À 21 ans, Paul Fadiala Keita fait les beaux jours de Kalloni (D1 Grèce). Ayant quitté l’AS Douane très jeune (15 ans) pour le Benfica Lisbonne, ce milieu défensif a débuté sa carrière professionnelle en Grèce à Giannina, avant de rejoindre Kalloni l’année dernière. Le natif de Nguekhokh s’est confié à coeur ouvert à STADES.
Entretien
Paul, vous faites partie des rares Sénégalais à évoluer en Grèce. Où avez-vous fait vos armes avant de rejoindre l’Europe ?
J’ai commencé à jouer au football comme tout jeune enfant avec des amis de mon quartier à Nguekhokh (département de Mbour) où jais passé une bonne partie de ma jeunesse. Je jouais souvent avec mes aînés, et à un moment, poussé par des gens de mon quartier, j’ai débuté dans le Navétane, à l’ASC Pikine (Nguekhokh), en cadet. Après une année, nous avons atteint la finale. Ils ont voulu que je rejoigne les seniors, mais j’ai refusé, vu mon âge. Je ne me sentais pas prêt et j’avais peur de certaines choses comme les pratiques mystiques. Nguekhokh fait partie de ma vie et je ne pourrais jamais l’oublier. J’ai mes racines là-bas, des amis et des frères qui m’ont toujours conseillé de viser haut, car convaincus que je pouvais réussir dans le football.
Dans quelles circonstances êtesvous arrivé à l’AS Douane ?
C’est toujours difficile de se frayer un chemin dans le monde du foot. Je suis passé par les tests comme tous les autres jeunes de mon âge. J’ai tapé dans l’oeil d’un certain Zimako que je ne cesserai jamais de remercier. Il a tout fait pour moi et si aujourd’hui je suis à ce niveau, il en est pour quelque chose. Il a beaucoup participé à ma progression dans ce club. Il était comme un père pour moi. J’ai accepté les insultes, les mots durs, car je me disais qu’il voyait en moi quelque chose. Ce n’est pas du tout facile de venir dans un club, trouver des gens soudés et qui jouent ensemble depuis des années. Il fallait vraiment avoir un bon mental pour s’en sortir.
De l’AS Douane, vous atterrissez au Benfica de Lisbonne. Qu’est-ce qui a rendu cela possible ?
C’est de l’AS Douane que Benfica m’a repéré. Nous avions un match amical contre le Jaraaf de Dakar. Ce jour là, j’avais marqué un but depuis le milieu du terrain. À la fin du match, Luis Norton (actuel entraîneur de l’équipe B du Benfica) m’a dit : tu vas rejoindre le Benfica. À la base, je n’étais pas un milieu défensif, mais plutôt un soutien à l’attaque. C’est de là-bas qu’ils ont demandé à ce qu’on viennent faire des tests pour leur centre de formation. À notre départ, nous étions sept et à l’arrivée, Dieu a fait qu’il ne restait que moi et un certain Abdoulaye Fall qui jouait au Jaraaf ou à la JA. C’est ainsi que j’ai intégré le centre de formation du Benfica.
Qu’est-ce que cela vous faisait de vous retrouver du jour au lendemain dans un grand club comme le Benfica ?
Ce n’était pas évident à cette époque. J’avais juste 15 ans et je n’imaginais même pas quitter ma famille pour une destination inconnue. C’est vrai que j’avais tout ce dont j’avais besoin mais je me sentais à l’écart. Je passais mon temps à pleurer. Un jour, j’avais même demandé à ce qu’on me laisse rentrer au Sénégal. Mais avec le temps, je me suis bien intégré et j’ai retrouvé la confiance. J’ai passé trois bonnes années là-bas. J’ai aussi trouvé dans ce club un grand homme qui m’a beaucoup aidé. Il s’agit de Luis Norton. Avant de mettre sur place le centre de formation de Lusitana, il est même venu me demander des renseignements avant de faire un tel investissement. Je lui avais dit qu’au Sénégal il y a beaucoup de talents cachés, mais que les moyens font défaut. Je lui avais aussi dit que ces jeunes n’ont presque pas la chance de partir à l’étranger. C’est vous dire ma relation avec cet homme.
