Enfin ! Amara Traoré a parlé. Loin d’un déchaînement impétueux, mais comme dans un tourbillon en plein mouvement, l’ancien sélectionneur national du Sénégal a répondu à toutes les questions qui brûlaient les lèvres des sportifs : de sa «bouderie» du championnat local à son limogeage du banc de l’équipe du Sénégal en passant par son exil guinéen, rien n’a été oublié. Entretien exclusif
Coach, pourquoi depuis votre limogeage de la tête de l’équipe nationale du Sénégal vous vous êtes emmuré dans le silence ?
Vous savez, dans la vie des hommes, on a souvent besoin d’une période de méditation. C’est vrai que j’ai gardé longuement le silence. J’en ai profité pour réfléchir sur beaucoup de choses. Depuis que je suis dans le football, c’est la seule période où j’ai eu un moment de break. Cela fait du bien de se retirer un tout petit peu. On ne peut pas être tout le temps sur la brèche. On a besoin de prendre du recul mais surtout d’évaluer tout ce que l’on a fait sur le plan professionnel. Quand je suis parti de l’équipe nationale du Sénégal, j’avais des propositions, mais j’avais besoin de me reposer mais aussi de passer du temps avec ma famille. J’ai fait 18 ans de carrière professionnelle avant de me reconvertir dans le métier d’entraîneur. Je n’ai pas eu le temps de m’occuper de ma famille. Ce break m’a permis de voir de près certains détails.
Qu’avez-vous retenu de cette période de break ?
Les conclusions ne seront pas connues comme ça. Je les garde pour ma carrière d’entraîneur. N’oubliez pas que je suis un jeune entraîneur avec beaucoup de vécu. La carrière d’un entraîneur est comme un long fleuve. Ce break que j’ai fait sera traduit en fonction de mes convictions, mais aussi de ma manière d’aborder les choses. Ce sont des détails intéressants.
Qu’est-ce qui explique votre exil en Guinée quand on sait que vous étiez pressenti au Jaraaf et dans plusieurs clubs sénégalais ?
En un moment, j’ai été effectivement sollicité par le Jaraaf et l’US Ouakam. Malheureusement, cette période a coïncidé avec ma période de réflexion. J’ai failli signer à Ouakam et en équipe nationale du Niger. Moi, je suis Sénégalais ; je fais toujours partie du contingent footballistique sénégalais. Après, il était évident qu’il fallait reprendre son boulot et aller de l’avant. C’est à partir de là que l’AS Kaloum (D1 Guinée) est venue me chercher. J’en profite pour remercier le président de l’US Ouakam, Mamez(surnom de Oumar Guèye Ndiaye, ndlr) parce qu’on était en pleine négociation avec son club. Il m’a encouragé d’aller dans la sous-région. Cela prouve que les entraîneurs ne sont pas têtus. On est très ouvert, il faut juste savoir nous convaincre.
Qu’est-ce qui a motivé votre choix du championnat guinéen ?
L’entraîneur a besoin d’expérience et de culture. Quand Kaloum s’est présenté, j’ai réfléchi mais en même temps j’étais pressé d’aller découvrir ce championnat. À mon arrivée, j’étais agréablement surpris par ce qui se passe en Guinée. Je suis très content d’y être ; j’étais à la découverte de sensations, heureusement que j’en ai découvert de bonnes. Aujourd’hui, avec le recul, je dis que j’ai tardé à y aller.
Avez-vous atteint vos objectifs à l’AS Kaloum ?
Il faut d’abord savoir quels étaient les objectifs de l’AS Kaloum au départ. Quand j’arrivais l’objectif c’était de bâtir une équipe pour l’avenir et Kaloum avait un point après les cinq premières journées. Je devais construire une équipe d’avenir pour la Ligue des Champions. On avait une politique qui nous permettait de recruter d’anciens joueurs. Avec le président Bouba Sampil, on a effectué un bon travail parce que quand il prenait l’équipe celle-ci était en bas de tableau. Petit à petit, on a positionné l’équipe à la 3ème place du championnat. Ce n’est pas mal. Quand on démarre comme ça avec des changements de joueurs tout le temps, c’est très difficile de gagner le championnat. Je ne sais pas ce que vous appelez atteindre son objectif. Si je devais continuer avec Kaloum et que je ne gagne pas le championnat cette saison, je dirais oui, je n’ai pas atteint mon objectif. On a fait du bon boulot à Kaloum. Quand un entraîneur passe souvent on l’oublie, mais aujourd’hui mon départ suscite beaucoup de commentaires auprès des supporters de Kaloum. Je n’ai eu aucune animosité avec le président. On a de bons rapports et mieux en quittant le club, j’étais toujours sous contrat.
Qu’est-ce qui est à l’origine de votre départ de Kaloum ?
Il y avait une autre politique qui, peutêtre, ne correspondait pas avec ma vision. Je n’étais pas en fin de contrat. Celui-ci devait arriver à terme au mois de février prochain. C’est pour cela que les supporters n’ont pas compris mon départ.
