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C’est une des règles non écrites du sport. Elle n’a pas force de loi, mais c’est ce que les us, les coutumes et les pratiques consacrent. Là où le mérite est collectif, l’excellence est du domaine individuel.

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Ainsi les fins d’année sont devenues des moments de rituel où les enfants prodigues monopolisent les projecteurs, accaparent les tapis rouges et investissent les podiums. Le travail de tous leur revient et ils s’affirment comme la tête qui dépasse le corps, pour représenter l’image parfaite du groupe et manifester l’identité.

Le principe du «meilleur» n’est pas à rejeter, mais les dérives du Ballon d’Or commencent à en pourrir l’esprit. Quand on prime un élément, il ne faut pas oublier qu’en sport, c’est un «ciment invisible qui conduit une équipe à gagner». Quand on sacre le meilleur buteur, l’inspiration la plus féconde est souvent celle du passeur décisif. Quand on honore ce passeur décisif, cela rappelle ce que disait l’ancien Nantais Japhet Ndoram, originaire du Tchad, à propos de l’«avant-dernier passeur» dont la contribution à l’acte final rappelle ce que l’architecte est au bâtiment.

Finalement, pour ne pas trahir l’esprit collectif du sport, on a créé l’équipe-type. Sauf qu’elle ne vaut que sur le papier. Pour ne pas frustrer les personnalités fortes qui s’expriment en toute diversité dans le jeu, on sacre aussi le fair-play. Et comme plus on est des fous plus on rigole, des simulacres de prix existent pour les semelles de plomb qui visent les tibias à 10 centimètres du sol, sans oublier les prix orange pour ceux qui collaborent le mieux avec les médias, là où on presse un citron sur les têtes de lard hostiles aux micros.

Désormais, on prime tout, on prime partout. Cela fait partie du jeu. Le sport à besoin de multiplier ces points de fixation pour susciter l’intérêt et entretenir la passion, diversifier ses produits pour accroître les indices de rentabilité.

Les titres de champion ne suffisent plus. Une équipe qui gagne est un tout massif, un ensemble trop compacte qui ne véhicule que les valeurs liées à ses propres couleurs. Ses supporteurs l’adulent, les autres le détestent ou se montrent indifférents.

Ce qui marche le mieux aujourd’hui demeure la marchandisation de l’individu. Messi ou Ronaldo, Ibrahimovic ou Ribéry, la comparaison réveille toutes les passions. Les victoires suffisent à définir la meilleure équipe, le meilleur joueur se dessine avec des variables que la passion construit chez l’un et déconstruit chez l’autre. La comparaison n’est jamais raison dans ce domaine et la planète entière peut se diviser autour de deux ou trois hommes.

Ceux qui ont eu à fixer les règles d’élection du Ballon d’Or ont eu le nez creux en laissant des ouvertures où le subjectivisme peut se déverser comme un torrent. Quand on parle d’ensemble des performances individuelles et collectives pendant l’année considérée, de classe du joueur, de carrière, de personnalité et de rayonnement, pour déterminer le meilleur, c’est ouvrir un espace d’élucubrations infini.

Depuis quatre saisons, le duel Messi-Ronaldo est plus explosif que la guerre froide entre l’Est et l’Ouest il y a trente ans. Se prononcer relève parfois de l’incident diplomatique et on a vu le président de la Fifa se confondre en plates excuses après s’être moqué de Ronaldo pour mieux encenser Messi.

Finalement, le Ballon d’Or commence à faire plus de bruit qu’une Coupe du monde.

Primer l’excellence est une forme d’émulation positive dans le sport, mais l’ambiance délétère qui se développe autour de ce trophée montre qu’on n’est plus dans un espace de compétition limité au champ de jeu. Les accusations de manipulation des votes montent, les nationalismes s’exacerbent et les querelles de clocher installent une sourde cacophonie.

Tout cela est de bon ton. Plus on en parle, plus l’intérêt est évident, plus le succès en fait un produit de commercialisation à grande échelle. Aujourd’hui, il y a deux Ballon d’Or : le trophée qui est devenu une vedette en lui-même et le joueur qui brille par le joyau qui lui est décerné.

Mais un collier de diamants ne brille pas du même éclat au cou d’un prince qu’en dessous du menton d’un roturier. Ce qui ramène à l’idée de départ. Le Ballon d’Or est une affaire de grand joueur, mais celui-ci est porté par une histoire écrite au sein d’une grande équipe.

Interrogé récemment sur ses préférences pour l’attribution du trophée de cette année, Arsène Wenger a récemment déclaré et inspiré cette chronique : «Je ne donnerais pas de Ballon d’Or du tout, car je suis contre les récompenses individuelles. C’est une obsession ridicule des joueurs, et c’est pour moi une marchandisation de l’individu qui va à l’encontre des principes de notre sport. Je me bats depuis toujours contre ces récompenses superficielles. Ça fait beaucoup de mal au foot, parce que le joueur est amené inconsciemment à donner priorité au jeu individuel plutôt qu’au collectif.»

On ne peut sans doute pas enlever au football la sacralisation de ses dieux, mais il y a mille fois plus important qu’un Ballon d’Or. Et cette démesure qui enfle tend vers le ridicule.

© Waasport

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