Alain Giresse vient d’être limogé de son poste de sélectionneur de l’équipe nationale de football du Sénégal, après la débâcle des Lions de la Teranga à la Coupe d’Afrique des nations. Mais, comme d’habitude, toute l’infrastructure qui a conduit à l’échec des Lions en Guinée équatoriale semble devoir rester en place, inébranlable, comme si elle n’avait rien à se reprocher. On n’est pas loin de l’absurde !
Il faudra bien un jour se rendre compte qu’il n’est pas possible d’aller dans le mur, puis repartir comme s’il ne s’était rien passé. Un jour ou l’autre, il faudra vraiment s’arrêter, se poser des questions, surtout les bonnes, oser y répondre de façon pertinente et courageuse, et prendre des décisions radicales s’il le faut.
Petit pays sans grandes ressources, empêtré depuis plusieurs décennies dans des programmes de développement qui n’en finissent pas de sous-développer la majeure partie de ses habitants, le Sénégal doit-il continuer à investir chaque année plus ou moins un milliard de francs CFA dans le sport roi sans un retour sur investissement ? Sur un point, il est incontestable que le football reste une « demande sociale » qui draine des centaines de milliers de militants et de fans à travers le territoire national. Il est également un puissant vecteur de familiarisation et de connaissance de notre pays à l’étranger. Mais ensuite ? Mais après ?
Plus que temps de changer de route
En l’an 2015 de l’ère dite moderne, alors que la nation se sacrifie pour élever « l’honneur » et « l’image » du pays autour du football, on meurt encore et toujours à tous les niveaux de la pyramide de notre système de santé. Pour une poche de sang manquante, des seringues infectées, des urgences ultra-défaillantes, un personnel dangereusement incompétent et inconscient pour partie. Et sur les bords, une vilaine bête dénommée Ebola est venue en sus nous rappeler que notre vie peut tenir à une goutte de sueur.
En l’an 2015 de l’ère dite moderne, à quelques encablures de Dakar, des milliers d’enfants gueux entament leur scolarité dans des salles de classes que le dialecte des politiciens appelle pudiquement « abris provisoires » pour mieux masquer un cynisme d’enfer.
En l’an 2015 de notre ère, le niveau de pauvreté dans nos ménages, en centres urbains comme en zones agricoles, le spectacle ahurissant d’hommes et de femmes devenus mendiants professionnels ne dérangent plus, ni même celui des enfants talibés, tous désormais intégrés mentalement à notre environnement social et identitaire.
Faut-il donc continuer à investir dans une discipline sportive qui ne rapporte rien de bien concret à notre pays en ignorant l’extrême urgence à revenir à des priorités plus en rapport avec le quotidien des gens ?
Arriver à un équilibre
Une chose paraît sûre et certaine : il est plus facile pour des politiciens de libérer des centaines de millions de francs CFA dans un secteur comme le football que de réfléchir à une adéquation possible entre une politique sportive raisonnable qui tienne compte des capacités financières de notre pays, et les intérêts fondamentaux de la collectivité nationale. À certains, c’est trop demander.
L’idée n’est point de faire tuer le foot, loin de là ! L’objectif est plutôt d’en arriver à une situation où le pouvoir politique sera capable d’exiger des résultats probants en contrepartie des efforts financiers consentis.
Encore qu’on pourra toujours nous rétorquer que « la glorieuse incertitude du sport » dont parlait Roger Chabaud ne permet pas une telle assurance. Mais faudrait-il juste commencer pour voir.