31 mai 2002. La France championne du monde et d’Europe en titre va lancer sa campagne en Coupe du Monde de la FIFA, Corée/Japon 2002™.
C’est le Sénégal, qui dispute sa toute première compétition planétaire, qui a l’honneur d’affronter les Bleus en match d’ouverture.
Et face à Fabien Barthez, Lilian Thuram, Marcel Desailly ou encore Thierry Henry (Zinedine Zidane est absent pour blessure), les Lions de la Téranga font plus que repartir avec l’honneur sauf. Dirigés par le Français Bruno Metsu, qui nous a quittés en 2013, ils envoient une onde de choc dans le monde du football en battant les Bleus 1-0 à Séoul.
Papa Bouba Diop, lui aussi disparu (en 2020), délivre tout un continent en marquant à la 30e minute après une percée sur le flanc gauche d’El-Hadji Diouf. FIFA+ est donc parti à la rencontre de Diouf, l’ailier passé par Sochaux, Lens, Liverpool, Bolton et les Rangers, entre autres, pour qu’il nous raconte cette journée mémorable et ce parcours incroyable jusqu’en quarts de finale.
À l’âge de 41 ans, après avoir raccroché les crampons après 70 sélections avec le Sénégal (24 buts), il est aujourd’hui “ambassadeur de toutes les équipes nationales du Sénégal et conseiller proche du sélectionneur Aliou Cissé”, son capitaine à l’époque de ce succès il y a 20 ans.
Retour sur ce fameux 31 mai qui a fait entrer les Sénégalais dans l’histoire.
FIFA+ : Quels sont vos premiers souvenirs de la Coupe du Monde 2002 ?
El-Hadji Diouf : En fait, [mes premiers souvenirs remontent] au tirage au sort ! J’étais avec Lens à Monaco et le coach Joël Muller avait organisé quelque chose pour qu’on puisse regarder en direct le tirage. Et on tombe sur qui ? La France. Il y avait [Bruno] Rodriguez à l’époque, Cyril Rool, [Daniel] Moreira, [Guillaume] Warmuz. Toute l’équipe de 2000 qui jouait les premières places du Championnat de France. Dès qu’on a vu France – Sénégal, tout le monde s’est levé et ils ont commencé à me chambrer. Ça y est, pour eux, ça allait être une déroute pour l’équipe du Sénégal.
Moi, je connaissais notre puissance. On n’avait pas de star à cette époque-là, mais on avait une équipe soudée, avec des potes qui avaient envie d’écrire leur histoire et faire rêver tout un pays extraordinaire qui attendait de jouer une Coupe du Monde. Pour nous, la cerise sur le gâteau, c’était de tomber contre la France. On savait que tout le monde croyait que la France allait nous broyer. Mais on savait aussi que ce jour-là, on pouvait en faire notre jour. Le 31 mai 2002.
Justement, ce 31 mai 2002, dans quel état d’esprit sont les Lions de la Téranga ?
La veille du match, on a vu que l’équipe de France n’était pas venue s’entraîner sur le terrain du stade. Il paraît qu’ils avaient dit qu’ils n’avaient pas besoin de ça pour battre le Sénégal… D’après les journaux, ils allaient gagner 8-0. On avait entendu tellement de choses, donc on s’était dit : “Les gars, on est quand même les Lions, on n’est pas les Coqs ! Comment un coq pourrait manger un lion ? C’est impossible.” (rires)
Je me souvenais de la façon dont ils m’avaient chambré, je pensais à tout ça. On avait notre orgueil et on avait envie de voir notre famille heureuse, d’être heureux nous-mêmes. On avait envie que nos familles soient fières de nous.
Est-ce que ce match était plus qu’un match ?
Oui. En fait, on avait envie de continuer à écrire l’histoire que les Camerounais avaient commencée avec la génération de Roger Milla [quart de finale en 1990]. La génération de Jay-Jay Okocha nous avait aussi fait rêver [le Nigeria a participé aux huitièmes en 1994 et 1998]. On s’est dit : “Si Jay-Jay Okocha l’a fait, si Monsieur Roger Milla l’a fait, pourquoi pas nous ? Les gars, on est capables de le faire !”
