Comme au lendemain de chaque élimination précoce des clubs sénégalais en compétitions continentales, le débat a resurgi après le petit tour puis s’en va de Diambars et du Diaraf. Une sortie prématurée d’autant plus difficile à avaler que leurs adversaires respectifs, l’Asfa Yennenga du Burkina Faso et les Dwarfs du Ghana ne sont pas actuellement au mieux dans leur championnat. Mais, à y regarder de plus près, et à la lumière des témoignages de techniciens et d’un administratif de la grande Jeanne d’Arc des années 1998 – 2004, la triste réalité c’est que nos clubs ne sont pas assez outillés pour briller sur la scène africaine. Le (semblant de) professionnalisme en cours depuis un peu plus de cinq ans n’a pas réellement aidé les clubs sénégalais à réellement grandir. Certains observateurs pensent même que le football local sénégalais a plutôt régressé. Il est peut-être donc temps que la Lsfp et les clubs fassent cette nécessaire introspection qui pourrait leur permettre de se remettre dans le sens de la marche. En attendant, des voix continuent à s’élever pour dénoncer (même à retardement) cette … courte expédition sur la scène africaine qui appauvrit et souvent fragilise plus qu’elle n’enrichit ou ne confère de l’expérience.
Cherif Kandji, ancien entraineur des Hlm
« En Afrique pour l’expérience ? A l’aventure oui ! »
Ancien teigneux défenseur central international du Diaraf et de l’Asec d’Abidjan, Cherif Kandji a connu l’expérience africaine des clubs, d’abord comme joueur ensuite comme technicien, l’année dernière avec les Hlm. Et il ne veut pas entendre l’argument selon lequel certains clubs sénégalais vont en Afrique pour acquérir de l’expérience. « Quelle expérience. On va à l’aventure oui » ! clame-t-il. Surtout que sur deux ans ou trois, ce ne sont pas toujours les mêmes joueurs qui reviennent. A la limite, il peut créditer Diambars, sorti d’entrée de la Ligue des champions, d’une quête d’expérience internationale « puisque c’est une école qui peut espérer dans le moyen terme pouvoir revenir avec l’essentiel de son ossature pour tenter sa chance ». Mais, pour un club comme le Diaraf qui n’a pas connu un meilleur sort en Coupe de la Caf, « si l’on peut parler d’expérience, c’est à la limite de ses dirigeants ».
La saison passée, sur le banc des Hlm alors détenteurs de la Coupe du Sénégal, Chérif Kandji était allé faire un tout petit tour en Afrique. Même pas, d’ailleurs puisqu’il avait été éliminé d’entrée par Gamtel de Gambie. « Je n’aurais pas souhaité disputer cette compétition. A mon avis, il y avait mieux à faire avec nos maigres moyens ; notamment les mettre à la disposition des clubs, mobiliser toutes nos forces pour avoir une équipe stable, à défaut de remonter en L1 », regrette-t-il aujourd’hui. Au lieu de quoi, Hlm avait dispersé son énergie et ses moyens en Coupe de la Caf pour se retrouver en fin de saison en … National 1. « En fait, nous n’avions pas une équipe assez outillée pour faire bonne figure en Afrique. Car en Afrique, le talent ne suffit pas ; encore que ce talent n’est plus très courant chez nous », révèle-t-il.
Un talent rare et des moyens qui le sont encore plus, difficile de se faire un nom en Afrique. Et Chérif Kandji de rappeler qu’en 1984 déjà, alors qu’il jouait à l’Asec, ses dirigeants lui refilaient 250.000 FCfa (à laisser à sa famille afin qu’elle ne dérange pas sa concentration) qui n’avaient rien à voir avec son salaire, presque à chaque fois qu’il devait aller à un regroupement plus ou moins long. Il se souvient aussi que lorsque l’Asec éliminait l’As Douanes en coupe des vainqueurs de Coupe, en 1987, le président du club abidjanais s’était donné les moyens de son ambition, même si c’était en rupture avec la norme et les règlements. Puisque celui-ci avait déboursé 50 millions de FCfa entre les deux matches non seulement pour qualifier un joueur suspendu, mais pour engager un Ghanéen (Dan Foster) et un Guinéen (Mbaye Ndour) qui avaient inscrit chacun 2 buts pour retourner une situation assez compromise (2 – 0 à l’aller à Dakar et 4 – 1 au retour à Abidjan). Son argument ? « Il disait préférer tricher et passer plutôt que de se faire éliminer par un club sénégalais de D2 », raconte Chérif Kandji. Et de s’interroger, sans faire l’apologie du vol, « quel président de club sénégalais est en mesure de débourser autant d’argent pour un seul match ? » Aucun, assurément !