Bien intégré à Benfica, vous rejoignez subitement la Grèce. Étrange non ?
Après mes 18 ans, Benfica n’était pas prêt à me faire signer un contrat pro. Le club voulait me garder, mais comme stagiaire. Je n’en voulais pas et la situation était devenue insupportable. Mes agents aussi ne voulaient pas entendre parler de ça. Et au même moment, d’autres clubs voulaient me recruter. J’ai demandé aux dirigeants de me laisser partir. En ce moment, je n’avais que deux choix : signer et jouer avec la réserve ou rester avec les jeunes de mon âge jusqu’à la fin de mon contrat.
Vous êtes donc allé au clash avec vos dirigeants ?
Je ne sais pas si on peut l’appeler ainsi. Mais nous avons refusé de signer. J’ai interpellé le directeur sportif en lui signifiant que je désirais quitter le club et prendre mon destin en main. De son côté, il ne voulait rien savoir, surtout de la résiliation de mon contrat. Après d’âpres négociations, nous avons eu un accord. Mon contrat a été résilié. Je suis revenu au Sénégal rejoindre les juniors pour un match contre le Maroc, je pense.
Mais en quittant Benfica, étiezvous certain de trouver rapidement un club ?
Bien sûr. En fait, j’avais un gros contrat qui m’attendait en Grèce où le club de Giannina voulait me faire venir. C’était mûrement réfléchi avec quelqu’un qui est pour moi comme un grand frère. C’est l’ancien attaquant international ivoirien Ibrahima Bakayoko (joueur du Giannina de 2009 à 2012). Bakayoko m’a convaincu de quitter Benfica. J’ai passé trois ans avec lui dans ce club. Il m’a fait grandir en tant que professionnel. Il a été un frère, un guide, car il a toujours cru en moi. Jusqu’à présent, je ne prends jamais de décision sans son avis. Je ne regrette vraiment pas d’avoir suivi ses conseils.
On peut donc dire que c’est Bakayoko qui a établi le lien entre vous et Giannina ?
Le club voulait que je vienne jouer là-bas, alors que j’étais encore au centre de formation de Benfica. Le contrat que j’avais ne me permettait pas de les rejoindre. En plus, Stéphane Demol, le coach belge qui y était me connaissait. Il fallait que je sorte libre pour pouvoir signer directement pour ce club. Ibrahima Bakayoko m’a donné des conseils. Il m’a fait savoir qu’en venant là-bas (Giannina), j’aurais plus de temps de jeu. Je n’avais que 18 ans. Et rejoindre un club qui a une histoire en Grèce, ce n’était pas facile. Débarquer dans une formation avec des objectifs et y gagner rapidement une place de titulaire, il fallait le faire. J’avais réussi tout cela et c’était extraordinaire. C’était vraiment flatteur quand les dirigeants m’ont fait savoir qu’ils comptaient construire leur projet autour de ma modeste personne. C’était une grande fierté.
Pourtant au bout de trois ans, vous avez rejoint Kalloni, une autre formation grecque…
C’est le monde du football qui est ainsi. Après le départ de l’entraîneur Stéphane Demol, le club avait quelques difficultés sur le plan financier. Ils ne parvenaient plus à payer les gros contrats. C’était un peu difficile. Par la suite, j’ai résilié mon contrat. C’est ce qui explique mon départ. Mais je garde de bons souvenirs de mon passage à Giannina. Dans ce club, j’ai terminé à deux reprises meilleur jeune footballeur du championnat. Je suis retourné jouer là-bas un jour en championnat. Notre équipe avait gagné et certains se demandaient encore pourquoi j’avais quitté Giannina.