On se devait d’écrire l’une des plus belles pages de l’histoire de l’Afrique et de la Coupe du Monde. Parce qu’on peut dire ce qu’on veut, mais la plus belle victoire depuis que la Coupe du Monde existe, c’est celle du Sénégal sur la France.
Parce que la France était championne du monde et championne d’Europe, avec tous les meilleurs joueurs du monde, tous les meilleurs buteurs des grands championnats. En face, c’était nous, le Sénégal. Des jeunes formés au Sénégal et des jeunes issus de l’école française par la suite.
Si vous ne reteniez qu’une chose de cette journée, ce serait quoi ?
Je me souviens de notre causerie d’avant match. Bruno Metsu est rentré dans la salle et comme il avait l’habitude de le faire, il a tiré ses cheveux vers l’arrière en disant : “Qu’est-ce que je pourrais vous dire aujourd’hui ? Je crois que ça fait longtemps qu’on est ensemble. Et je vous connais tellement. Vous êtes tellement fous les gars. Je sais que ce soir après la fin du match, les gens parleront de nous partout dans le monde. Levez-vous et montrez-moi ce que vous savez faire.”
C’était beau. On n’avait pas besoin de se parler, il nous a regardés et il savait ce dont on était capables de faire ce jour-là.
Comment était l’ambiance pendant le match après le but de Diop ?
À la mi-temps, quand on gagne 1-0, on rentre au vestiaire et on est tous contents. On se tape dans les mains. Bruno Metsu rentre alors énervé. Il nous a remonté les bretelles ! “Les gars, ce n’est pas encore fini ! Il reste encore 45+5 minutes. Je n’ai rien encore vu ! C’est à la fin du match qu’on se tape dans la main.” C’était magnifique.
Bruno Metsu est quelqu’un qui est venu de nulle part et qui a été plus Sénégalais que n’importe quel Sénégalais sur Terre. Ce que j’ai aimé de Bruno Metsu, mais aussi de Jules-François Bocandé [dans le staff en 2002], c’est que leur parole passait. Ils étaient comme nos pères, nos parents, nos grands frères. On avait envie de mouiller ce maillot, on avait envie de gagner, on avait envie de travailler ensemble. On s’aimait et on avait envie de faire des coups ensemble et d’écrire les plus belles pages de l’histoire du football mondial ensemble.
Que s’est-il passé dans les jours suivants cette victoire historique ?
Quand on est rentrés à l’hôtel, on zappait à la télévision et on voyait qu’on était sur toutes les chaînes du monde, tout le monde ne parlait que de nous. Toutes les télévisions, en Chine, en Asie, en Amérique du Sud, dans chaque maison des Lions. On avait accompli un travail extraordinaire.
Est-ce que cette victoire et ce parcours en Coupe du Monde ont changé quelque chose dans votre vie ?
Bien sûr. C’est la Coupe du monde qui a fait qu’El-Hadji Diouf a été un joueur de classe mondiale. C’est bien de jouer en Ligue des champions, c’est bien de jouer en championnat, mais un très grand joueur, c’est celui qui sait porter son équipe nationale.
C’est la Coupe du Monde qui a changé ma vie. C’est pour ça que j’ai été nommé dans le FIFA 100, parmi les 100 meilleurs joueurs du siècle par Pelé. Si je n’avais pas joué une Coupe du Monde ou si je n’étais pas un joueur qui avait éclaboussé de tout son talent une Coupe du Monde, je ne ferais pas partie de la crème de la crème et je ne serais pas une légende de la CAF et une légende de la FIFA.
Gardez-vous des amis parmi cette équipe du Sénégal de 2002 ?
On n’est plus des amis, on est des frères. On a tous le même nom de famille : Sénégal. On a tous le même prénom : Lion. Chez nous, on dit : “Un jour Lion, toujours Lion”. On est des frères, on se voit toujours, on a notre groupe WhatsApp, on rigole tous ensemble. Il y en a qui ne sont plus là, c’est dommage. Mais on restera toujours soudés et fidèles à notre culture et à notre Sénégal natal.