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En exclusivité pour Joseph Antoine Bell se prononce sur l’actualité du football africain et sénégalais. Avec son habituel franc-parler, l’ancien gardien de but camerounais devenu consultant suivi livre ses vérités. Sur la base des dernières CAN, singulièrement celle des U20 en Zambie, Bell estime que le football sénégalais est plombé par le maraboutage. Par ailleurs, il assimile la défaite de son compatriote Issa Hayatou à l’élection présidentielle de la CAF à un ras-le-bol général.

 Joseph, avant le quart de finale entre le Sénégal et le Cameroun, vous aviez dit que ce dernier n’avait pas les moyens de gagner. La suite vous a donné tort…
Peut-être que vous n’avez pas bien saisi mon raisonnement avant ce quart de finale. J’ai aussi dit que si le Sénégal est bien favori, c’est sur l’extérieur mais non sur le terrain. Le Cameroun a l’histoire pour lui. Et que si les Sénégalais pensent que dans les forêts équatoriales se trouve quelque chose qu’eux n’ont pas dans leur savane alors il n’y aura pas de match. C’est ce qui s’est passé. Ce qui veut dire qu’au Sénégal on pense qu’il y a des choses dans la forêt camerounaise.
C’est-à-dire ?
Malheureusement, au Sénégal, on ne pense qu’au maraboutage. La preuve, récemment on a vu des images tristes véhiculées par les jeunes Sénégalais lors de la finale de la CAN des U20 contre la Zambie. Vous n’avez pas vu qu’un joueur sénégalais s’est occupé du fétichisme plutôt que de penser au football ?
Est-ce que ce n’était pas aussi une façon de déstabiliser l’adversaire sur le plan psychologique ?
Si eux pensent qu’il faut déstabiliser un adversaire qui ne croit pas au marabout et qu’eux y croient, ils se déstabilisent eux-mêmes. D’ailleurs contre le Cameroun, ce sont les Sénégalais qui ont été déstabilisés. Les Sénégalais vont encore dire que Joseph Antoine Bell a reparlé. Mais, El Hadji Diouf, un grand monument du football sénégalais, au lieu de reconnaitre qu’il a simplement raté un penalty en 2002, il a dit qu’il n’avait jamais compris pourquoi il l’avait raté. Donc, il transmet un message de peur à la jeune génération. Si, au Gabon, au bout de 45 minutes, les joueurs sénégalais n’ont pas marqué, ils commencent à se dire «on n’est pas mieux que nos aînés», «on ne comprend pas pourquoi on n’a toujours pas marqué». Voilà comment le football sénégalais fonctionne. Mais, ce n’est pas moi qui vais les exorciser de leurs marabouts.
Ce n’est pas seulement au Sénégal mais partout en Afrique, on semble croire à l’irrationnel…
Si on semble croire à l’irrationnel en Afrique, moi je suis de ceux qui ne croient pas à cela et je n’ai pas été moins bon en sélection. Mais, je voudrais vous demander, lorsque Diouf, pour un penalty raté contre le Cameroun, trouve que la puissance venait de la forêt, si, à Liverpool il ratait un penalty dirait-il que la puissance venait d’un supermarché ? Quand même il faut faire une analyse objective du football. Il faut arrêter de raconter des histoires. Encore une fois, je dis que le football sénégalais est plombé par le maraboutage. Si deux équipes se rencontrent avec leurs marabouts il y en a une qui gagne. Et si deux équipes se rencontrent sans marabout il y en a une qui gagne aussi. Les joueurs font des ratés aux entraînements sans les marabouts, ce qui veut dire que les ratés sont bien réels.
