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A l’Université de Dakar dans les années 1970, le corps enseignant était constitué à plus de 90 pour cent par l’Assistance technique française. Depuis une bonne quinzaine d’années, l’Université est entièrement africanisée dans tous les départements d’enseignement et de recherche. L’africanisation des postes n’a d’ailleurs épargné aucun secteur d’activité dans le pays. Et on veut nous faire avaler que le football doit constituer une exception ! Il faut coûte que coûte un entraîneur étranger pour l’équipe nationale ! L’encadrement technique d’une équipe de football serait une science inaccessible à des Africains ?

Cela fait des années qu’on tourne en rond, chaque fois que l’équipe nationale est éliminée à la CAN en alternant entraîneur étranger et entraîneur national. Ce qui devrait faire comprendre qu’il ne s’agit pas de problème d’entraîneur. Chaque fois qu’on veut faire venir un étranger, on parle « d’entraîneur de haut niveau » : je demande toujours ce que cela signifie, mais aucune réponse. Mais je présume que pour ceux qui en parlent, « entraîneur de haut niveau » signifie entraîneur étranger. Et pourtant, ils sont quatre  à être passés par là : Leroy, Metsu, Stéphane, Kasperzak. Des millions de francs dépensés, et pour quels résultats ? Ceux qui pensent que c’est Metsu qui avait rendu performante l’équipe de 2002 savent-ils que celui-ci, avant le Sénégal était passé par la Guinée ? Là-bas, aucun résultat, parce que la Guinée n’avait pas à l’époque des joueurs performants. Les joueurs sénégalais étaient bien meilleurs, raison pour laquelle Metsu « avait réussi » ici. Ce sont les joueurs sénégalais de cette époque qui ont fait Metsu, et non l’inverse.
La réalité est qu’aucun entraîneur ne peut faire gagner une équipe. Le football est un problème de joueurs, et non d’entraîneurs. Et cela est valable pour toutes les disciplines de sport. Au basket masculin le Sénégal ne gagne plus rien, n’ayant plus sa ‘’dream team’’ des années 1970. Ces entraîneurs de football surmédiatisés en Europe (les Mourinho, Ferguson, Guardiola …) n’opèrent que dans des clubs riches qui peuvent s’offrir les meilleurs joueurs du moment : où se trouve alors leur mérite ? Prenons quelques  cas.

Albert Batteux, au début des années 1960 est cité comme meilleur entraîneur de France : son équipe, le Stade de Reims gagne tout dans l’hexagone ; il est aussi entraîneur de la brillante équipe de France de la coupe du monde 1958, une sélection qui à trois éléments près est l’équipe de Reims. Autrement dit, il dispose des meilleurs joueurs français pour ‘’faire des résultats’’. En 1963, il s’engage avec Grenoble, avec l’objectif de faire monter l’équipe en 1ère division ; durant 4 ans il n’y parvient pas, car la qualité de joueurs n’est pas au rendez-vous. En 1967 il prend en main l’équipe de Saint-Etienne alors championne en titre ; celle-ci sur sa lancée continue à dominer le football français avec  les meilleurs joueurs du pays (les Herbin, Bosquier, Salif Keita, Larqué …). Lorsqu’il quitte le club pour retourner en seconde division avec le club d’Avignon, il signe sa séparation d’avec la 1ère division et les titres.

En 1972 et 1973, le football européen est dominé par  l’Ajax Amsterdam entraînée par le Roumain Stefan Kovacs. Lorsque par la suite ce dernier est recruté pour entraîner l’équipe de France, c’est la désillusion totale : la France est éliminée de l’Euro 1976 : on avait oublié que les succès de l’Ajax sous Kovacs étaient dus à la présence  de grands talents comme les Crujff, Neeskens, Repp …

Arsène Wenger, lorsque limogé de l’A.S. Monaco en 1994 « pour mauvais résultats », après avoir galéré quelque temps, est recruté par le club anglais Arsenal. Les résultats sont époustouflants avec même toute la saison 2003-2004 sans défaite. Mais depuis 7 ans Arsenal ne gagne plus rien. Wenger naguère adulé est maintenant conspué par les supporters qui semblent oublier qu’il n’a plus dans l’équipe ses grands joueurs de la belle époque comme Seaman, Campbell, Thierry Henry, Bergkamp, Tony Adams, Ian Wright … (Ces dernières années, Arsenal avait ralenti ses recrutements pour se construire un nouveau stade).

