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« Gagner une troisième CAN ? Je n’y pense pas. Quand je vois le Sénégal jouer, j’ai des maux de tête. » Hervé Renard peut être soulagé : en terminant à la 2e place du groupe C, le Maroc est assuré de ne pas croiser la route des Lions de la Teranga avant la finale. Car oui, après la phase de poules qui a vu les éliminations de la Côte d’Ivoire et de l’Algérie, l’équipe dirigée par Aliou Cissé apparaît comme le plus sérieux candidat à la victoire finale.

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Tour d’horizon des forces et faiblesses des Lions avant leur quart de finale face au Cameroun (samedi, 20h).

Une équipe qui démarre fort : 

Sortis en tête du groupe B avec 7 points, les Sénégalais abordent la phase finale avec les co-meilleures attaque et défense de la compétition (6 buts marqués et 2 buts encaissés).

Les Expected Goals confirment leur potentiel offensif. Ils ont réalisé la meilleure performance de ce premier tour face au Zimbabwe lors de leur deuxième match (2,47xG/match). Sur le cumul des 3 rencontres, ils sont juste derrière la Tunisie (3,84xG/match contre 3,93). En revanche, sur le plan défensif, tout n’est pas parfait : selon le modèle, les Sénégalais n’auraient en effet que la 10ème défense parmi les 16 engagés (3,98xG contre).

Mais il faut relativiser ce chiffre. Car avec seulement 3 rencontres dans l’échantillon, les scénarios de celles-ci pèsent beaucoup dans l’évolution des Expected Goals.  Contre la Tunisie et le Zimbabwe, le Senegal a démarré la rencontre très fort, se retrouvant avec 2 buts d’avance au bout d’une demi-heure seulement (voir ci-dessous – source : @11tegen11). Sur ces entames de match, impossible de parler de réussite puisqu’ils n’ont concédé aucune grosse occasion.

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Le relâchement à 2-0 face aux Tunisiens aurait peut-être pu coûter cher si ces derniers étaient parvenus à réduire la marque. Mais ce premier match a peut-être servi de leçon. Face au Zimbabwe, les joueurs d’Aliou Cissé ont gardé l’emprise sur la rencontre malgré l’avantage acquis très rapidement. Ils ont même eu plusieurs opportunités pour aggraver la marque, gâchant quelques occasions de 3-0.

Le 3ème match face à l’Algérie s’est lui révélé anecdotique. Son équipe étant qualifiée et assurée de terminer en tête du groupe, le sélectionneur sénégalais a procédé à une très large revue d’effectif. 10 des 11 titulaires contre le Zimbabwe étaient au repos. Seul le défenseur central Kara Mbodji a débuté les 3 parties.

Des joueurs de qualité sur toutes les lignes :

Au-delà des chiffres, qui ne sont donc pas toujours en sa faveur, le Sénégal a surtout convaincu par la manière. Ses entames de match surtout. L’équipe met beaucoup d’intensité d’entrée de jeu. Pour cela, elle s’appuie sur des joueurs qui connaissent ce football de très haut niveau. Il suffit de regarder l’équipe-type. Sur chaque ligne, le Sénégal peut compter sur au moins un joueur connaissant la scène européenne ou évoluant dans un grand championnat.

Senegal - Football tactics and formations

Derrière, la défense est dirigée par Kalidou Koulibaly, pilier du Napoli et bon relanceur dans le système de Maurizio Sarri. Au milieu, Gueye et Kouyaté sont rompus aux joutes de la Premier League et capables d’imposer un rythme très élevé à des adversaires qui n’y sont pas forcément habitués. Même chose devant, avec les feux-follets Mané et Baldé qui sont en train de s’imposer à Liverpool et du côté de la Lazio.

Pour accompagner ces cadres, Aliou Cissé s’appuie sur des role-players de bon niveau puisque titulaires dans des équipes de première division : Diallo et Gassama en Turquie, Mbengue et Saivet à Saint-Etienne, Kara à Anderlecht et enfin Diouf à Stoke City (même s’il évolue rarement à la pointe de l’attaque). A noter aussi la présence de Cheick Ndoye (Angers), Ismaïla Sarr (Metz) et Moussa Sow (Fenerbahce) sur le banc de touche.

Bref, au coup d’envoi de cette CAN 2017, le Sénégal n’était pas forcément moins bien armé qu’une Algérie sans patron derrière ou une Côte d’Ivoire qui vivait sa première compétition sans sa génération dorée. Encore fallait-il construire quelque chose de cohérent avec ces joueurs. Après 3 matchs, on peut dire qu’Aliou Cissé et son staff sont sur la bonne voie.

Gueye-Kouyaté : les garants de l’équilibre

Pour entrer fort dans ses rencontres, le Sénégal imprime un pressing très haut pour forcer l’adversaire à lui rendre le ballon. En pointe, Mame Biram Diouf est le premier défenseur. Il est là pour mettre la pression sur la relance adverse, poussant même ses courses jusqu’au gardien. Il est accompagné par Mané, Baldé et Saivet, ses premiers soutiens, qui bloquent les solutions courtes et latérales.

