A 33 ans, le double Ballon d’Or africain poursuit sa carrière à Sabah, dans l’anonymat d’un club de la lointaine Malaisie. Loin des projecteurs européens, El Hadji Diouf s’est posé dans cette ville pour ouvrir son album souvenirs.
SABAH (Malaisie, depuis novembre 2014)
«Ici, je suis capitaine et entraîneur adjoint»
«Je n’ai plus rien à prouver. Mon objectif, en début de saison, était de partir très loin pour faire bénéficier aux autres de mon expérience. L’Asie m’offrait cette opportunité. C’est pourquoi j’ai signé pour un an plus une année en option, avec des objectifs précis. On m’a nommé capitaine et entraîneur adjoint. C’est une lourde responsabilité, mais ce challenge m’enchante beaucoup. Le fait que ma venue suscite un engouement énorme, me comble de bonheur. (bu fi yamoon sax mu neex). Des gens m’attendent devant l’hôtel pendant des heures, rien que pour une photo. (Diouf a marqué but et délivré une passe décisive hier contre Sarawak, 2-1)
LEEDS (Angleterre, 2012-2014)
«Les supporteurs ne voulaient pas me voir, mais…»
«Un très grand club. On ne peut pas parler du football anglais sans parler de Leeds United (trois fois champion -1969, 1974, 1992- et cinq titres de vice-champion -1965, 1966, 1970, 1971, 1972). Au début, les fans me détestaient et ne voulaient pas me voir, parce que j’ai porté les couleurs de Liverpool, un rival. A cela s’ajoutait la réputation de «bad boy» qu’on m’avait taillée sur mesure. Mais j’ai réussi à faire pencher la balance de mon côté et prendre du plaisir. Les gens qui me vouaient aux gémonies ont fini par m’adopter et aimer. C’était aussi une fierté pour moi de porter les couleurs de cette équipe.»
Doncaster (2e division Angleterre, 2011-2012)
«C’est dommage, je n’ai pas pu aider le club à assurer le maintien»
«J’étais parti là-bas pour dépanner, parce que l’équipe avait très mal débuté le championnat. J’y ai fait 15 matches et marqué 6 buts. A la fin, j’ai été blessé. C’est dommage, je n’ai pas pu aider ce club à assurer son maintien (en D2). Mais je crois avoir fait plaisir aux fans, qui n’imaginaient pas voir El Hadji Diouf porter le maillot de Doncaster. Si c’était à refaire, je n’hésiterai pas.»
GLASGOW RANGERS (Ecosse, prêt de six mois en 2011)
«Les fans du Celtic ne m’ont toujours pas pardonné»
«Un club extraordinaire ! Qui a un vécu (54 titres de champion et 33 coupes d’Ecosse, Ndlr). Dans ce pays, les fans du Celtic n’ont jamais voulu me voir. Cette histoire (de crachat en 2003 sur un supporteur en Coupe de l’Uefa contre Liverpool, 1-1 à Glasgow), les fans du Celtic ne me l’ont toujours pas pardonnée. Moi, je ne me focalise pas sur des événements, j’avance. Quand Rangers m’a contacté, je n’ai pas eu peur d’y aller. Je suis un homme. J’ai fait des bêtises, j’en ai payé le prix. Je suis retourné là-bas (en Ecosse) sans état d’âme, mais dans un seul but : gagner le championnat devant le Celtic en étant du côté de l’ennemi juré (Glasgow Rangers). J’ai réussi le doublé Coupe-Championnat. Avant mon arrivée, l’équipe était très mal barrée. Je savais que les gens m’attendaient et n’allaient pas ma rater, le cas échéant. J’ai alors pris toute la pression sur moi et l’équipe est allée beaucoup mieux. A la fin de la saison, Walter Smith (l’entraîneur) est venu me serrer la main. Il était très content.»
