L’histoire du football sénégalais au niveau de son secteur défensif a été marquée par des paires centrales de grande qualité, comme Moustapha Dieng-Issa Mbaye, Malick Diallo-Assane Mboup ou encore Diakhou Gaye-Oumar Diop, entre autres. Mais mention spéciale au duo Roger Mendy-Racine Kane qui s’est aussi illustré entre les années 1980 et 1990. Le Quotidien a réussi à arracher quelques confidences et anecdotes croustillantes à ces deux monstres infranchissables. Entretien croisé.
On dit de vous l’une des meilleures paires centrales de l’histoire du football sénégalais. Un duo que vous avez formé pendant une dizaine d’années en Equipe nationale. Qu’est-ce que cela vous fait d’entendre de tels éloges après tant d’années ?
Roger Mendy : Tout d’abord, cela fait plaisir qu’on arrive à se souvenir de nous et d’entendre de tels témoignages. Cela veut dire qu’on a fait quelque chose dans ce pays. Maintenant, dire qu’on a été les meilleurs, voilà, ce n’est pas tellement important. Le plus important, c’est de comprendre qu’on a essayé de donner quelque chose à ce pays. Et nous l’avons fait. Maintenant, les comparaisons, ce sont les supporters, les journalistes, les amateurs de football qui les font. Nous les joueurs n’avons même pas le temps. Cela ne nous traverse même pas l’esprit de dire qu’on a été les meilleurs. Tout ce que je peux dire, c’est qu’avec Racine (Kane), cela a été quelque chose de grandiose. Il y avait un respect réciproque. Racine avait le sens de l’écoute, il était réceptif. On s’entendait à merveille. C’est pour cela qu’on est resté pendant quasiment 10 ans en n’encaissant que deux buts.
Racine Kane : Vous savez, entre Roger et moi, il y avait le respect. Et cela facilitait vraiment la tâche. Chacun protège l’autre. Du coup, cela s’est toujours bien passé. Il n’y avait pas de concurrence entre nous deux. La preuve, Roger a tout fait pour que je vienne en Europe. Vraiment, il y avait cette estime, de telle sorte que chacun faisait le maximum possible pour protéger l’autre. L’entente venait de là. Et d’ailleurs, je vais vous faire une révélation : du moment qu’on était trois au départ : Mamadou Teuw, Roger et moi. Mamadou Teuw s’est sacrifié en acceptant de jouer comme numéro 6, des fois même comme latéral, pour qu’on puisse jouer ensemble, Roger et moi. Avec ce sacrifice de Mamadou Teuw, on était obligé de faire de bons matchs. On était obligé de prouver qu’on méritait de jouer ensemble.
Qu’est-ce qui faisait votre force ?
Roger Mendy : Je crois que c’était le sens de l’écoute. Chacun de nous était réceptif. Il y a eu des moments où personne ne jouait libéro. Si l’attaquant était de mon côté, je le prenais et Racine couvrait en restant derrière. Comme il n’a pas d’adversaire direct, c’est lui qui donnait les directives. Et je les appliquais à la lettre, sans me poser de questions. Et quand le rôle me revenait, c’était pareil. On s’entendait à merveille, comme je viens de le dire. C’est cela qui nous a permis de réaliser de telles performances avec l’Equipe nationale.
Durant ce parcours, les anecdotes n’ont certainement pas manqué. Pouvez-vous nous raconter quelques-unes qui vous ont marqués ?
Racine Kane : Ah oui ! Des anecdotes il y en avait. Par exemple, je sais que Roger n’avait peur de rien. Que ce soit une compétition internationale ou autre, pour lui, tous les matchs c’était comme des matchs amicaux. Il n’avait jamais peur, jamais de pression. Il s’amusait et des fois même je criais sur lui pour lui rappeler que c’était sérieux. Je me souviens d’un match contre l’Angola. Il avait raté un penalty. Au moment d’aller tirer, Koya (entraîneur à l’époque) m’a appelé et me dit : «Dis à ton Ndiago que c’est du sérieux et que s’il rate le penalty, on est éliminé.» Et quand je suis allé le voir, il me dit : «Arrête, je vais marquer…» Il était très à l’aise, très confiant. Et quand il a raté et qu’on soit éliminé, il est venu me voir à la fin du match en pleurant pour dire qu’il était désolé et qu’il aurait dû m’écouter. Je me rappelle, c’était un match à Dakar et pourtant il avait fait un super bon match ce jour-là.
Roger Mendy : Bien évidemment, il y en eu beaucoup d’anecdotes. Je me rappelle d’un match contre le Maroc, je crois. Ce jour-là, on a eu beaucoup de difficultés à gérer l’un des attaquants adverses. C’est Racine qui devait jouer stoppeur et il avait un attaquant vraiment très coriace. Je me rappelle, ce jour-là, je lui ai dit : «Racine, je m’en occupe.» Il me répond : «Roger, ce que tu arrives à faire derrière, je ne peux pas le faire.» Et je lui dis en insistant : «Non Racine, tu pourras le faire. Laisse-moi le gars, je sais que je peux le gérer et je te fais confiance pour gérer derrière.» Et quand j’ai pris l’attaquant, on a tous commencé à respirer pendant le match. Le staff technique aussi. J’ai réussi à le neutraliser et ce jour-là Racine a fait un très grand match en assurant derrière. Et quand on en a parlé à la fin du match, il me dit : «Roger, à chaque fois que tu joues stoppeur, j’arrive à faire un bon match.» C’est cela le football, c’est la complémentarité entre coéquipiers.