Le jeu long forcé par les attaquants déclenche forcément une bataille pour les 2èmes ballons. Dans ce secteur, pour peu que les défenseurs sénégalais (Koulibaly-Mbodji) entrent vite dans le match, le duo Gueye-Kouyaté est certainement ce qui se fait de mieux dans cette CAN.

Chaque week-end en Premier League, ils font ce travail ingrat au milieu de terrain. Les deux forment une paire de gratteurs de ballon de très grande qualité (avec un bonus « projection balle au pied » pour Kouyaté). Dans les airs comme au sol, ils sont toujours présents à la retombée, ce qui permet au Sénégal de récupérer le ballon bien plus haut que la moyenne. Et avec une bonne première touche, Mané ou Baldé peuvent vite se retrouver dans de bonnes positions pour faire la différence.

En plus de ratisser les fruits du pressing haut, ce double-pivot athlétique est là pour équilibrer tout le système d’Aliou Cissé. Ils rendent possible le pressing à la perte et le contre-pressing . Kouyaté s’aventure parfois dans les 30 derniers mètres, mais leur rôle n°1 est de couvrir le quatuor offensif en contrôlant les sorties de balle. Et là encore, si la première touche est efficace, les récupérations hautes peuvent vite se transformer en attaques rapides.

Cette activité du duo Gueye-Kouyaté rend le Sénégal difficile à prendre à défaut sur le jeu de transition. En tout cas en début de partie… C’est d’ailleurs indispensable car la sélection d’Aliou Cissé peut vite se retrouver en difficulté lorsque sa défense est exposée. En phase offensive, les latéraux n’hésitent pas à sortir très haut pour occuper les ailes et permettre à Mané et Baldé de proposer des solutions dans le coeur du jeu. Dès lors, les Lions ont besoin d’un double-pivot aussi solide que mobile pour couvrir toute la largeur du terrain.

Lorsque le Sénégal se retrouve en phase défensive, le fonctionnement de la paire rappelle parfois le duo Fernando-Fernandinho qui avait permis à City d’atteindre les demi-finales de la Ligue des Champions en 2016. Entre Baldé et Mané qui se replient sur les côtés, les deux hommes se couvrent mutuellement et sont capables de ratisser le ballon dans de grands espaces grâce à leur mobilité. Si le temps de jeu se prolonge pour l’adversaire, ils sont rejoints par Henri Saivet qui s’insère alors au milieu de terrain afin de réduire les espaces.

Le Sénégal a subi très peu de longs temps de jeu sur ces premiers matchs. Difficile dès lors de dégager un point faible. Néanmoins, l’équipe peut parfois manquer de cohésion sur la largeur, lorsque Gueye et Kouyaté coulissent côté ballon sans être suivis par l’ailier à l’opposée. Des espaces peuvent alors se créer dans les half-spaces opposés. Mais ils peuvent vite être comblés par le retour du milieu offensif axial  au sein de la ligne défensive (ce que fait Saivet).

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Koulibaly-Kara : les ministres de la relance

Récupérateurs connus et reconnus, Gueye et Kouyaté ne sont en revanche pas réputés pour leur créativité et leur capacité à apporter sur attaque placée. Ce qui serait problématique dans d’autres équipes ne l’est pas pour le Sénégal, qui peut en effet se reposer sur une charnière capable de prendre en charge la relance.

L’évolution dans ce secteur entre le premier match contre la Tunisie et celui contre le Zimbabwe est d’ailleurs intéressante. Face aux Aigles, les Sénégalais ont voulu sortir ligne par ligne en utilisant leurs milieux de terrain. Résultat, ces derniers se sont retrouvés sous la pression de leurs homologues tunisiens. Contre le Zimbabwe, Koulibaly et surtout Kara ont pris les choses en main. Leurs passes au sol ont très souvent cassé le milieu adverse pour toucher directement Mané, Baldé ou Saivet entre les lignes.

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Le schéma ci-dessus illustre l’importance de ces prises d’initiative des défenseurs : lorsque Kara et Koulibaly trouvent directement les attaquants (à droite), la paire Gueye-Kouyaté se retrouve dans son registre de prédilection. Elle est derrière le ballon et prête à mettre la pression en cas de récupération adverse. Dans le cas contraire (à gauche), ce sont eux qui subissent le pressing avec le ballon dans les pieds. Et en cas de perte de balle de leur part, c’est la défense qui est directement exposée (danger !).

Cet « équilibre défense technique / milieu physique » se retrouve dans d’autres systèmes. On peut citer l’Italie d’Antonio Conte en exemple, même si les circuits et le jeu sans ballon étaient plus développés (les milieux se déplaçaient d’une certaine manière afin de créer des lignes de passes pour les défenseurs-relanceurs). La relance était assurée par Bonucci, Chiellini et Barzagli qui cherchaient directement Pelle ou Eder entre les lignes. Ce circuit permettait de masquer en partie les limites des milieux (Giaccherini, Parolo) dans ce domaine, en leur attribuant des fonctions plus « athlétiques » (courses, appels en profondeur, pressing à la perte etc…).

