Votre organisation regroupe quelque 300 membres. Qu’est-ce qui a changé dans leurs conditions d’exercice durant ces trois ans ?
Je pense qu’actuellement, les entraîneurs bénéficient de beaucoup plus de considération. Les présidents des clubs ou dirigeants savent maintenant que les entraîneurs ont une certaine organisation. Aujourd’hui, des présidents de clubs me demandent à être orientés sur un profil d’entraîneur. Donc, c’est important. Après, il y a des litiges qui naissent effectivement entre un employeur et son employé, mais généralement quand nous intervenons, nous arrivons à trouver la meilleure solution. En ce qui concerne la formation des formateurs, des actions sont menées de concert avec la Direction technique nationale et celle chargée de la formation des entraîneurs. Nous arrivons effectivement à faire des propositions pour ce qui concerne le déficit de formateurs.
Aujourd’hui, est-ce que les entraîneurs au Sénégal ont un traitement digne de leur rang ?
Oui, mais il reste encore beaucoup de choses à faire et je pense qu’au niveau de la formation, les choses bougent. Actuellement, en Afrique, on parle de licence A Pro, qui est la plus haute ; après il y a la licence A, B, C et D. Mais actuellement au Sénégal, on a un déficit au niveau de la licence A, car on compte seulement une dizaine d’entraîneurs qui ont cette licence. C’est déjà un gap à combler par rapport aux autres pays africains, parce que si vous avez la licence A, vous pouvez entraîner dans n’importe quel club en Afrique ou même en Ligue des champions et en Coupe Caf. Cette année, pour prendre les exemples du Casa Sports et de Génération Foot, ces deux clubs ont été obligés de faire appel à des entraîneurs qui ont ces licences-là pour pouvoir être sur le banc. Parce qu’actuellement, pour compétir en Afrique, il faut un entraîneur qui a cette licence, et dans nos clubs, il n’existe pratiquement que la licence B.
Quels sont les problèmes auxquels vos collègues sont régulièrement confrontés dans l’exercice de leur fonction ?
Le premier écueil, c’est déjà le contrat, le respect des contrats. Mais nous, nous avons des contrats que nous leur proposons généralement. Donc, c’est important que ces contrats soient respectés, leur durée aussi. Ensuite, il y a les négociations entre le club et l’entraîneur, concernant particulièrement la demande de résultats. À mon avis, si le contrat est rompu, il faut que l’entraîneur puisse être dédommagé à sa juste valeur parce que c’est un contrat, mais généralement, là aussi, il y a des difficultés. Les autres problèmes sont liés aux objectifs qu’on fixe à l’entraîneur et les moyens qu’on met à sa disposition.
L’autre aspect, c’est la pression que les clubs mettent sur l’entraîneur jusqu’à le pousser à ne même plus travailler dans la tranquillité, parce que, il faut le dire, un entraîneur doit avoir un projet bien défini et travailler dans une certaine durée. Mais au Sénégal, les clubs ne donnent pas du temps aux techniciens, à part les académies qui sont stables sur ce point. Au Sénégal, tu signes un contrat pour une durée de trois ans, mais au bout d’un an, on te demande de faire des résultats. Il y a également une certaine pression des supporters, la violence. Il va falloir essayer de juguler tous ces aspects, afin que notre football puisse aller de l’avant.
Comment jugez-vous le niveau de nos entraîneurs ?
Par rapport aux résultats des sélections, tous les entraîneurs qui ont remporté des trophées en Afrique sont formés ici. Que ce soit Aliou Cissé, Pape Thiaw, Malick Daf… Pour dire qu’il y a de la qualité et que le niveau est bon. Maintenant, le problème, c’est au niveau des clubs, parce que ces derniers n’ont pas les moyens pour garder leurs joueurs. Donc, dans ce sens-là, on a un certain déficit par rapport au club au niveau africain. Mais si on y regarde de près, on voit bien qu’il y a beaucoup d’entraîneurs sénégalais, actuellement, qui sont dans les pays africains, comme Lamine Ndiaye, Youssouph Dabo, Demba Mbaye… Ces techniciens mettent en valeur l’expertise sénégalaise. Ce n’est pas pour nos beaux yeux que d’autres pays recrutent nos entraîneurs, mais c’est parce qu’ils ont des compétences. Ensuite, quand vous allez dans les stages que nous partageons avec d’autres entraîneurs étrangers, on sent nettement que les entraîneurs sénégalais ont une très bonne formation.
La saison 2023-2024 démarre dans quelques jours. Comment appréhendez-vous ce nouvel exercice ?