Le mythe de l’entraîneur responsable des victoires et des défaites est actuellement propagé avec le comportement de certains dirigeants de clubs européens, subitement devenus riches, qui ont investi un football auquel ils ne comprennent rien. Chaque année, c’est la valse des entraîneurs lorsque les résultats sont mauvais. On ne réfléchit même pas. Regardez ce qui vient de se passer avec Chelsea : l’entraîneur avec lequel le club a gagné la coupe d’Europe en 2011 est limogé en 2012 à la suite d’une lourde défaite dans cette compétition ; pourtant l’entraîneur est resté le même, mais pas les joueurs ; l’équipe battue était privée de ses trois meilleurs éléments de la saison dernière : Terry, Lampard et Drogba. Mais tout a été mis sur le dos de l’entraîneur. Comment un entraîneur peut-il être bon cette année, et mauvais l’année qui suit ?

Ces quatre exemples et bien d’autres, montrent que ce sont les joueurs qui font les résultats, pas les entraîneurs.
Justement pour ce qui est du Sénégal, il faut en finir avec ce nombrilisme ancré dans beaucoup de mentalités : nous sommes les meilleurs ! Le Sénégal n’a pas depuis des années des  footballeurs de haut niveau. Que l’on me cite un seul Sénégalais ayant au cours de ces vingt dernières années évolué dans les grands clubs européens (Barcelone, Real Madrid, Manchester, Chelsea, AC Milan, Inter Milan, Juventus …). On ne trouve aucun Sénégalais dans les matches de coupe d’Europe des clubs champions, et pourtant y sont présents bon nombre d’autres Africains : Camerounais, Ghanéens, Ivoiriens, Maliens …). Newcastle n’est pas Barcelone ou le Real Madrid : vous voyez ce que je veux dire ? A la CAN 92 jouée au Sénégal, l’équipe comptait dans ses rangs des joueurs talentueux, mais avec une moyenne d’âge de 29 ans, elle ne pouvait pas tenir le coup physiquement sur 5 ou 6 matches pour remporter le trophée.

Cette année, après le limogeage du dernier entraîneur national, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour savoir que le poste est déjà  attribué à Alain Giresse (si comme Lechantre il ne file pas vers un autre horizon plus juteux). Il  a été un très bon footballeur, mais comme entraîneur, aucune des équipes qu’il a eues en main n’a gagné de trophée : En France Toulouse et  Paris Saint-Germain, en Afrique le Gabon et le Mali. Et on se plaît à rêver qu’il peut nous amener une CAN, et pourquoi pas la coupe du monde ! Aux dernières nouvelles, un « technicien » belge aurait fait acte de candidature, avec la promesse de qualifier l’équipe nationale pour la coupe du monde. Aucun des clubs qu’il a entraînés dans son pays n’a été performant sur la scène européenne.

On devrait tout de même se demander pourquoi aucun de ces entraîneurs qui veulent venir en Afrique n’a jamais été pressenti dans son pays pour y diriger l’équipe nationale.

Certains journalistes sportifs au Sénégal font carrément la promotion de « l’expertise extérieure ». Savent-ils que le premier reporter de matches de football au Sénégal était aussi un Français, Pierre Véran ? Que c’est un Sénégalais, Alassane Ndiaye Allou, instituteur de profession, qui prit la relève ? Et avec quel brio !

Chacun peut constater que les joueurs africains qui évoluent en Europe ne sont en rien inférieurs à leurs homologues européens. Par quelle magie ces derniers seraient-ils meilleurs une fois devenus entraîneurs ? Et ils ne viennent en ‘’Afrique la poubelle’’, que lorsqu’ils sont en chômage dans leurs pays.

La réalité est que la plupart des dirigeants africains du football et des journalistes traînent encore le complexe de tout ce qui vient de l’extérieur. Pendant qu’on y est, logique pour logique, pourquoi ne pas mettre à la tête des fédérations africaines de football des Européens de « haut niveau », et faire venir d’autres Pierre Véran pour couvrir nos matches de football  dans les médias ? Il est vrai que certains sont allés jusqu’à préconiser de faire venir notre compatriote Pape Diouf pour sauver le football sénégalais, tout simplement parce qu’il a été président de l’Olympique de Marseille. A-t-il réussi à faire gagner la coupe d’Europe à l’OM ? Il ne pouvait pas le faire, car il était simplement administratif d’un club au potentiel technique limité.

Et puis dans tout cela, il y a un aspect éthique économique. Le football ne peut pas être une priorité dans un pays où les deux tiers de la population survivent dans la pauvreté. Est-il normal de prévoir un salaire de 25 millions de francs ou plus pour un entraîneur étranger, pour en faire la personne la mieux payée dans le pays  avec l’argent public ? Surtout que ce sera de l’argent dépensé en pure perte, alors que la demande sociale est là en attente.

Lorsqu’un entraineur national est recruté, il devrait aussi tempérer ses prétentions financières : quelle est son expertise, son utilité sociale ou économique pour justifier qu’il soit  5 ou 6 fois mieux payé qu’un médecin ? Pour ne citer que cet exemple.

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