BLACKBURN (Angleterre, 2009-2011)
«Comme une femme, il fallait la conquérir»
«Là-bas non plus, les supporteurs ne voulaient pas me voir. Malheureusement, on était quatre à venir de Bolton, un club rival. Ce qui fait qu’on a connu un début difficile. Mais en allant là-bas, je me suis dit : même ta femme ne peut pas t’aimer du jour au lendemain, il faut la conquérir. Et avec moi, il n’y a que le foot qui parle : mon élégance sur le terrain, ma façon de jouer et mon engagement. Donc, je n’ai pas eu trop de problèmes à aller relever le défi. Avec Sam Allardyce (l’entraîneur), on a maintenu l’équipe en première division, puis enchaîné une autre saison extraordinaire. Blackburn n’a pas l’aura de Leeds (en Angleterre) ou des Rangers (en Ecosse), mais n’oublions pas qu’il est l’un des premiers à gagner la Premier League (1912, 1914 et 1995, Ndlr). Je peux y retourner sans craindre les foudres des fans.»
SUNDERLAND(Angleterre, 2008-2009)
«Le seul club où je n’ai pas pris du plaisir»
«C’est le seul club où je n’ai pas vraiment pris du plaisir. En plus d’être froid et éloigné, le climat était délétère, les relations dans le vestiaire un peu pourries. Sur le terrain, on ne tirait pas dans la même direction. C’était presque chacun pour soi, Dieu pour tous. C’était agaçant. Certains ne voulaient pas comprendre qu’il y avait des joueurs importants dans l’équipe. Je crois qu’on s’était planté sur le recrutement, moi en premier. Je n’avais pas à quitter Bolton pour aller à Sunderland. Pour autant, j’avais beaucoup de respect pour Roy Keane, un grand manager. »
BOLTON (Angleterre, 2005-2008)
«J’y ai fait une saison de malade, malgré les sifflets»
«Le club de ma ville. En quittant Liverpool pour aller à Bolton, j’avais un défi à relever. Beaucoup de clubs voulaient me recruter, mais quand j’ai rencontré Sam Allardyce, j’ai su qu’il allait être pour moi un papa, un ami et un confident. Je ne dirai pas qu’il m’a remis sur les rails, mais il m’a redonné confiance. Pour ce transfert, Jay Jay Okocha m’a demandé de venir afin qu’on puisse hisser le club au niveau européen. A l’époque, je n’y croyais pas et pensais retourner à Liverpool après la période de prêt. Mais j’ai fait une première saison de malade et les fans m’ont adopté, parce qu’au début, ils me détestaient. Ils m’ont tout le temps sifflé, mais j’ai cru en mon talent. Mon objectif était de faire en sorte qu’ils m’aiment, par A ou par B. Quand j’ai demandé à mon ami, mon frère, celui qui me protégeait, Gary Speed, pourquoi les supporteurs me sifflaient ? Il m’a dit : «Seuls les bons joueurs se font siffler sur un terrain de football.» J’ai marqué le but qui a amené Bolton en Europe (Uefa) pour la première fois (2005-2006, Bolton a été éliminé par Marseille). J’ai marqué aussi le premier but de Bolton en Coupe d’Europe (1-1 contre Braga le 26 octobre 2007).»
LIVERPOOL (Angleterre, 2002-2004)
«Pourquoi je suis allé au clash avec Houllier, Gerrard et Carragher»
«Un très grand club (deuxième plus titré, avec 18 championnats, derrière Manchester United, qui totalise 20 titres de champion). Je suis fier d’avoir porté ce maillot, d’être le premier Sénégalais à jouer dans un grand club comme Liverpool. J’ai passé des bons et des mauvais moments là-bas. Mais c’est la vie. A l’époque, j’étais en phase d’apprentissage, parce que j’étais très jeune. C’est à Liverpool qu’on a commencé à me faire jouer comme ailier droit ou ailier gauche. Pour ma première saison, je faisais partie des meilleurs passeurs (le quatrième ex-æquo. Diouf avait marqué 3 buts et délivré 8 passes décisives, Ndlr). Gérard Houllier n’avait pas fait ce qu’il m’avait promis : me faire jouer derrière l’attaquant de pointe. Il l’a fait une fois et j’ai marqué deux buts, c’était mon premier match (en