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Les Lignes de Tidiane Kassé

On ne peut pas encore parler de gangrène. Juste d’une verrue mal placée qui, parfois, se troue et déverse son liquide infect sur les gradins des stades. Les poussées de fièvre malsaines qui les génèrent et qui, à la longue, peuvent devenir morbides, proviennent souvent des mêmes grands corps malades.

Dimanche, le match Niary Tally-Us Ouakam a encore eu droit à sa dose de bêtise, quand des supporteurs ont cru devoir se singulariser dans cette poussée de violence qui commence à devenir une norme d’adversité. C’est là, dans cette récurrence – même épisodique – que réside le danger qui s’installe de façon pernicieuse.

Aujourd’hui, des supporteurs estiment, à chaque fois que leurs équipes se rencontrent, que les comptes à régler ne se limitent pas au terrain. Sortir des règles et des normes du fair-play, pour entrer dans une logique d’escalade où le mépris et la haine peuvent nourrir les pires formes de violence, commence à devenir une récurrence inquiétante. Tout cela est encore isolé, épisodique, mais il faut couper le mal à la racine.

L’environnement du football porte en lui-même son potentiel de violence. On sait que le contexte, les occurrences et les opportunités, dépendant le plus souvent de faits de jeu, peuvent créer des explosions aussi brutales qu’imprévisibles.

Le stade est, en effet, un lieu social qui, loin d’être un espace clos où les pulsions qui l’animent se ramènent à la simple dimension du jeu, agrège souvent tout ce qui est déchirure latente ou ouverte dans la société. Il y suffit parfois d’une brèche pour que le volcan se réveille et que la lave des contradictions nourries ailleurs déborde.

On est dans des sociétés violentes, avec des colères et des haines qui ne cherchent que le lieu et le moment favorable pour s’exprimer.

Le phénomène n’est pas nouveau dans les stades. Laisser se sédimenter et s’exacerber cette purulence est le danger. On l’a vécue il y a deux ans, avec des sanctions qui avaient frappé le Casa, Ouakam et Niary Tally, avant que la pression de ces clubs ne conduise à casser et à adoucir les mesures. Cette clémence naguère imposée ramène ce qui se vit aujourd’hui.

Les pires formes de violences qu’on pouvait voir à Demba Diop, jadis, ne dépassaient pas le cadre des joutes oratoires, des plaisanteries à faire monter la moutarde au nez et parfois des accrochages où on n’avait pas le temps de se froisser les habits que l’entourage mettait fin à ce débordement indigne.

Dans certains cercles de supporteurs, une insulte avait valeur d’amende pour alimenter une caisse commune qui servait à financer un bon “tour” en fin de saison.

Le bonheur d’être au stade n’était pas de s’enfermer dans son ghetto. Le plaisir était dans la proximité avec le supporteur adverse pour “ambiancer” dans une totale fusion avec la féérie qui s’exprimait sur la pelouse.

Aujourd’hui, on a subi la violence jusqu’à compartimenter les tribunes. Les supporteurs d’une équipe d’un côté, ceux de l’autre équipe à l’extrême opposé. Cette division est la parfaite mise en scène pour servir de théâtre à l’expression de la violence.

Dans les espaces de renfermement sur soi qui se créent ainsi, les hérétiques polluent aisément les esprits sains pour détourner l’objet sportif qui les anime vers la négation de tout ce qui l’anoblit. Les foules étant faciles à manipuler et le mimétisme étant couvert par la masse, il n’est pas étonnant de voir celui qui jette la première pierre entrainer tout le groupe dans le sillage du péché.

Cette tendance divisionniste, qui porte à segmenter les stades, est l’une de pires formes de renonciation devant la violence. Elle devenue une norme au Sénégal. Organisée ou tacite. De sorte que les processus sociaux qui se développaient dans le sport pour exalter le culte de la fraternité se distordent pour favoriser ces ruptures qui font germer la haine et la violence.

Le phénomène gangrène les navétanes depuis des décennies. Il a transformé la lutte en un champ clos d’adversité brutale. Il se répand de plus en plus dans le football d’élite en suivant les mêmes sillons. Depuis que celui-ci a commencé à être “quartierisé” et que les entités ont commencé à s’identifier en tant que groupes fermés, les violences se développent comme une marque identitaire.

Ce que Pikine cherche à exprimer face à Ouakam n’est pas seulement dans le football. La survalorisation que Niary Tally veut exprimer face à Ngor ou au Casa, par exemple, ne tient pas seulement de la suprématie sportive. On est là dans des logiques différentes de celles exprimées par les clubs à l’identité cosmopolite, comme Gorée, Linguère, Ja, etc.,  qui, dans leur représentation sociale, dépassent la singularité d’un quartier, d’une zone urbaine, etc.

Ce que ces clubs identitaires apportent au football en termes de mobilisation, de popularité et d’ambiance constitue un riche acquis. Mais il importe de ne pas être laxiste devant les dérives qui les accompagnent ou dans lesquels ils peuvent être entrainés. Sinon, à force de démissionner, l’autorité va continuer à faire le lit de toutes les permissivités.

 

Waasport

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