Il y a dix-sept ans, le 10 février à Bamako, le Sénégal s’inclinait en finale de la CAN 2002 face au Cameroun (0-0, 2-3 au t.a.b). L’ancien défenseur Ferdinand Coly, qui en était, rêve que l’équipe d’Aliou Cissé, son coéquipier à l’époque, fasse mieux, vendredi soir au Caire contre l’Algérie.
Le Sénégal était annoncé comme un des favoris avant la CAN, un statut que le sélectionneur et les joueurs refusaient. Pourtant, il est en finale…
J’avais lu ou écouté les différentes déclarations. Moi, cela ne m’a pas surpris que le coach ou les joueurs tiennent un discours mesuré. Ils disaient juste que le Sénégal avait des ambitions, mais que d’autres équipes pouvaient revendiquer ce statut de favori, comme l’Égypte par exemple. Il y avait une certaine humilité, du bons sens aussi. Cela m’a plu. Aujourd’hui, le Sénégal est en finale. Cela n’est arrivé qu’une fois, en 2002, et cela s’est mal terminé pour nous. C’est peut-être aussi pour cela que les paroles étaient mesurées, sages. La stratégie était bonne. La preuve…
Cette génération a fait aussi bien que la vôtre…
(Il coupe) Les comparaisons sont inévitables. Moi, je veux qu’elle fasse mieux. Donc qu’elle gagne la CAN.
Depuis des années, le Sénégal est présenté comme une grosse équipe en Afrique. Mais elle n’a toujours rien gagné, et on est un peu la risée des autres, de ceux qui ont gagné au moins une fois la CAN. Donc, ce que je veux, c’est qu’on soit champion d’Afrique. Et que cette génération fasse mieux que la mienne ! Pour ma part, il n’y aurait aucune jalousie. Ce serait stupide. Je ne vais pas revenir sur le terrain. Cette équipe est en train d’écrire son histoire, qu’elle aille au bout. Ce serait fantastique. Quelque part, elle est dans la continuité de ce qui avait été fait en 2002. L’époque, c’est vrai, n’était pas la même. En quatre mois, on avait joué la CAN, puis la Coupe du monde ! Ensuite, le foot sénégalais avait connu un creux, de quelques années. Et depuis 2011, c’est reparti, avec Amara Traoré, puis Giresse et Aliou Cissé. J’ai été team-manager de la sélection, il y a des joueurs que j’ai vus débuter. Huit ans plus tard, ils ont la possibilité de devenir champions d’Afrique. Tout ça s’est construit sur la durée.
Quelle impression vous a fait le Sénégal depuis le début de cette CAN ?
Il a passé le premier tour logiquement avec l’Algérie. C’était tout de même prévisible, sans faire injure à la Tanzanie et au Kenya. La défaite face à l’Algérie (0-1) a montré que les Algériens avaient du répondant au niveau physique, et je pense qu’Aliou Cissé saura comment aborder ce match. On a vu une équipe sénégalaise qui a fait le job au premier tour. Contre l’Ouganda (1-0), puis contre le Bénin (1-0), des équipes d’un niveau supérieur à la Tanzanie ou au Kenya, elle est montée en puissance, en montrant des choses plus cohérentes. C’est normal qu’une équipe monte en puissance. Au début d’un tournoi, il y a les effets de la saison, de la préparation, des adversaires très motivés…
On dit souvent que cette équipe n’est pas toujours spectaculaire…
Peut-être, mais elle gagne, elle avance… Elle est capable aussi de très bien jouer, mais elle s’appuie d’abord sur une défense très solide. Ensuite, elle a des individualités très fortes. Idrissa Gueye, dans un rôle plus offensif qu’à Everton, peut se projeter plus vite vers l’avant. Devant, il y a des mecs comme Mané, Sarr, Niang, capables de faire la différence n’importe quand. Il est vrai que si on compare les deux finalistes, l’Algérie propose un jeu plus spectaculaire. On ne peut pas le nier.