Justement parlant de ce match contre la Zambie en finale de la Coupe d’Afrique des U20, il y a eu cette affaire de maraboutage…
Lorsque vous y croyez, vos erreurs deviennent la force du marabout. Je suis sûr que le jeune portier sénégalais a été bon avant d’arriver en finale. Mais, lorsqu’il commet cette faute de main, il est persuadé que c’est le marabout d’en face qui est plus fort que le leur. Et du coup, ça le déstabilise et le déresponsabilise. Lorsque Diouf rate un penalty, au lieu d’analyser et de pouvoir transmettre aux jeunes qu’un penalty n’est jamais marqué d’avance et qu’il faut être concentré, lui, il trouve les solutions dans la forêt équatoriale. Mais, comme nous aurons toujours de la forêt au Cameroun, nous battrons toujours le Sénégal.
Avez-vous vu de signes avant-coureurs de la défaite du Sénégal face au Cameroun ?
Justement, c’est ça la force du marabout. Jusque-là, le Sénégal, se croyant plus fort que les autres avec le marabout, a joué tous ses matchs sans complexe. Quand il bat la Tunisie et que les Tunisiens ratent une tonne d’occasions, ils sont persuadés que c’est parce que les Tunisiens ne connaissent pas le maraboutage. Et donc là, ils sont tranquilles dans leurs têtes. Quand ils vont jouer contre le Cameroun et qu’ils ont des aînés parmi lesquels leur propre entraîneur qui est lui aussi de la génération 2002 et que lui aussi avait raté un penalty contre le Cameroun, vous comprenez qu’on a un vrai problème. On a la préparation psychologique qui, malheureusement, est foutu en l’air. Or, rien n’est plus important dans la haute performance qu’un état psychologique de l’athlète. Et donc, puisqu’il a un doute parce qu’il voit que l’adversaire pourrait bénéficier d’une force invisible, ses atouts sont diminués.
Vous évoquez toujours Diouf pour illustrer vos propos…
Tout ce que j’ai dit est exact. C’est un petit copain si vous voulez savoir. Je suis son éternel grand frère. Je sais déjà comment les Sénégalais vont analyser cela. Je ne dirai jamais ce qu’il m’aurait dit dans une chambre d’hôtel. Il l’a dit publiquement et c’est ce que je reprends.
Cette équipe du Sénégal peut-elle faire mal à l’avenir ?
S’il y a une équipe que quelqu’un doit rêver d’entraîner, c’est bien celle du Sénégal. Ils peuvent partir la veille pour entraîner cette équipe qui a un effectif de choix. C’est une équipe qui a de l’assurance qu’elle peut battre tous ses adversaires. Maintenant, si comme le Cameroun, au lieu d’une analyse froide pour voir pourquoi on a échoué, on se limite à dire que cette équipe du Cameroun reste la même en faisant allusion aux défaites de 2002, 1992 ou encore 2017, le Sénégal pourrait gagner tous ses adversaires sauf les Lions indomptables. La Fédération sénégalaise de football et le public sénégalais devraient tous être fiers d’avoir de tels joueurs. Mais, ils doivent aussi travailler pour que cette équipe là redevienne redoutable. N’oublions pas que ces joueurs sénégalais ont une mission spéciale. On leur demande de réussir ce qu’aucune équipe sénégalaise n’a réussi. Il faut que ceux qui la managent, puissent faire comprendre à ces jeunes gens qu’ils ont la chance de devenir immortels pour les Sénégalais. Ils en ont la possibilité.
Que retenez-vous de la défaite d’Issa Hayatou à l’élection de la CAF ?
Il s’agit d’une élection démocratique qu’il a perdue. Maintenant, est-ce que je m’attendais au résultat de cette élection ? Beaucoup de gens diront non alors que les faits montrent que les élections devaient aller dans ce sens là. Après tout, c’est une accumulation de choses et n’oubliez pas tout ce qui s’était dit à la dernière CAN. On avait senti que quelque chose pourrait se passer parce qu’il y avait eu un ras-le-bol généralisé. Les journalistes, même s’ils ne se sentaient pas concernés, transmettaient tous les jours ce ras-le-bol. Mais, on pensait que ça s’arrêterait à la superficie et que ça n’arriverait pas à cette surprise.