Il faut dire que c’est une année électorale, je ne sais pas si le calendrier va être maîtrisé ou pas. On l’a vu l’année dernière, il y avait beaucoup d’incidents qui ont fait qu’à un moment donné, les équipes sont restées plus d’un mois sans jouer. On avait arrêté le championnat. Ce sont des choses qu’il va falloir contourner pour pouvoir dérouler régulièrement. L’autre aspect, c’est dans l’attractivité de notre football, car il faut le dire, c’est un championnat professionnel qui n’a pas encore les moyens. On a envie d’avoir des télévisions qui se bousculent pour pouvoir montrer nos matchs ; les sponsors doivent venir aider le football, de même que l’État. Si le spectacle n’est pas attrayant, les gens ne vont pas se bousculer pour montrer notre championnat. Il va falloir qu’on fasse des efforts, qu’on prenne le taureau par les cornes. Si on ne le fait pas, on va rester dans cette misérable vie qui n’honore pas notre football.
Le statut des entraîneurs exerçant au niveau des clubs de la Ligue pro répond-il à vos exigences ?
On a un problème fondamental de statut et de cadre juridique. Parce qu’au Sénégal, les textes disent que le sport est un loisir. C’est ce combat-là que nous sommes en train de mener ; le statut juridique qui prend en charge clairement l’entraîneur et le joueur professionnel. On en discute tous les jours. C’est au niveau étatique que ça doit se faire ; c’est à ce niveau que se situe le goulot d’étranglement pour pouvoir mettre en place un football professionnel digne de ce nom.
Quelle est la part de responsabilité des entraîneurs dans la baisse du niveau de nos clubs ?
On ne peut parler de baisse du niveau de nos clubs, si on le compare au niveau africain. Avec le faible revenu de nos joueurs ici, aucun ne te dira qu’il veut être professionnel au Sénégal. Il pense toujours qu’il doit partir et les clubs ne peuvent pas le retenir. Si on prend un cas très patent, c’est celui de Génération Foot qui est champion du Sénégal cette année, mais qui, à l’intersaison, a perdu 22 joueurs, alors qu’on pensait qu’elle allait se renforcer pour aller à la conquête de l’Afrique. Parce que ces joueurs gagnent plus en partant à l’étranger. À mon avis, si on veut concurrencer les clubs africains, on doit pouvoir garder nos meilleurs joueurs, leur donner les moyens qu’il faut.
Aujourd’hui, si vous allez au Maroc, vous y trouverez le meilleur buteur du Sénégal ; c’est une façon de renforcer ton futur adversaire. Le véritable problème, c’est cela. Notre football est un émetteur, parce que les gens travaillent pour d’autres clubs ; c’est cette dualité-là qui fait qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. On va vendre des joueurs et essayer de gagner, c’est impossible. C’est une philosophie que les gens ont adoptée. Tout le monde essaie de former pour transférer.
Chaque année, on note une valse des entraîneurs. Qu’est-ce qui explique cette instabilité et quelle est la solution ?
J’ai parlé tantôt de la stabilité au niveau des académies. Quand vous allez là-bas, c’est presque les mêmes entraîneurs qui y sont depuis 10 ans dans la formation, dans la préformation ; dans l’élite, c’est la stabilité qui leur donne des résultats. Maintenant, l’autre aspect, c’est dans les clubs traditionnels ou bien dans les clubs classiques où il y a beaucoup de pressions des résultats. L’entraîneur qui est en place est dans une obligation de résultats, sinon c’est la porte avant même la fin du contrat. C’est ce qui fait que le climat est tendu. Après, il y a aussi le problème des diplômes, parce que maintenant, pour pouvoir exercer en L1, L2, il faut au minimum la licence B. Il y a d’autres entraîneurs qui peuvent être intérimaires, comme ce fut le cas de Laye Guèye du Jaraaf et qui a même gagné la Coupe du Sénégal, mais qui n’a pas le diplôme requis pour pouvoir entraîner en L1.
Il y a un déficit au niveau des licences ; ce qui fait qu’en début de saison, la Ligue est très regardante sur cela. Donc les clubs ont l’obligation de prendre un entraîneur qui a le diplôme requis pour pouvoir lui faire la licence. C’est ça qui crée généralement ces valses. Parfois aussi, un club quitte la L2 pour la L1, et il y a dans le contrat des articles qui stipulent que si vous montez, il y aura une augmentation dans le salaire ; s’il n’y a pas d’accord, l’entraîneur est obligé de quitter.
Est-ce qu’au Sénégal, les entraîneurs vivent bien de leur science ?
Il y a vraiment des améliorations, parce que maintenant, il y a des contrats ; ce qui n’existait pas avant. Mais actuellement, il y a des entraîneurs qui ont un certain niveau qui peuvent honnêtement vivre de leur science. Ensuite, il y a la concurrence aussi de l’étranger, car beaucoup peuvent monnayer leurs talents ailleurs ; c’est ce qui fait que maintenant les clubs sont obligés de mettre la barre un peu haut pour avoir la qualité avec les entraîneurs qu’ils choisissent. En ce moment, il y a des présidents de club qui ont des difficultés pour trouver des entraîneurs avec un certain niveau. Et puisqu’il y a un déficit à ce niveau, les entraîneurs peuvent bien négocier pour bien vivre. Seulement, ce ne sont pas tous les entraîneurs qui ont des diplômes qui peuvent le faire. Nous sommes un syndicat de plus de 300 membres, mais il n’y a qu’une centaine qui exerce actuellement.