amical contre Southampton en 2002, score : 3-0). Il n’a pas tenu parole et je suis allé au clash avec lui. Mais c’est quelqu’un que je respecte beaucoup. Steven Gerrard, lui, avait toujours l’œil sur moi. Je suis arrivé à Liverpool en tant que superstar, cela ne lui a jamais plu. A Jamie Carragher non plus. A Liverpool, Gerrard ne me disait jamais les choses en face. C’est quand je suis parti qu’il a commencé à parler. Je reconnais son mérite, c’est un grand joueur. Comme je le suis avec le Sénégal. Seulement, c’est un très grand joueur, mais il n’a jamais flambé en Coupe du monde. Moi, je l’ai fait. Tout seul, j’ai porté mon équipe nationale, à 75 voire 80%. Lui n’a jamais pu le faire avec l’Angleterre. Pis, il est parti sur une mauvaise note (Gerrard a annoncé sa retraite internationale après le Mondial brésilien, le 21 juillet 2014). Mon passage à Liverpool m’a plus forgé le mental qu’autre chose. Chevtchenko a quitté le Milan AC (1999-2006) en étant Ballon d’Or (en 2004). A Chelsea, il a sombré. Moi, j’ai montré que sans Liverpool je pouvais être un grand footballeur. Et j’ai toujours brillé contre cette équipe. La preuve, Carragher (défenseur central, arrière droit) qui voulait me casser la jambe, n’arrivait jamais à me voir dans un match. C’est ça le foot. Sans rancune. Sportivement, on n’est pas d’accord, mais on est des humains, de grandes personnes.»
LENS (France, 2000-2002)
«Au début, tout le monde se méfiait de moi»
«En France, c’est mon club de cœur. C’est là que tout a commencé. Quand j’ai eu des problèmes à Rennes, Lens et Toulouse m’ont tendu la main. Je devais aller à Toulouse, mais j’ai choisi Lens au dernier moment. Au début, j’étais remplaçant. Ferdinand Coly aussi était sur le banc. C’était difficile. Avec mon accident de voiture, Rennes (au retour d’une virée nocturne alors qu’il n’avait pas le permis de conduire, Ndlr), tout le monde se méfiait de moi. Pis, on m’a mis sur le banc. Je ne pouvais rien faire d’autre que mettre la pédale douce. J’ai alors pris mon mal en patience. Ferdinand me disait tout le temps : «T’inquiètes pas, on prendra les choses en main.» Le jour où on m’a mis titulaire, j’ai inscrit un doublé et je ne suis plus sorti de l’équipe. J’avais aussi un entraîneur extraordinaire : Rolland Courbis. Comme Sam Allardyce ou Bruno Metsu, c’est quelqu’un de compréhensif, qui aime le football et comprend les gens.»
RENNES (France, 1999-2000)
«Ils ont voulu se débarrasser de moi»
«C’est là-bas que j’ai signé mon premier contrat professionnel, je ne l’étais à pas Sochaux. J’ai passé deux années merveilleuses, avec de grands joueurs comme Shabani Nonda, Christian Bassila, Lamine Diatta etc. Mais quand j’ai eu un accident de voiture, ils ont voulu se débarrasser de moi. Ils m’ont prêté pour une année, j’ai flambé et j’ai refusé de revenir quand ils ont voulu me rappeler. Mais j’ai appris des choses au côté d’un très grand Monsieur : Paul Le Guen.»
SOCHAUX (France, 1998-1999)
«Ce club m’a accueilli quand Lens m’a viré»
«Ce club m’a accueilli quand Lens m’a viré. Avant d’aller à Sochaux, j’ai fait des essais à Lens, mais ils ne m’ont pas retenu. J’étais avec Makhtar Ndiaye. C’est après que Pape Samba Mbow nous a emmenés à Sochaux. Là-bas, les dirigeants m’ont gardé et on libéré Makhtar Ndiaye. Je suis allé voir Pape Samba pour lui dire : dites-leur de garder Makhtar, moi, je vais faire des essais ailleurs. Je ne voulais pas que Makhtar retourne au pays, parce que j’étais sûr de pouvoir trouver quelque chose ailleurs. Le prix de la réussite, c’était pour moi le talent et les (il hésite) tripes pour le faire. Cela dit, Sochaux est ma deuxième famille. C’est là-bas que j’ai appris le français et que j’ai passé mon Bep de comptabilité. Mes meilleurs amis y sont toujours.»