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Avoir des défenseurs capables d’assurer la relance est un énorme atout pour le Sénégal dans cette CAN. Car face à eux, les blocs-équipes manquent souvent de cohésion. Comme l’expliquait Cédric Tafforeau avant le début de la compétition, « la notion de duel est hyper importante. Elle n’est pas la même qu’en Europe. En Afrique, le rapport d’homme à homme, de match dans le match, « moi l’Ivoirien contre toi le Marocain », est omniprésent. »  

Sur le plan tactique, cela se traduit par beaucoup d’orientations défensives par rapport à l’adversaire et donc un risque de grands espaces entre les lignes et les joueurs. La vidéo ci-dessus montre plusieurs exemples de ce type, face à la Tunisie et au Zimbabwe.

Ce sera d’ailleurs l’une des clés du quart de finale à venir entre le Sénégal et le Cameroun. En juin dernier, les Lions Indomptables avaient réalisé un très bon match face à l’équipe de France (2-3). Ce soir-là, ils avaient opposé aux Bleus un 4-4-2 très compact, profitant du manque d’initiatives des défenseurs centraux pour être assez peu inquiétés.

Que va-t-il se passer s’ils abordent la rencontre de samedi avec la même organisation ? Comment vont réagir Kara et Koulibaly si les lignes de passes, notamment dans les half-spaces, ne sont pas aussi évidentes que face au Zimbabwe ? S’ils savent casser les lignes par la passe, les deux défenseurs sont-ils aussi à l’aise pour aller fixer balle au pied un adversaire afin de libérer un partenaire ? L’exercice n’est pas le même et il sera intéressant de voir s’ils le font, pour peu que les Camerounais réussissent à fermer les intervalles utilisés jusque-là.

Saivet et la gestion de la possession haute : 

Ces transmissions défense-attaque ont en tout cas pour objectif de trouver Mané et Keita dans les meilleures conditions possibles. Servis entre les lignes, les deux sont capables de faire de très gros dégâts si leur première touche se fait dans le bon sens (ce qui arrive souvent pour Mané, un peu moins pour Keita). Devant, Diouf participe peu à la construction mais il pèse sur la défense, apporte de la profondeur avec ses appels et surtout une présence constante aux abords et à l’intérieur de la surface.

Mais une attaque ne peut pas s’appuyer sur les qualités d’accélération de certains joueurs pendant 90 minutes. C’est le meilleur moyen pour perdre beaucoup de ballons et donner trop de travail aux milieux de terrain restés en couverture.

Les meilleures équipes sont capables d’alterner entre des séquences rapides et un jeu plus posé, avec une possession haute et maintenue dans le camp adverse. C’est là qu’intervient Henri Saivet. Contre le Zimbabwe, l’ancien Bordelais a été un très bon complément à la paire Mané-Keita. Portant peu le ballon, il s’est mis au service des deux vedettes, se proposant entre les lignes et jouant simple (remises, une-deux etc…).

Saivet permet aussi de créer différemment : par la passe, plutôt que par le dribble. Sa palette est très large et il peut notamment permettre au Sénégal de bien utiliser la largeur, afin d’utiliser les latéraux. Décisif contre le Zimbabwe sur coup-franc, il est peu intervenu à la finition mais s’est retrouvé à l’avant-dernière passe sur de nombreuses séquences (dont le 1er but). Bref, il crée les décalages qui profitent aux autres.

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Seul bémol, son manque de constance sur 90 minutes. Lorsqu’il traverse un temps faible, le Sénégal perd en variété devant. Les attaques dépendent alors beaucoup plus des accélérations et de la réussite de Mané et Baldé dans leurs dribbles que d’une construction collective… Résultat, cela met plus de pression sur ces derniers, les attaques sont moins réfléchies et le risque de rendre le ballon à l’adversaire plus important. On en revient à l’importance de la paire Gueye-Kouyaté en soutien et couverture.

Des points faibles ? 

On l’a dit déjà répété plusieurs fois, le Sénégal a dominé sa phase de poules grâce à d’excellentes entames de match. Mais alors que l’on rentre dans la phase à élimination directe, une question demeure : comment l’équipe réagirait-elle face à un adversaire qui réussirait à résister à la pression du début de rencontre ?

Aller chercher très haut l’adversaire est sans doute le meilleur moyen pour un favori de faire valoir sa supériorité. Mais ce n’est pas non plus sans risque : un seul placement hasardeux peut tout remettre en question. Contre la Tunisie, les défenseurs avaient eu besoin de quelques minutes pour entrer dans leur match et il s’en était fallu de peu pour que les situations concédées se transforment en occasions franches. Le positionnement parfois haut des latéraux (attirés par leurs adversaires directs) peut aussi jouer des tours au reste de la défense.

Offensivement, l’équipe a un potentiel énorme mais il lui arrive de gâcher des situations favorables, la faute à certains choix discutables ou des derniers gestes hasardeux (centres ou tirs). Cela n’a pas posé problème durant la phase de poules mais lorsque l’on mène 2-0, le match n’est pas terminé. Un seul petit but encaissé peut complètement relancer l’adversaire. Et celui-ci peut vite arriver lorsque l’on maintient son bloc haut.

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