Ancien coach des Lions de la Téranga, Lamine Dieng n’est plus à présenter dans le monde du football. Trouvé dans son luxueux domicile, sis aux Hlm Grand Yoff, l’homme à l’air décontracté en cette journée du mercredi où le roi soleil dicte déjà sa loi sur les êtres. Accoudé au balcon de sa maison, il grille tranquillement sa cigarette tout en nous invitant dans un salon bien meublé. Cet homme, qui a obtenu tous les diplômes d’entraineur, revient avec nous sur le limogeage de Joseph Koto qui défraie la chronique présentement. Il a aussi abordé avec nous l’avenir du football sénégalais non sans révéler ses ambitions pour l’équipe nationale du Sénégal.
Quelle analyse faites-vous du limogeage de Joseph Koto ?
Cela me mortifie parce que, comme par le passé, l’entraineur a servi de bouc émissaire. Mais, Joseph Koto devait s’y attendre, compte tenu du contrat à durée déterminée qu’il avait signé. Il devait savoir qu’il allait sauter tôt ou tard. Donc, je ne pense pas qu’il soit touché au plus profond de lui-même. Cependant, nous compatissons parce que c’est le même corps des entraineurs. Ce n’est pas la fin du monde. Il doit rebondir aussitôt pour pouvoir continuer sa carrière de coach. Nous connaissons le métier. Il a ses risques, surtout lorsque les gens s’attachent aux résultats chiffrés. Toutefois, il faut reconnaitre que c’est un véritable défi de pouvoir faire une équipe de football en si peu de temps, parce qu’une sélection, au-delà de son aspect disparate, avec des joueurs venant de tous les horizons, est une véritable gageure de fédérer toutes les forces en tirant dans le même sens. C’est assez difficile. Je pense qu’il n’avait pas mesuré la difficulté de la tâche avant d’accepter de s’inscrire dans ce type de contrat.
Mais, est-ce que le fait de virer le coach à chaque fois qu’il y a débâcle ne fragilise pas l’équipe nationale ?
C’est n’est pas un facteur de stabilité. Peut-être celui qui va venir aura une autre manière, une autre vision du foot, et qu’il va s’atteler à la mettre en route. Il est beaucoup plus facile de travailler dans la durée. Ce sont les fédéraux qui choisissent un entraineur pour présider aux destinées du football sénégalais. Et, si cet entraineur ne remplit pas les objectifs qui lui étaient assignés, quelque part il est normal qu’il parte. A ce jeu, ce sont les coaches qui sont toujours perdants. Je pense que les gens, avant de venir, pèsent aussi leur chance de pouvoir durer, même dans ce carcan.
Bon nombre de supporters disent que le Sénégal n’a pas d’équipe mais juste une sélection
C’est vrai. Il y a une très grande différence entre une sélection et une équipe. Un groupe qui peut aller très loin, on peut l’appeler une équipe parce qu’en ce sens, l’effectif est stable. En général, dans une équipe, les forces sont tout le temps présentes. C’est-à-dire, qu’on doit convoquer les mêmes joueurs. A force de se côtoyer, ils parviennent à avoir une complicité, une certaine harmonie dans le jeu. Chaque groupe a une dynamique et celle-ci se forge beaucoup plus facilement dans une équipe où les éléments sont stables que dans une sélection qui ne s’attèle qu’à prendre les joueurs performants du moment. Or, une équipe se fonde sur des éléments qui sont, à la limite, permanents. Cela est le rôle de l’entraineur. Il lui appartient de forger, de former et de mettre sur place une équipe dont il fait lui-même partie.
Est-ce que les joueurs aussi n’ont pas participé à cette déroute ?
C’est le coach qui choisit les joueurs. Il doit parvenir à ce que les joueurs aillent au fond dans le jeu car c’est lui qui leur offre les possibilités d’éclore, de montrer toutes leurs capacités face au monde. L’entraineur doit faire de sorte que les joueurs augmentent sa côte sur le marché des transferts ou bien même de gagner un trophée quelque part à la fin. Ceci étant dit, je ne pense pas qu’on peut inculper les joueurs. Parce que, tout coach, grand ou petit, est responsable de l’engagement de ses joueurs. Je suis sûr que les joueurs ne veulent que jouer. Encore une fois, tout dépend du coach qui saura choisir ses hommes pour pouvoir mener à bien l’équipe nationale.
D’après des informations, les fédéraux sénégalais pistent Alain Giresse pour remplacer Joseph Koto ?
Sorcier blanc ou expert local, compte tenu de la mondialisation du football, comme tous les autres secteurs d’activités, les gens peuvent aller monnayer leur talent dans un pays ou un autre. C’est un principe qui est reconnu aujourd’hui. Mais, je dis encore une fois, et c’est ma devise : « Domou reew moye defar rewame » (Ndlr : le développement d’un pays ne peut se faire qu’avec ses fils). Je suis à 200% pour l’expertise locale.
Mais est-ce qu’un entraîneur local peut diriger les rênes de l’équipe nationale si l’on sait qu’ils peinent toujours à atteindre les objectifs qui leur sont fixés ?
