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Trois jours après les Trophées de la CAF à Dakar, le président de la Fédération sénégalaise de football est revenu sur cet événement pour RFI. Augustin Senghor, en poste depuis 2009, dresse également un bilan de ses dix années à la FSF et de ses grandes ambitions pour le foot de son pays : gagner la CAN 2019 ou 2021, et coorganiser la CAN 2025 avec la Guinée, la Gambie et la Mauritanie.

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RFI : Augustin Senghor, quelques jours après ces Trophées de la Confédération africaine de football (CAF) et la réunion du Comité exécutif de la CAF sur le pays-hôte de la CAN 2019, quel bilan tirez-vous de l’organisation de ces événements au Sénégal ?

Augustin Senghor : C’était un défi assez important pour la CAF et pour le Sénégal d’organiser un événement d’envergure comme ces CAF Awards 2018. […] Mais, au finish, je pense qu’on est rassuré et surtout satisfait de constater que tout s’est bien passé. On a eu un programme intéressant, qui s’est déroulé sans anicroches. Et on a pu terminer en apothéose avec ces CAF Awards à Diamniadio. D’après les retours qu’on a eus, les gens semblent très satisfaits de cette organisation. Nous autres, membres de la CAF et du Comité d’organisation local, nous ne pouvons qu’être fiers d’avoir réussi ce pari et d’avoir mis la barre assez haute.

Sur le plan sportif, les Sénégalais ont été déçus de ne pas voir Sadio Mané être sacré Joueur africain de l’année. Et c’est encore plus vrai concernant le titre d’entraîneur de l’année qui a échappé au sélectionneur de l’équipe du Sénégal, Aliou Cissé. Partagez-vous leur sentiment ?

Je comprends leur déception ! Je suis sénégalais et le président de la FSF ! Ces récompenses individuelles sont attendues dans tous les pays et par tous les supporters.

On était déjà surpris de ne pas voir certains noms sénégalais sur les listes finales, que ce soit celui de Kalidou Koulibaly pour le titre de Joueur africain de l’année, ou que ce soit Moussa Wagué et Ismaïla Sarr ; tous ces jeunes qui ont brillé durant la dernière Coupe du monde. Il y a aussi Diao Keita Baldé qui monte. Il n’était même pas dans la liste des présélectionnés. […]

Je pense qu’on est moins déçu pour Sadio Mané parce que c’était serré avec Mohamed Salah et que ce dernier a peut-être été davantage décisif, sur certains aspects. Par contre, on a fortement été surpris de voir qu’Aliou Cissé n’avait pas été choisi comme entraîneur de l’année, même si on connaît la qualité d’Hervé Renard, qui est proche du Sénégal. Les deux précédentes fois où Hervé Renard a gagné ce titre, il l’a mérité amplement. Mais là, on est plutôt surpris qu’Aliou ne soit pas vainqueur. Sur l’ensemble de la saison, des compétitions et de la tenue des équipes nationales, je ne vois pas d’entraîneur qui ait fait mieux que lui. Mais comme ce sont des votes qui font la différence, c’est plus subjectif qu’objectif.

Les victoires collectives sont plus importantes que les victoires individuelles. Le message que j’adresse à Aliou et à Sadio, c’est qu’il faut gagner les prochaines compétitions, en 2019. Et je suis sûr qu’on fera ainsi une razzia à la prochaine édition des CAF Awards !

Ces dernières années, les Trophées de la CAF avaient toujours lieu au Ghana ou au Nigeria. Le fait que le Sénégal ait été choisi pour organiser l’édition 2018 prouve-t-il que le Sénégal est redevenu un pays influent à la CAF ?

Oui, je pense. Depuis plusieurs années, en-dehors de nos ambitions sportives, on avait à cœur de placer ou de replacer le Sénégal au cœur de l’échiquier international du football.

On voit les nominations de Sénégalais à des postes importants, comme celle de la Secrétaire générale de la Fédération internationale de football (FIFA), Fatma Samoura, moi-même qui ait intégré le Comité exécutif de la CAF ou d’autres Sénégalais qui sont très présents dans le dispositif de la CAF.

C’est également important pour asseoir notre rayonnement, d’accueillir des événements comme les CAF Awards, des Coupes d’Afrique des nations, des tournois sous-régionaux. Cela contribue au fait de placer notre pays parmi les locomotives du football africain. En-dehors des pays d’Afrique du Nord et de l’Afrique du Sud, je pense que le Sénégal est bien placé. C’est important pour nous de poursuivre dans cette voie.

