entraîneurs de toutes les catégories ». Et ce travail « en synergie permet aujourd’hui aux entraîneurs de la petite catégorie de faire un travail éducatif, de formation pour aider l’entraîneur de l’équipe première à choisir parmi les joueurs de la petite catégorie. Il y a eu une satisfaction parce que dans l’équipe première, il y a presqu’une dizaine de juniors. Des jeunes joueurs qui étaient retenus comme aspirants, c’est le cas de Malick Niang qui est aujourd’hui l’une des grosses satisfactions. Il était cadet l’année dernière ».
Ancien international sénégalais, Patrice Cardeau avait tenté une expérience internationale sans succès. Après avoir fréquenté des clubs de seconde zone, il se rappelle avoir « fait des tests à Strasbourg en 1982, avec Henrik Kasperczak … ». Des tests concluants, mais pour cause de « limite d’âge », il n’a pu intégrer le centre de formation. Mais, il a pu en revanche faire des études de Bts de comptabilité de gestion. De retour à Dakar en 1986, il avait signé à la Jeanne d’Arc.

HENRY KABOU : « Pas de problèmes d’arriérés de salaires » 
Parce qu’il est un des doyens de l’équipe, Henry Olivier Kabou est bien placé pour témoigner de la mutation du club insulaire de l’amateurisme au professionnalisme.
D’une manière générale, le milieu de terrain des Goréens a pu constater qu’avec le professionnalisme, « le niveau des entraînements est devenu plus relevé ». Autre secteur où il a noté une évolution, c’est l’arbitrage. Il a, en effet, « remarqué que les arbitres ont fait un progrès avec le professionnalisme.
Ils ont réalisé un grand pas par rapport au temps de l’amateurisme ». Sur le plan social, Henry Olivier Kabou peut toucher du bois. Pour l’instant, les difficultés que rencontrent les autres, ailleurs, pour entrer dans leur fonds à la fin du mois ne se posent pas à l’Us Gorée. En effet, « sur le plan social, on est à jour, on ne connaît pas des problèmes d’arriérés de salaires », témoigne-t-il.

SIEGE : Les joueurs à l’abri de la pollution sonore de Dakar 
Les dirigeants de l’Us Gorée n’ont pas attendu l’avènement du professionnalisme pour mettre leur équipe dans un minimum de confort. Délogés de leur ancien local du Théâtre de verdure par la mairie de Dakar, les insulaires ont aménagé un siège dans l’Ile de Gorée. Loin de la pollution sonore de Dakar. Un bâtiment en R+1 construit en blocs de rochers, comme la plupart des habitations de l’Ile historique, clôturé par une grille métallique. Dans l’enceinte, un terrain de basket et un jardin public avec des sièges métalliques, le tout agrémenté par une verdure qui offre un superbe décor au siège situé au centre de l’Ile légendaire. Au rez-de-chaussée du bâtiment, restauré pour abriter l’équipe, une vaste salle équipée de 25 lits superposés réservés aux joueurs. Une télé écran géant et un congélateur complètent le décor. A l’entrée, des toilettes bien entretenues, alors qu’à l’étage supérieur, des chambres pour le staff technique dont une réservée au coach principal, et d’autres réservées à certains joueurs qui seraient en observation médicale. « Nous avons aménagé ce local  avant l’avènement du professionnalisme. Au début, c’était un seul niveau, c’est après qu’on a mis le premier étage pour augmenter sa capacité d’accueil », précise Augustin Mendez, membre du staff technique.

ABDOULAYE NDIAYE (COACH) : « Pas une grande rupture sur le plan matériel »
Il a découvert les réalités du club en milieu de saison. En effet, après avoir échoué avec Niary Tally, Abdoulaye Ndiaye a été appelé par son club formateur pour tenter de le sauver du naufrage. Et au rythme où vont les choses, l’ancien joueur de l’Us Gorée n’est pas sûr de relever le défi. Dans un premier temps, il avait stabilisé le club, et donnait même l’impression d’avoir redressé la situation. A son arrivée, cet ancien milieu de terrain a constaté qu’il y a « un petit changement mais pas sur le plan quantitatif ». Et parmi les changements, il a particulièrement noté qu’avec le professionnalisme,  « aujourd’hui, les joueurs sont plus réguliers à l’entraînement. Ils se donnent plus à fond parce qu’ils savent que, s’ils jouent, non seulement ils ont des primes (de performance), mais sont dans une grille de salaries. Donc, ils sont obligés de s’appliquer surtout sur le plan de la régularité ». Professionnalisme rime avec matériel didactique, mais à Gorée, Abdoulaye Ndiaye, n’a pas senti un véritable changement. « Sur le plan matériel, on ne sent pas une grande rupture à l’Us Gorée. On n’a pas assez de tenues d’entraînement, on manque de matériel didactique, dont des ballons. Là, franchement, nous souffrons comme si nous sommes toujours des amateurs », regrette-t-il. Et c’est naturellement l’une des raisons qui expliquent les mauvais résultats du club, aujourd’hui menacé de relégation. Comme certains clubs de Dakar, l’Us Gorée « n’a pas de terrain fonctionnel pour s’entraîner. On n’a que Demba Diop à Dakar et, parfois, on l’a une fois sur dix jours, donc c’est très difficile de faire un travail adéquat. Parfois, on s’entraîne sur le terrain du Camp Abdou Diassé, qui est très sablonneux, avec beaucoup de cailloux. Dans ces conditions, aucun technicien au monde ne peut faire un travail convenable », déplore le technicien des Insulaires.

 

Lesoleil

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