Est-ce que cette équipe sénégalaise est à l’image de son sélectionneur ?
Oui, comme toutes les équipes. Elle est comme Aliou, capable du meilleur comme du pire. (Il éclate de rire.) Non, sérieusement, cela fait plus de quatre ans qu’il est là. Il a apporté sa rigueur, sa discipline, son sérieux. Il a atteint ses objectifs. Il a une Fédération qui le laisse travailler, et qui a compris que la stabilité technique était nécessaire. Aliou, quand il était joueur, était un bosseur. Il donnait tout sur le terrain. Il demande beaucoup à son équipe au niveau de l’implication, de l’intensité.
Parlez-nous de Sadio Mané. Sa CAN est-elle à la hauteur des attentes ?
Mané, on lui demande beaucoup. Parfois trop, car il ne peut tout faire. C’est un joueur de classe mondiale, qui vient de faire une grande saison avec Liverpool. Il est arrivé en Égypte fatigué. Mais il est petit à petit monté en puissance. Contre le Kenya (3-0), il met un doublé. Contre l’Ouganda, il marque. Face au Bénin, c’est lui qui fait la passe décisive pour Gueye. C’est le genre de joueur qui est capable d’influencer le cours d’un match. Pour l’instant, il fait le job. C’est un catalyseur, capable d’attirer l’attention des défenseurs adverses, de créer des brèches pour ses coéquipiers. Désormais, il s’apprête à disputer une finale, et c’est aussi dans ce type de match qu’un joueur de sa dimension peut être décisif.
Contre la Tunisie, en demi-finale (1-0), ce n’est pas lui qui a tiré le penalty, mais Henri Saivet. Ce qui a surpris quelques observateurs…
Pas moi. Sadio Mané a manqué deux penaltys contre le Kenya et l’Ouganda, et je crois qu’il s’était mis d’accord avec le staff technique pour ne pas tirer le prochain. Que ce soit Saivet qui ait été désigné ne me surprend pas, car on connaît sa qualité sur les coups de pied arrêtés. Et puis, il n’a pas raté son penalty, qui est plutôt bien tiré. C’est surtout Hassen, le gardien tunisien, qui fait un très bel arrêt. On verra qui tirera si le Sénégal bénéficie d’un autre penalty. Et si la finale se joue aux tirs au but, je suppose que Mané prendra ses responsabilités…
Kalidou Koulibaly, suspendu, manquera la finale. Une absence forcément pénalisante pour les Lions de la Téranga…
Koulibaly, c’est un top player, un cadre de l’équipe, un pilier de la défense. Alors, oui, son absence est un gros handicap, car il compose avec Kouyaté un duo très complémentaire. Mais celui qui devrait le remplacer, Salif Sané, n’est pas un petit nouveau. Il est en sélection depuis des années, il a déjà joué avec Kouyaté. Cissé a d’ailleurs eu raison de le faire entrer contre la Tunisie, pour lui donner un peu de temps de jeu. Il revenait de blessure depuis le premier match contre la Tanzanie (2-0).
Au fait, que devenez-vous depuis la fin de votre carrière ?
Je gère des affaires immobilières, j’ai aussi investi dans quelques restaurants. Et j’ai aussi une autre activité, dans l’agriculture, qui est plus un loisir. Je vis à Saly, à 80 kilomètres de Dakar, où c’est beaucoup plus tranquille. Dakar, ça peut devenir vite étouffant. Quand j’y viens, je ne reste pas trop longtemps. Ou alors, je me réfugie vite sur une petite île juste à côté, pour être au calme, quand je suis obligé de rester quelques jours dans la capitale. Mais pour la CAN, je me suis permis de m’accorder du temps. J’ai aménagé mon emploi du temps en fonction des matchs. J’ai quasiment tout vu. Et globalement, j’ai plutôt apprécié…