Lorsque vous avez été élu président de la FSF, en 2009, la situation était catastrophique. L’équipe du Sénégal avait vécu une CAN 2008 décevante et avait été piteusement sortie en éliminatoires jumelées CAN / Coupe du monde 2010. Sur quels aspects a-t-il fallu beaucoup travailler pour que les « Lions » deviennent réguliers ?

On ne le dit pas assez mais, si les heures de gloire du football sénégalais ont été vécues en 2002, c’est aussi de là que sont parties toutes nos difficultés. Parce que, à partir du moment où l’on a brillé en Coupe d’Afrique et en Coupe du monde, on s’est mis à penser qu’on pouvait utiliser les mêmes raccourcis pour être performant à chaque fois. Alors que c’était tout à fait faux…

En réalité, on avait profité de l’existence de génération de grands talents, mais périodique. Le Sénégal produit des talents depuis des lustres. Mais tout ça ne reposait pas sur un socle solide, sur une organisation, sur une politique de développement du football qui soit viable.

En 2009, on a dressé ce diagnostic, puis le mandat du Comité de normalisation gérant la FSF a pris fin. En ce qui me concerne, je ne m’étais pas prédestiné à diriger la Fédération. J’ai dit qu’il fallait remettre en place les fondamentaux, avec notamment un Championnat régulier et professionnel (même si c’est à l’état embryonnaire !), bâtir un vrai football de jeunes. C’est comme cela qu’on a stabilisé les choses.

Il fallait aussi faire comprendre aux Sénégalais qu’une victoire ne se construit pas du jour au lendemain. Il fallait du temps et de la stabilité, avec des joueurs pris très tôt. Dans la génération actuelle des « Lions », plusieurs étaient déjà là chez les moins de 23 ans lors de la CAN U23 2011 et lors des Jeux olympiques 2012.

Aliou Cissé lui-même est venu car il entrait dans notre projet. On voulait prendre un jeune entraîneur sénégalais et le laisser mûrir. C’est d’ailleurs une occasion pour moi de saluer la mémoire de celui qui l’a accompagné à ses débuts, Karim Séga Diouf, qui est décédé il y a quelques jours.

Aujourd’hui, ces choix sont en train de porter leurs fruits. Depuis deux ans, on est toujours parmi les cinq premiers pays africains au Classement FIFA. Les résultats sont là. On est retourné en Coupe du monde. On se qualifie régulièrement à la CAN. Je dirais que le fruit est presque mûr pour être cueilli. Sur les deux prochaines éditions de la Coupe d’Afrique, on ambitionne de gagner le trophée. On veut mettre un terme à cet anachronisme qui fait que le Sénégal est considéré parmi les meilleurs pays du football africain, parce que ses joueurs évoluent dans les meilleurs championnats, alors que notre palmarès est vide. C’était ça mon challenge lorsque j’ai été élu en 2009 et ça l’est toujours aujourd’hui. […]

Le Sénégal doit-il gagner la CAN 2019 ou 2021 pour être considéré au même niveau que d’autres nations d’Afrique de l’Ouest comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana ?

(Il coupe) D’Afrique de l’Ouest mais aussi d’Afrique centrale, comme le Cameroun, ou d’Afrique du Nord, comme l’Egypte. Aujourd’hui, nous voulons que notre nom figure sur le palmarès de la compétition. Et ce ne serait pas immérité.

Car, ces dernières années, nous n’avons pas eu beaucoup de réussite. Mais je pense que c’est aussi dû au fait que nous n’avions pas pris les choses par le bon bout.

Cette année, toutes nos sélections sont qualifiées en phase finale de la CAN, que ce soit les U17, les U20 et les séniors. Et on espère que les U23 iront également en phase finale. Ça prouve que du travail a été accompli. […]

Notre premier objectif est de ne plus manquer aucun rendez-vous. Et, à force de travail, nous réussirons à gagner ce premier trophée. Aujourd’hui, nos adversaires nous défient souvent en nous disant qu’on est bon mais qu’on ne gagnera jamais. Or, on veut leur montrer qu’on sait gagner. […] On veut passer d’un football qui compte à un football qui gagne.

J’en suis à mon troisième mandat. Et je voudrais bien boucler la boucle avec un premier trophée et pouvoir dire que la mission est remplie.

Le fait que la CAN 2019 ait lieu en Egypte, chez l’un des favoris du tournoi, est-ce une mauvaise nouvelle pour les « Lions » ?

Quand on est bon, peu importe où on doit jouer ! L’Egypte n’est plus, à mes yeux, cette machine collective, qui était capable de renverser tous ses adversaires, qui avaient des ressources mentales énormes. Lors de nos dernières confrontations, on s’en est toujours bien sorti. Donc, moi, je suis ok pour une finale Egypte-Sénégal à la CAN 2019 ! On les battra !