Comment étaient vos débuts avec cette formation ?
Je rends grâce à Dieu. Depuis que je suis là, j’ai participé à toutes les rencontres de mon équipe. J’ai marqué un but crucial face à l’équipe d’Henri Camara (Panetolikos). C’était l’un des matchs les plus importants de la saison, car nous avions besoin de gagner et sortir de la zone dangereuse. Je n’ai manqué qu’un seul match (contre OFI Crête).
Quelles relations avez-vous avec Henri Camara et les joueurs sénégalais qui y évoluent en Grèce?
Henri est un grand frère. On a de très bonnes relations. Après chaque rencontre, il m’appelle pour me dire ce qui a marché, là où je dois progresser, me donner des conseils. C’est vraiment quelqu’un de bien. Ce qui me fait rigoler, c’est que parfois les gens disent qu’il est vieux. Il est vieux et chaque année il plante plus de 10 buts. Franchement, je ne comprends pas. Henri est courtisé par les grands clubs de la Grèce. C’est vraiment dommage. Il y a aussi Khalifa Sankaré qui fait notre fierté à nous tous.
Pensez-vous qu’Henri peut encore apporter quelque chose à l’équipe nationale du Sénégal ?
C’est une question où chacun a son point de vue. Mais je peux vous assurer qu’il n’a rien perdu de son talent. Quand je vois des jeunes qui ne peuvent pas faire ce qu’il fait à son âge en sélection, je pense qu’il y a un problème. Je pense qu’il a sa place dans cette équipe. C’est mon avis. A 37 ans, il est toujours au sommet et marque une dizaine de buts chaque année. Pour le taquiner, je dis souvent qu’il a fraudé sur son âge. Au lieu de 37, il aurait en réalité 26 ans, tellement il enchaine les performances en club. Ici, les gens se demandent si vraiment Henri n’a pas 26 ans. Il a vraiment une bonne hygiène de vie.
Pensez-vous déjà à l’équipe nationale du Sénégal ?
Je laisse le temps au temps. Je pense que ça viendra tout seul. Le plus important est de continuer à bosser en club, gagner sa place de titulaire et essayer d’aligner les performances. Je pense que c’est la voie la plus indiquée pour gagner sa place en équipe nationale. J’ai connu les sélections junior et cadette. Je n’ai pas encore connu la sélection Olympique. Je n’en fais pas une fixation. Je suis encore jeune et je pense que cela finira par arriver un jour. Il y a un bon entraîneur à la tête de l’équipe olympique en la personne d’Aliou Cissé. C’est un exemple, et quand je vois l’équipe jouer, il y a vraiment de la qualité. Je sais qu’il peut beaucoup apporter à cette équipe si on lui donne du temps.
Pour la prochaine saison, avezvous des offres ?
Pour le moment, je ne peux rien vous dire. Rien n’est encore fait, mais je sais que deux grands clubs me suivent et ont même envoyé leurs superviseurs à Kalloni. Je ne peux pas vous en dire plus. Vous en saurez quelque chose une fois que ce sera concrétisé.
Quel regard portez-vous sur l’équipe nationale, à quelques mois des éliminatoires de la CAN 2015 ?
Ce serait difficile de parler de l’équipe nationale du Sénégal avec une telle instabilité. Regardez vous-même. On passe tout le temps à changer, au lieu de construire quelque chose dans la durée. Il n’y a pas de continuité dans la gestion de l’équipe. Il faudra faire confiance aux dirigeants, leur donner le temps de mettre en place une équipe solide et compétitive. C’est en ce moment qu’on peut prétendre à des résultats. Ils doivent prendre exemple sur des équipes comme le Ghana ou encore la Côte d’Ivoire. Dans ces équipes, les cadres soutiennent les jeunes. Ils arrivent toujours à avoir de bonnes équipes, capables de rivaliser avec les meilleures formations du continent et du monde.
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