Il faut dire qu’il y avait eu une certaine lassitude après 29 ans au pouvoir…
Ce qui est lassant, c’est la répétition d’une même chose. Parce qu’en réalité, si 29 ans au pouvoir devrait être lassant, chacun de nous serait pressé de mourir et personne ne serait tenté de vivre vieux puisque ce serait lassant de vivre. Mais, simplement le renouvellement des idées fait que les choses sont devenues lassantes. Il faudrait qu’on se rende bien compte que, dès qu’on commence à se lasser et à mettre en avant cette lassitude, c’est qu’il y a des erreurs et des fautes que les gens supportent de moins en moins. C’est ce qui s’est passé à la CAF. Les gens ne supportent plus la manière dont ils étaient dirigés. Il y a eu beaucoup de décisions qui, logiquement, n’auraient jamais eu d’être approuvées par la CAF qui est la réunion de l’ensemble des fédérations. Or, on avait fini par croire que la CAF était synonyme d’Issa Hayatou et que les présidents de fédération devraient juste regarder et subir.
Etait-il facile de défaire un dinosaure comme Issa Hayatou ?
Vous savez, le football est tellement vrai qu’il vous apprend tout. En football, on vous dit qu’une série qui dure se rapproche de la fin. Donc, vous êtes forcément très content quand vous gagnez les matchs. Mais, si vous en avez gagné une douzaine vous êtes plus prêt de la fin de cette série que du début. Ça peut paraître difficile de défaire Hayatou qui est resté aussi longtemps à la tête de l’institution. Il croyait avoir pris toutes les mesures pour que les grandes fédérations ne soient pas représentées au sein du Comité exécutif après avoir mis en place un règlement qui stipule que, ne pouvaient être candidats que ceux qui sont dans le comité exécutif. Vous voyez que ce n’est pas un candidat camerounais, ivoirien, sénégalais, sud-africain, nigérian ou ghanéen qui est venu l’évincer. C’est un candidat malgache qui l’a gagné. Donc, dans la routine, il était sûr d’avoir barricadé toutes les portes sauf que la force de Dieu a fait que ce qui doit arriver est arrivé.
Vous vous êtes toujours opposé à la politique de Hayatou…
Là, je pense que vous vous trompez. Ce n’est pas que je n’étais jamais d’accord avec la politique d’Issa Hayatou. Mais, j’étais le seul qui osait dire ouvertement là où il se trompait. La preuve, s’il ne faisait rien, je n’avais rien à lui dire. Je sais qu’Issa Hayatou avait pris une CAF qui n’avait pas d’argent. Je ne peux pas critiquer qu’il se soit débrouillé pour qu’on ait aujourd’hui beaucoup de sponsors qui apportent de l’argent. En revanche, vous ne pouvez pas me demander d’être d’accord avec la CAF lorsqu’elle sanctionne le Togo qui se fait agresser à Cabinda (CAN Angola 2010) où la CAF a choisi d’organiser la compétition. Je suis surpris que toutes les autres fédérations aient accepté que le Togo soit sanctionné. C’était inadmissible. Vous ne pouvez pas m’amener à accepter tout le désordre qui se passe dans le football camerounais sous couvert de la CAF. Vous ne pouvez pas non plus m’amener à accepter que lorsqu’un jury a désigné Didier Drogba comme meilleur joueur qu’il soit destitué de son titre parce que le joueur n’a pas voyagé et qu’on remette ça à quelqu’un d’autre. Ce qui veut dire que les élections ont été modifiées par une décision politique. C’est ce même Hayatou qui a demandé que l’Afrique vote pour le Prince Ali en 1998 et c’est Blatter qui a gagné. Ce même Hayatou a demandé à l’Afrique de voter pour lui en 2002 et c’est Blatter qui a encore gagné. Récemment, il a demandé de voter pour Cheikh Salman mais c’est Infantino qui a gagné. Vous n’allez pas me dire de continuer à applaudir.

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