Puisqu’on parle de pays-hôte de la CAN, le Sénégal pourrait-il se présenter prochainement à l’organisation d’une Coupe d’Afrique des nations ?

C’est notre vœu ainsi que celui des autorités sénégalaises. Lors des entretiens qu’on a eus, ces derniers mois, avec le président de la République, il a exprimé ce souhait. Il a une politique qui consiste à essayer de renforcer les infrastructures sportives.

Avec l’organisation des Jeux olympiques de la jeunesse, on va avoir un nouveau stade olympique de 50.000 places, à Diamniadio [à 30 kilomètres au sud-est de Dakar, Ndlr]. Le Stade Léopold Sédar Senghor, qui en fait 60.000, va être rénové et réhabilité pour en faire une enceinte moderne. Et il y a trois autres stades ailleurs dans le pays, à Ziguinchor, à Saint-Louis et à Diourbel qui vont être refaits à neuf. Ça nous donnera cinq ou six stades.

Mais notre projet, maintenant que la CAN se joue à 24, est de faire une coorganisation avec nos voisins de Guinée, de la Gambie et de la Mauritanie. Du point de vue géographique, nous avons cette proximité. Les distances ne sont pas énormes. Le Sénégal pourrait être la plaque tournante d’un tournoi de grande envergure, organisé par trois ou quatre pays. C’est en tout cas notre ambition. […]

Depuis 1992, nous n’avons pas organisé la CAN. Le Sénégal a montré ses capacités à accueillir de grands événements, notamment à travers les CAF Awards. On a des infrastructures qui se développent partout. On est bien loti sur le plan des hébergements, en ce qui concerne les hôtels notamment. Les autoroutes sont en train de se développer. On a deux grands aéroports. Le Train Régional Express est en train d’être mis en place. Le Sénégal sera capable, dans quatre ans, d’organiser une grande CAN, seul ou avec d’autres pays.

Faîtes-vous référence à la CAN 2023, que la CAF veut confier à la Côte d’Ivoire, ou à la CAN 2025, dont l’organisation est désormais promise à la Guinée ?

Si on suit la logique qui est la nôtre à la CAF, le Cameroun organisera la CAN 2021 et ce sera certainement la Côte d’Ivoire qui abritera la CAN en 2023. Le Sénégal ne peut donc que se positionner sur 2025, si la Guinée accepte un principe de coorganisation ou si elle se désiste. […] 2025, ça peut être dans nos cordes. […]

On en a discuté avec les dirigeants de la Fédération guinéenne de football (Féguifoot). Mais ça dépend de la volonté politique des deux Etats. C’est d’abord à la Guinée de se dire qu’elle ne va pas organiser seule ce tournoi. Car il y a souvent une question de fierté nationale qui prime. Car on veut montrer qu’on est capable d’organiser la CAN tout seul.

Si le Cameroun avait envisagé une coorganisation avec des pays voisins, il y a un an, peut-être que la CAN 2019 n’aurait pas été délocalisée.

Si les discussions que nous menons avec la Féguifoot peuvent être confirmées par les autorités des deux pays, ce serait quelque chose de grand pour nos deux pays ainsi que pour le football africain.

Les équipes nationales sénégalaises, surtout masculines, se portent bien. Mais en ce qui concerne le football local, c’est moins reluisant. Vos clubs vont, par exemple, rarement loin en coupes d’Afrique. Est-ce une déception ?

Je pense que c’est davantage lié au modèle économique de notre football local, qui vient tout juste de se professionnaliser. Il s’est professionnalisé sans l’appui des autorités étatiques et sans sponsors majeurs. C’est seulement au bout de dix années que nous avons signé avec un partenaire TV, à savoir une chaîne de télévision chinoise.

Je pense que notre modèle fait que nous sommes davantage un vivier de joueurs pour les grands clubs européens, maghrébins et d’Asie. Lorsqu’un de nos clubs est performant, l’année suivante, tous les joueurs partent. Comme on ne conserve pas nos joueurs, c’est difficile de pouvoir exister en Afrique. […]

En attendant d’avoir davantage de moyens, l’important est de consolider la régularité de nos championnats ainsi qu’un modèle qui permette aux joueurs de gagner davantage d’argent. Ainsi, petit à petit, nous aurons des équipes fortes, capables d’aller à la conquête de l’Afrique. Il faudra cinq à dix ans pour y parvenir, à mon avis, en essayant d’être objectif. Je pense que nos clubs ne sont pas encore outillés pour les compétitions continentales. […]

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