Pourquoi pas ? On a vu Henry Kasperzack, on a vu Guy Stéphan, ils ont été des coaches de l’équipe nationale et, pourtant, ils n’ont conduit l’équipe nulle part. Donc, les blancs qui sont passés par là aussi font légion. On a beau donner l’équipe à des entraîneurs étrangers, ils n’ont jamais fait de résultats. Je pense que la vérité éclatera le jour où on fera confiance à l’expertise nationale. Il faut juste les mettre dans de très bonnes dispositions. En les sécurisant avec un contrat, peut-être à durée déterminée, mais inscrit dans le temps. Quatre ans sont largement suffisants pour bâtir une équipe digne de ce nom. Et, je suis persuadé qu’il y a la possibilité de le faire en engageant un entraineur local. Si on fait confiance à cette expertise locale, on décrochera la grosse timbale.
Donc vous optez pour un entraineur local ?
Bien sûr que oui. Je ne vois pas pour quelle raison le Sénégal devrait solliciter les blancs si l’on sait qu’il y a des entraineurs très compétents, capables de gérer l’équipe nationale du Sénégal. Nous sommes sortis des mêmes écoles. La différence avec les blancs, c’est qu’ils sont dans des structures très organisées et que leurs autorités compétentes mettent tous les atouts de leur coté pour qu’ils mènent à bien leur mission. Ainsi, si les conditions sont réunies, si les gens s’inscrivent dans la durée, s’ils s’obligent à respecter les conditions de travail, un entraineur local pourrait conduire très loin cette équipe.
Certains disent qu’Aliou Cissé est l’homme de la situation……….
Evitons encore une fois de tomber dans la précipitation. Il y a un cas que je ne voudrais pas citer qui nous a valu une débâcle, du fait que les gens brûlent les étapes dans la formation. Dans la carrière d’un entraineur, il faut franchir des paliers. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. C’est vrai qu’on peut avoir un parchemin, mais il faut le cheminement à travers beaucoup d’organisations d’équipe. Cela permet d’acquérir une certaine expérience pour conduire les destinées d’une équipe nationale. Je ne pense pas qu’on puisse, du jour au lendemain, passer d’entraineur formé à entraineur ayant entre ses mains la destinée d’une équipe nationale. Il faut d’abord de la compétence pour coacher une équipe nationale. Et, cette compétence ne s’acquiert pas du jour au lendemain. Il faut du temps pour s’aguerrir à travers différentes pérégrinations, à travers des clubs, des sélections nationales pour aboutir au sommet de la pyramide avant de prétendre conduire une équipe nationale. Je dis donc, attention !
Êtes-vous intéressé par le poste de sélectionneur national ?
C’est un secret de polichinelle de dire que je suis intéressé par le poste de sélectionneur national. Je suis prêt à diriger l’équipe nationale. Mais c’est la direction technique qui définit la politique générale de développement du football. Il faut tout de même un bon projet pour faire développer le football.
Ne pensez-vous pas que les fédéraux aussi devraient démissionner ?
Ce n’est pas possible. Si, on le fait, on va s’attirer des foudres de la CAF. Ils sont élus démocratiquement. Ils sont intouchables. D’ailleurs, je me demande ce qu’ils ont fait pour démissionner. Je dis encore une fois qu’il ne faut pas juger les gens sur un aspect d’un ensemble d’objectifs. Pour la première fois, ils ont qualifié l’équipe olympique, ils ont qualifié l’équipe cadette et l’équipe féminine, entre autres résultats. C’est autant d’objectifs de réussite face à ce revers enregistré contre l’équipe ivoirienne pour cette qualification de 2013. La CAF a blindé leur contrat avec le peuple sénégalais.
Vous attendiez-vous à une victoire de l’équipe du Sénégal lors de la rencontre contre la Cote d’Ivoire ?
Non. Dans mon for intérieur, je ne m’y attendais pas, vue la façon dont on avait pris le match. A mon sens, on avait quelque part sous-estimé l’équipe ivoirienne, la vieillissant déjà, alors qu’elle était encore en possession de tous ses moyens pour battre n’importe quelle équipe dans le monde. Finaliste de la dernière CAN, meilleure équipe d’Afrique, je pense que la Côte d’Ivoire avait des atouts et elle les a montrés. Une autre démarche et des choix judicieux des joueurs auraient pu ouvrir la voie du succès. On devrait bien choisir les joueurs qui allaient se confronter avec cette équipe de la Côte d’Ivoire. Mieux, il fallait aussi être beaucoup plus soudé, plus motivé. Il me semble que la source de motivation qui a été employé n’était pas la meilleure. Le groupe n’était pas galvanisé.
Quelle lecture faites-vous des incidents du 13 octobre dernier ayant entraîné l’arrêt du match?
C’est une chose qu’il faut vraiment regretter. Ce n’est pas parce qu’on est frustrés qu’on doit vandaliser. C’est un aveu de faiblesse, de rancœur. Ce n’était pas la meilleure façon d’exprimer son mécontentement. Les supporters pouvaient, avant la fin de la rencontre, sortir du stade et rentrer tranquillement chez eux, sans casse ni violence. Ils auraient pu laisser l’équipe avec des gradins vides. Cela était beaucoup plus significatif que de saccager ou de provoquer la violence.
Réalisé par ALIOU DIOUF
Le Pays au Quotidien