D’après le président de l’AS Kaloum, El Hadji Diouf aurait argué de votre présence sur le banc pour ne pas signer dans ce club guinéen…
Je ne suis pas au courant de cela.
Qu’en est-il alors ?
Je ne sais pas (éclats de rires).
Comment avez-vous atterri à Horoya AC, «l’ennemi» de l’AS Kaloum ?
Le président de Horoya (Antonio Souaré, ndlr) a su me convaincre ainsi que son manager (Mbaye Touré, ndlr). Il est en train de diriger un grand club africain avec un centre de formation qui sort de terre. Aujourd’hui, on va cheminer ensemble pour professionnaliser le club et l’organiser. J’ai un contrat de 2 ans. Et je pense que le président de Horoya a une vision du football africain et il veut vraiment réussir.
Comment appréhendez-vous votre prochain adversaire en Ligue africaine des champions, le club mauritanien de Nouadhibou ?
Je l’ai souvent dit, le tirage est fait pour se rencontrer. Je n’ai pas l’habitude de dire si le tirage est facile ou difficile. Quand on doit rencontrer une équipe, il faut la respecter. Si elle est à ce niveau et qu’elle est championne de son pays, c’est parce qu’elle a le niveau, surtout que le football mauritanien est en train de se repositionner dans l’échiquier africain. Nouadhibou est un adversaire de taille qu’on prendra sérieusement. On aura le maximum d’informations sur lui, qui nous permettront de nous battre pour la qualification.
Une rumeur fait de vous un candidat sérieux à la succession de Michel Dussuyer à la tête du Syli national…
C’est vrai qu’il y a de plus en plus des rumeurs en Guinée qui me placent comme potentiel successeur de Michel Dussuyer. Là, il n’y a que mon président Antonio (Souaré) qui peut répondre à cette question.
Mais vous êtes le concerné…
Oui, mais je viens de signer dans un club et seul le président de Horoya peut répondre à cette question.
Confirmez-vous des contacts avec la Fédération guinéenne de foot ?
Vous savez, le Syli national ne se refuse pas. Pour moi, c’est un honneur et une fierté que mon nom soit cité parmi les potentiels candidats. Ça prouve qu’il y a un travail que j’ai fait. Sur cette question, je n’ai pas de réponse, il n’y a que mon président qui est habilité à y répondre. Moi, je respecte les principes et je suis sous contrat.
Vous n’avez toujours pas répondu à la question…
Je n’ai rien à confirmer ou infirmer sur cette question.
Après la CAN-2012, vous aviez promis de parler au peuple sénégalais qui vous attend toujours. Pourquoi ce silence ?
Pourtant j’ai parlé. Quand je parlais, les gens croyaient que je parlais pour moi. Ce que je dis ne change pas. J’avais dis que l’avenir du Sénégal, c’est l’équipe de Bata. Parce que d’abord, j’étais à l’époque, le sélectionneur national. Je vivais en direct tout ce qui se passait au sein de l’équipe. On pouvait garder cette équipe de Bata en mettant quelques touches de jeunesse pour permettre à la mayonnaise de prendre. C’est comme ça que l’on pouvait bâtir une équipe. Après, on peut y greffer deux à trois autres joueurs. Aujourd’hui, depuis la CAN-2012, on ne s’est plus qualifié. Que ce soit à la CAN-2013 ou au Mondial 2014. Quand je disais cela, c’est parce qu’il y avait dans l’équipe des garçons qui ont déjà un vécu. On ne peut pas changer toute l’équipe. Les faits sont là je ne dis pas qu’ils me donnent raison, mais le constat est le même.
Deux ans après, quelle explication donnez-vous à cette débâcle de Bata où le Sénégal est rentré avec zéro pointé en trois matchs ?
Pendant deux ans, cette équipe a fait des choses extraordinaires sur le plan international et toute la presse du monde vantait son mérite. Vous pensez que cette équipe peut, en dix jours, battre de l’aile ? Non, ce n’est pas possible, il y a quelque chose d’inexplicable qui s’est passé.
Reconnaissez-vous que personnellement, vous avez failli à votre mission ?
Je vous ai dit que c’est inexplicable. Quand on ne réussit pas une mission, on peut, quelque part, se dire ça. C’est normal. Tout le monde sait que l’équipe ne méritait pas ce qu’elle a connu à Bata. Un entraîneur ne peut pas être sous les projecteurs pendant deux ans et devenir, en dix jours, le plus nul. Non je ne suis pas d’accord. Il faut être réaliste. Tout le monde a vu que l’on avait tout le temps des occasions mais ça n’entrait pas. Vous savez, feu Mawade Wade disait que le boulot d’un entraîneur s’arrêtait une fois que le ballon est devant les buts, mais quand un attaquant manque la cible ce n’est pas de la faute de l’entraîneur. Et tout le monde a vu le nombre de fois que le ballon était devant les buts adverses. Depuis deux ans, tout le monde cherche des explications, mais personne ne trouvera la réponse.
Nourrissez-vous toujours des regrets par rapport à votre limogeage ?
