Les Lignes de Tidiane Kassé
C’est la vogue du retour au pays natal. Au terme de leur parcours erratique ou linéaire dans le monde professionnel, de plus en plus de joueurs cherchent à retrouver leurs paradis d’innocence.
Parfois, c’est l’enfant prodige qui revient, riche de son palmarès et de son confort social et qui s’offre un temps additionnel de bonheur.
D’autres reviennent avec les ressentiments de leurs illusions perdues ou ruinées sur des terrains lointains et tentent de rattraper ici le temps perdu ailleurs.
Dans tous les cas, on se réinvente un destin en descendant d’une condition supérieure pour chercher le bonheur dans ce qu’on fut, là où on a commencé à se bâtir un destin quand rien n’avait encore été.
Le championnat national peut ainsi leur rappeler cette “autre petite maison qui sent très mauvais dans une ruelle étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et sœurs, une petite maison cruelle dont l’intransigeance affole nos fins de mois”. (Cahier d’un retour au pays natal – Aimé Césaire).
Ces retours par dose homéopathique se présentent comme une nouvelle valeur ajoutée au football sénégalais. Une valeur à relativiser. D’ordinaire, ce n’est pas au crépuscule d’une vie qu’on fait se lever le soleil, mais d’aucuns peuvent vous dire aussi que le talent n’a pas d’âge. On peut chercher le juste milieu en disant que ce n’est pas futile, mais cela aurait pu être plus utile.
Ce qui se passe n’a pas encore les allures d’une tendance lourde. Il ne s’agit pas d’une filière organisée comme au Maroc, où l’on anticipe le troisième âge de ceux qui sont partis pour transformer les exils ratés en retours féconds.
L’influx positif qu’on enregistre dans ce pays est celui de footballeurs qui n’ont pas connu de rupture de carrière et qui rentrent au pays à la recherche d’une continuité de ligne quand leurs carrières tendent à suivre des brisés. C’est différent d’une tentative de remise en selle après une sortie de route.
Les clubs marocains sont assez forts en moyens financiers et évoluent dans un cadre professionnel assez porteur pour pouvoir s’engager dans une telle dynamique. Ils récoltent de l’expérience, du talent, mais aussi un potentiel énergétique encore intéressant. Des réémergences pareilles ont été notées dans le football sénégalais, avec des professionnels revenus se ressourcer pour mieux repartir.
Mais depuis quelques années les expériences réussies sont rares. On n’en compte pratiquement qu’une seule qu’on puisse citer en exemple, avec Ciré Dia qui a pu s’imposer au Jaraaf avec un apport déterminant. Chez d’autres, la ménopause était assez avancée pour que les muscles puissent transformer les désirs et les intentions en actes accomplis.
En fait, dans ce cycle migratoire inversé, les muscles qui avaient fui n’ont pas la valeur des cerveaux qui rentrent. Une concordance de temps entre leur passé et leur présent aurait certainement permis de mieux conjuguer ces deux paramètres. Mais les fautes de conjugaison sont connues. Ceux qui reviennent trentenaires sur le papier ont laissé au pays des souvenirs proches de la quarantaine.
Or, on le sait, un footballeur monte vers les sommets entre 24 et 28 ans, vit sa phase de plateau pendant deux ans, avant d’entrer dans le processus de dégénérescence biologique.
A cet âge, tout n’est pas toujours perdu. Mais un facteur qui aurait pu être essentiel dans la réinsertion locale manque souvent. C’est celui-là qui permet de faire la jonction entre le passé et le présent, pour faire un cycle de vie qui ramène à des valeurs de base.
La plupart des footballeurs sénégalais s’exilent à un âge où rien ne les attache encore à une entité. Revenir pour intégrer un club où l’on n’a ni repères ni amour ne porte pas souvent à l’exaltation. Là encore, Ciré Dia est un modèle avec le Jaraaf, participant à la cohésion sociale du groupe, incarnant le modèle de réussite qui montre à ses coéquipiers qu’un “avenir” est possible avec ce club, etc.
Diambars parvient aussi à récupérer des produits dont les trajectoires n’ont pas été heureuses dans l’émigration. De telles immersions sont difficiles quand il s’agit d’électrons libres. Partis tôt, rentrés tard, il leur est difficile de se bâtir une nouvelle identité de club. Moussa Ndiaye (Douane, Jaraaf, Niary Tally) ne l’a pas réussi. Salif Keïta (Douane) non plus.
Il est plus utile de réfléchir au retour des professionnels sénégalais dans le cadre de projets structurels, plutôt que de chercher à entretenir des chimères qui ne durent pas. Ce que d’aucuns tentent par eux-mêmes, à l’exemple de Salif Diao, démultipliant ce qui se fait déjà, pourrait plutôt renforcer l’existant et bénéficier d’entités déjà assises.
Tous les anciens ne peuvent pas être entraineurs et rares sont ceux qui ont encore des muscles utiles. Mais il y en a sans doute qui peuvent investir dans autre chose que le bâtiment, déjà que le métier de marchand de sommeil ne rapporte plus autant.
A ce jour, le club sénégalais est surtout une usine ou une succursale destinée à l’exportation. Il faut peut-être penser au recyclage des éléments “usagés” pour s’inventer de nouvelles capacités de production et de nouvelles pistes d’émergence.
Waasport