Naturellement, il y a eu des moments très difficiles. Vous rappelez-vous de certains matchs où cela n’a pas été facile pour vous deux ?
Racine Kane : Je crois que le seul match où on a eu des problèmes, c’était au Zaïre. Je me souviens que lors de ce match, l’arbitre voulait coûte que coûte que le Zaïre gagne. Donc, on s’est dit qu’on devait tout faire pour que les attaquants adverses ne rentrent pas dans la surface de réparation. Et pendant 90 minutes, ils n’ont pas pu pénétrer dans la surface. On savait que dès qu’ils entraient dans la surface, l’arbitre allait siffler un penalty sur le moindre contact. Toutes nos actions étaient sifflées hors-jeu. Dès que Bocandé ou Thierno Youm partaient, ils étaient signalés hors-jeu. Alors que du côté adverse, l’arbitre ne sifflait pas de hors-jeu. On était donc obligé de bloquer les attaquants très haut, hors de la surface. On a réussi à le faire, mais ce fut un match très difficile. Malheureusement, on a finalement été éliminé aux tirs au but. Ce qu’il faut noter aussi, à l’époque on avait de très bons attaquants, mais aussi une très bonne défense avec Pape Fall, Mamadou Teuw, Roger et moi et Cheikh (Seck) dans les buts. C’était vraiment costaud. On s’entendait bien et on était tous de la même génération.
Roger Mendy : Bien entendu ! Il y a des jours sans. Il y a eu des moments où on arrivait même à s’engueuler parce qu’il n’y avait rien de facile. Il est arrivé que ce soit moi qui passe de travers ou Racine. Mais on arrivait toujours à trouver la bonne formule pour sauver les meubles. Ce n’était pas fréquent, mais il arrivait bien évidemment qu’on passe à côté.
Avez-vous trouvé une paire qui vous ressemble en Equipe nationale ces dernières années ?
Roger Mendy : Il y en a eu bien évidemment. Je prends l’exemple de Mamadou Teuw avec qui j’ai joué pendant un bon moment. On avait presque le même jeu, le même style. Même sur les sorties de balle, il y avait de la technicité. C’était inné chez lui. Avec lui, je me suis beaucoup senti à l’aise. Après quand il y a eu Racine, on a déplacé Mamadou au milieu. Il y a eu aussi Mamadou Marème Diallo et pas mal d’autres joueurs. Ils étaient tous contents de jouer avec moi et c’était partagé. A l’inverse, j’étais plus fatigué parce qu’il fallait se battre pendant 90 minutes. Il fallait toujours les replacer, les encourager. Donc, ce n’était pas facile pour moi, mais il fallait le faire. Pour ce qui est de la nouvelle génération, je ne vois pas de grands changements. Il y a une seule différence entre eux et nous. C’est qu’on se parlait beaucoup. C’est ce que je reproche d’ailleurs aux jeunes d’aujourd’hui. Techniquement ils sont bons et beaucoup plus costauds que nous. Sur le plan athlétique, c’est de beaux mecs. Il leur manque seulement la communication. Il n’y a personne qui prend une décision pour prendre un attaquant. Ils sont souvent en zone et quand ils sont attaqués, les deux reculent le plus souvent. C’est comme s’ils étaient deux libéros. C’est cela la grande différence entre eux et nous. Mais il faut dire que c’est un grand plaisir de les voir jouer. En plus, avec un joueur comme Koulibaly (Kalidou), c’est la sérénité, la force tranquille de cette équipe. Ce garçon est extraordinaire. Ces gamins sont en train de satisfaire tout le monde.
Racine Kane : Je dois dire qu’actuellement, on a la chance d’avoir un très grand défenseur comme Koulibaly. Je peux dire que c’est l’un des meilleurs défenseurs centraux que le Sénégal ait connus. Il faut dire la vérité. Il est costaud ce gamin. Je suis trop fier de lui. Maintenant, c’est un peu compliqué de comparer des générations. En plus, je suis très mal placé pour dire qu’on était les meilleurs ou que telle paire était proche de nous. On avait une très belle équipe. Malheureusement, nous n’avons pas pu aller loin et gagner des trophées. Aujourd’hui l’espoir est là. On a une très bonne équipe. Souhaitons qu’ils puissent gagner quelque chose parce que ce sont de très bons joueurs quand même !
Comment ça se passe actuellement entre vous ?
Racine Kane : Avec Roger, cela fait un bon moment qu’on ne s’est pas parlé au téléphone, mais on s’envoie parfois des messages.
Roger Mendy : On est en contact de temps en temps. On se parle des fois, surtout quand il est en vacances au Sénégal. On a gardé de très bons rapports. Il n’y a pas que Racine. Il y a également les autres. Il y a un respect mutuel entre nous.