Cela n’a plus d’importance. Maintenant que je ne suis plus là, je pense que ce n’est pas la peine d’y revenir. Avec le recul, des gens disent que c’est une erreur de changer comme ça, mais je crois que ça n’a plus de sens.
Les Sénégalais veulent savoir où est-ce que vous en êtes avec votre passif financier avec la FSF ?
Quand on limoge un sélectionneur, on doit le dédommager s’il n’est pas en fin de contrat. S’il est sous contrat, il y a une manière de le faire. Les deux parties doivent se rencontrer pour discuter pour trouver une solution à l’amiable. Malheureusement, cela ne s’est pas fait. Maintenant, avec le temps, les deux parties ont trouvé un accord ensemble afin de passer à autre chose.
Quelle appréciation faites-vous du travail d’Alain Giresse ?
Je félicite d’abord la Fédération d’avoir laissé Alain Giresse continuer son travail. On ne peut pas, tout le temps, changer après chaque campagne. Je n’ai pas eu cette chance. Parce qu’à l’époque, moi, je n’avais pas droit à l’erreur. Pendant deux ans, j’ai tout gagné, mais après la première erreur, il faut dégager. Comme si je n’ai pas droit à l’erreur. Maintenant, si je me félicite de l’élection du président de la Fédération, Me Augustin Senghor, c’est parce qu’on apprend dans l’erreur. Il faut un vécu. C’est là que l’on peut avoir un très bon président de Fédération ou un très bon sélectionneur national. On a laissé Alain Giresse continuer malgré l’élimination du Sénégal. Là, il prépare une autre campagne. Si on prend l’exemple guinéen, on voit que le Syli national était éliminé au premier tour de la CAN-2012, il ne s’est pas qualifié à la CAN- 2013. Pourtant, c’est Michel Dussuyer qui était toujours là. Ce n’est qu’après l’élimination au Mondial 2014 qu’il a été remercié. Même si l’entraîneur ne gagne pas, il faut aller jusqu’au terme du processus. Ce qui me gène, c’est que l’on jubile après une élimination. Il faut bien évaluer l’élimination pour faire cap sur 2015. Il faut aider Giresse en l’entourant de bonnes ressources humaines. Il ne faut pas s’arrêter là. On ne doit non plus se tromper sur l’évaluation. J’ai vu les chapeaux des éliminatoires de la CAN-2015 et je dis attention. Le premier chapeau est très difficile. Il ne faut pas sous-estimer les équipes. Il faut aider le coach en le mettant dans les meilleures conditions possibles pour que l’on puisse se qualifier pour la CAN-2015. Alain (Giresse) a tout mon soutien et mon appui et je répondrais à la Fédération si on a besoin de mes idées.
Il a fallu onze mois à Giresse pour que son équipe trouve un équilibre. N’est-ce pas trop pour une sélection qui ambitionne de jouer les premiers rôles ?
Il faut faire une bonne évaluation. Ce n’est pas dans les journaux que je dirai à Alain Giresse ce que je pense. Je le ferai quand je serai face à lui parce que c’est un professionnel jusqu’au bout des ongles et il a le sens de l’écoute.
Auriez-vous accepté de travailler comme assistant si Alain Giresse vous l’aviez demandé à son arrivée ?
Je suis un entraîneur et je suis prêt à être adjoint de… (Il ne termine pas la phrase). En tout cas, je suis prêt à travailler avec tout le monde. Si Giresse m’avait demandé d’être son adjoint, j’aurais accepté sans problème. Mais là, il a un staff. Il travaille avec Bouba (Pape Boubacar Gadiaga) et Sidate Sarr, deux grands techniciens que je respecte beaucoup. Abdoulaye Sarr a été mon adjoint et je ne pense pas que ça soit une exception pour mon cas. Il faut vraiment être prétentieux de ne pas accepter ce genre de poste. Souvent, on me colle l’étiquette selon laquelle je ne veux pas être adjoint de qui que ce soit. Si je l’avais dit, c’est par rapport à un contexte bien précis. À l’époque, il y avait un entraîneur qui était là. Après l’élimination, il voulait faire endosser la responsabilité aux adjoints. J’ai dit non, si c’est comme ça laissez aux adjoints poursuivre le travail. C’est dans les discussions que j’ai donné mon point de vue. Après, j’étais adjoint d’Abdoulaye Sarr. À l’époque, si Giresse me l’avais demandé j’allais l’accepter sans problème.
Le Sénégal aura-t-il une carte à jouer pour les prochaines échéances après ce qu’il a montré face à la Côte d’Ivoire à Casablanca ?
Il faut se méfier du dernier match que le Sénégal a joué contre la Côte d’Ivoire. Ce satisfecit général me fait peur. Ça a été un match qui n’a pas livré tous ses secrets. C’est pour cela que je dis que si je vois Giresse on discutera entre techniciens. La Côte d’Ivoire avait une avance de deux buts à gérer. C’est l’entraîneur qui parle non le supporter que je suis. Maintenant pour les échéances à venir, je pense que si l’évaluation est exhaustive, on pourra avoir de belles choses.
©Stades