C’est parti pour quelques jours d’intenses émotions, avec l’entrée en jeu, depuis hier, des Lions de la Téranga pour cette phase finale de la Coupe d’Afrique des nations (Can). Entre agitation, cris et excitation, les supporters sénégalais sont en plein dans le “véritable théâtre émotionnel”. Le ballon détourne des bureaux…
Dakar vit au rythme de la Can. Un jour de match passe, pour certains, pour une journée morte ou encore pour des heures de travail perdues pour l’administration sénégalaise. “On préfère suivre le match en famille”, souligne, avec un large sourire, une dame dans la cinquantaine rencontrée sur l’avenue Sarrault, vers 15h passées. Elle hâte le pas, comme d’autres. Elle est pressée de rentrer. Ses collègues l’ont déjà devancée. “C’est notre directeur qui nous a offert cette opportunité”, lâche-t-elle avec un regard étincelant.
Son exemple est assez illustratif de l’état d’esprit des Sénégalais, plongés dans l’euphorie à quelques heures du match. La joie illumine leur visage. Le centre ville a commencé à se vider, en début d’après-midi. Pour un match qui commence à 16 heures, il fallait quitter le bureau une heure ou deux avant le coup d’envoi. Les embouteillages monstres se sont dessinés dans plusieurs artères de la capitale aux heures inhabituelles. Tous les esprits sont orientés vers le match Sénégal-Ghana. Ces “supporters” sont impatients de revivre une des plus fortes émotions de leur vie et de marquer une pause devant un quotidien stressant.
L’esprit n’est pas au travail. Les rues sont désertes. Pour Youssou Diallo qui doit tenir sur ses 60 berges, il n’y a pas de quoi fouetter un chat : “Il fallait s’y attendre. Il en est toujours ainsi durant chaque compétition. Que ce soit durant la Can de 86, 92 ou encore le mondial de 2002, les Sénégalais ont toujours brillé par leur absence quand leur équipe de football joue”. Notre interlocuteur, moniteur dans une “auto école”, estime qu’il faut aussi prendre en considération d’autres paramètres : “Les Sénégalais ont pris l’habitude de quitter le bureau avant l’heure de descente. En guise d’exemple, ceux qui sont censés finir tous les jours à 16h 30, plient bagages une heure plus tôt. Le vendredi, la majorité ne juge pas opportun de reprendre le service, après la prière du vendredi”.
Pour autant, si la plupart trouvent légitimes et compréhensibles ces absences du bureau, le temps d’un match, d’autres prennent le contrepied. Mouhamadou Mbodj, un transitaire rencontré sur la même rue, est de ceux-là. “Dans notre entreprise, il n’y a qu’une seule personne qui a tenu à suivre le match chez elle. Ce n’est pas normal que les entreprises, dans leur majorité, s’inscrivent dans cette mouvance festive. Il faut placer des postes téléviseurs dans les bureaux et maintenir le personnel sur place. Si je prends l’exemple de la Douane, les agents n’ont aucunement le droit de déserter leur bureau pour un match…”, dit-il.
Mor Talla Kane (Cnes) : “Il faut faire preuve d’intelligence et de compréhension…”
Des avis qui relancent le débat sur l’absentéisme des Sénégalais durant ces grandes joutes footballistiques. Un impact sur une économie déjà fragile ? Pour le directeur exécutif de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes), Mor Talla Kane, il faut savoir raison garder. “Chaque heure de travail perdue a, certes, un impact sur l’économie, mais il faut faire preuve d’intelligence et de compréhension dans ces circonstances particulières”. Il invoque de ce fait le caractère universel de ces grands rendez-vous sportifs. “Ce sont les mêmes réalités partout dans le monde et ce n’est pas intelligent d’appliquer la loi dans toute sa rigueur. Certaines entreprises essaient d’aménager le temps de travail pour permettre à leur personnel de suivre en toute quiétude le match. D’autres n’ont pas cette possibilité. Toujours est-il qu’il faut être raisonnable face à un problème d’attraction universelle.”
Mor Talla Kane, qui en appelle à la flexibilité, souligne que “la vie d’une entreprise est plus longue que la durée de la Coupe d’Afrique des Nations ou de la Coupe du monde. L’entreprise est un milieu social. Il est impérieux de tenir compte des interactifs et des réalités du monde de l’émotionnel. On est dans l’émotionnel et l’irrationnel”.