Chez nous, on en est encore aux cotisations pour assurer les maigres salaires des joueurs qui, d’ailleurs, ne tombent même pas régulièrement. Dans ces conditions, il ne saurait être question, selon l’ancien joueur de la Seib de Diourbel et du Mbossé de Kaolack, d’empêcher les jeunes footballeurs de s’exiler. D’après lui, la seule façon pour le football sénégalais local d’être performant à l’international, c’est de « restreindre l’élite et d’avoir quelque 6 bons clubs professionnels avec un budget qui va dans les 500 millions de FCfa et qui concentreraient les meilleurs joueurs locaux à qui ils paieraient des salaires conséquents ».
Car, selon lui, les clubs y gagneraient en compétitivité, mais l’équipe nationale locale serait plus forte. « Il faut des clubs-locomotives pour tirer le football local vers le haut, comme dans certains pays où l’ossature de l’équipe nationale vient de 2 ou 3 clubs », argumente-t-il. A l’image du Mali où l’on est en train de faire du bon boulot. Ou de la Guinée où Amara Traoré a réussi à qualifier le Horoya au tour prochain, alors que chez nous, nous n’avons que nos yeux pour pleurer sur le malheureux sort de nos « Africains ».
Eternelle rengaine
Le désastre perdure comme une fatalité. Une malédiction qui fait désormais partie du quotidien des Sénégalais qui attendent toujours ce moment de gloire qui inscrira le nom du pays de la Teranga au panthéon du football africain. Il y a dix ans, tout le peuple était convaincu que la roue de l’histoire tournerait au rythme du football sénégalais. Les grosses performances de la Jeanne d’Arc de Dakar sur la scène continentale avaient, en effet, laissé le champ libre à un vent d’optimisme que rien ne semblait en mesure de stopper. Finaliste de la Coupe Caf (1998), et surtout demi-finaliste de la Ligue des champions (2004), la « Vieille Dame » avait déjà balisé le terrain et tracé droit le chemin qui devait mener au succès. Il ne restait plus alors qu’à prendre l’exemple de la gestion de feu Omar Seck pour comprendre les astuces du haut niveau dont seul le Diaraf paraissait détenir l’une des clés : l’expérience. La différence avec la Ja d’antan, c’est que les dirigeants ne lésinaient pas sur les moyens pour aller chercher des joueurs de qualité dans la sous-région pour assouvir leur soif de victoire. Mais, ces pages glorieuses écrites par la génération dorée des Malick Diop, Pape Niokhor Fall et consorts ne sont plus que des souvenirs dont régalent encore les nostalgiques pour se consoler des multiples désillusions qui ont suivi ces moments de grâce qui sonnent comme de simples accidents de l’histoire. La flamme africaine du football sénégalais s’est petit à petit éteinte, empruntant la même trajectoire que celle de l’équipe-là même par qui l’histoire a été sublimée. La Jeanne d’Arc a en effet entrainé dans sa chute tout le prestige et le respect que notre football avait sur le plan continental.
Depuis la demi-finale de Ligue des champions disputée par les « Bleu et blanc » en 2004, la scène africaine est devenue un monde impitoyable pour les équipes sénégalaises engagées dans les compétitions continentales. Le Diaraf, qui est parvenu à aller jusqu’au troisième tour de la champions League en 2011, après avoir éliminé les Gambiens de Port Autority et le club malien du Djoliba avant de tomber devant l’ogre tunisien de l’Espérance de Tunis, constitue la seule exception. Derrière cette petite parenthèse consolatrice, c’est presque le vide total, la qualification au deuxième tour de la Linguère en 2010 et du Casa Sports en 2013 étant les seules étincelles à donner une apparence lumineuse aux aventures sénégalaises en Afrique. Depuis quelques saisons, l’élimination est désormais devenue une règle pour les équipes sénégalaises. Dans ces compétitions, la qualification à un tour relève maintenant d’un exploit voire même d’un miracle pour les clubs sénégalais. Cette année ne sera pas l’exception qu’espérait tout le Sénégal du foot. Comme c’est le cas ces dernières saisons, le Sénégal a été rayé de la carte africaine avant même que le rêve ne commence à prendre forme. Diambars en Ligue des champions, le Diaraf en Coupe de la Caf ont une fois de plus été sortis dès le premier tour. Une élimination amèrement vécue par les Sénégalais qui espéraient enfin voir la malédiction se briser face à des adversaires largement à la portée de leurs représentants sur la scène continentale.
Au moment de disputer le dernier round du premier tour de leurs compétitions respectives, les deux représentants du Sénégal en Afrique n’avaient pas les mêmes chances après des fortunes diverses à la manche aller. Au final, tous les deux ont connu le même sort. Autant le Diaraf n’a pas profité de l’avantage de son public pour inverser la tendance de l’aller, autant Diambars n’a pas réussi à conserver son avantage. Ils manquent ainsi une occasion en or de redorer le blason du football sénégalais. Une rengaine qui s’éternise comme une fatalité.
Lesoleil