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Ancien Directeur de la haute compétition, Hameth Dieng, aujourd’hui enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, n’en demeure pas moins un observateur averti du football sénégalais. A ce titre, il se prononce sur la déroute des “Lions” à Malabo et les conséquences qui peuvent en découler, notamment pour la Fédération, après le départ de Giresse.

Comment en est-on arrivé à cette élimination du Sénégal ?

Sans pour autant jouer à l’oiseau de mauvais augure,  c’était prévisible. Vu la constitution du groupe, avec l’Algérie et le Ghana, et vu effectivement le visage montré par le Sénégal durant les éliminatoires. Il faut dire que depuis que Giresse a pris l’équipe, je n’ai jamais vu le Sénégal faire un match de référence dans le haut niveau. Sinon le match retour à Casablanca contre la Côte-d’Ivoire pour la dernière journée des éliminatoires de la Coupe du monde. Donc, on a une équipe qui changeait régulièrement de visage, d’un point de vue du jeu, changeait régulièrement d’organisation générale, surtout l’organisation  défensive. Et, cela est dû à un entraîneur qui, plus ou moins, ne semblait pas maîtriser à la fois le groupe, dont peut-être qu’il ne connaissait pas les éléments, ou alors il n’avait pas une conception très claire du football qu’il souhaiterait jouer et faire la sélection en conséquence par rapport à son projet de jeu. On est arrivé à la Can avec l’ambition de franchir un cap psychologique, c’est à dire atteindre les quarts de finale, avec cette défaillance dans le jeu. Même contre l’Egypte, au Caire, certes on a gagné 1-0, mais on n’a pas été déterminé dans la possession de ballon. Donc, c’était difficile, compte tenu de ce qui s’est passé. On a joué un premier match que nos avons gagné et c’est un match qu’il fallait gagner. Le deuxième, il a complètement changé l’équipe et le troisième match est le synonyme du deuxième match.  Donc, c’est une élimination qui ne surprend pas.

Est-ce compréhensible à votre niveau qu’on puisse changer autant de fois de système de jeu, surtout sur le deuxième match du Sénégal ?

C’est ça que je disais, parce que tous les entraîneurs de haut niveau se caractérisent par une conception du jeu qui leur est propre, quel que soit l’objectif des clubs, des sélections nationales, ils t’imposent ce style de jeu et ils choisissent des jours en club ou en sélection nationale en fonction de cela. Mais lui, on ne peut pas dire qu’il a une conception du jeu ou bien un style de jeu qui lui est propre. Il a toujours tâtonné. Aujourd’hui, c’est un visage, une composition d’équipe, une organisation. Demain, c’est une autre organisation, avec d’autres joueurs. Et dans le haut niveau, ça ne pardonne pas. Il y a une corrélation entre la stabilité de l’effectif et l’efficacité de l’équipe, c’est à dire qu’une équipe se construit à travers des matches, les gens jouent ensemble et répètent des gammes ensemble, que ça soit en phase défensive ou  offensive, et parviennent effectivement à une complémentarité et à une solidarité.

Maintenant que la page Giresse est tournée, quelles conséquences doit-on tirer de cette mésaventure de Mongomo et de Malabo ?

La page Giresse a été tirée d’une manière très rapide. Moi, je crois que les gens étaient en mission en dehors du territoire national et la moindre des choses c’est d’attendre de rentrer, de tirer tout le bilan  de cette campagne. Tout le bilan effectivement de l’ère Giresse, et puis prendre les bonnes décisions pour  véritablement relancer l’équipe. Car, je crois qu’on a des joueurs qui sont talentueux et qu’on n’a rien à envier aux autres. Si on parvient à créer les conditions d’émergence de l’ensemble de nos talents individuels pour créer une dynamique d’équipe, cela peut nous permettre d’aller vers des lendemains meilleurs. Mais il faudra faire le bilan. Et ce bilan, je crois qu’il ne faut pas seulement l’axer sur Giresse qui a effectivement géré la partie technique. Il ne faut pas oublier, comme le disent les Anglais, que le jeu en dehors du jeu est aussi important que le jeu sur le terrain et il est appelé management. Donc, est-ce que une réflexion seulement sur Giresse est pertinente ? Elle est nécessaire certes, mais elle n’est pas suffisante. Il faut élargir le champ d’investigation pour réfléchir sur le management de l’équipe nationale, réfléchir également sur l’environnement de l’équipe.  Est-ce qu’il est propice à la haute performance, au haut niveau ? Réfléchir aussi sur la Fédération sénégalaise de football ? Est-ce que le profil des gens qui animent les structures de la Fédération nous permet d’aller vers le haut niveau ? Je crois que, aujourd’hui, on ne peut pas faire l’économie de cette réflexion, de ces questionnements qui interpellent à la fois les acteurs techniques et posent le problème de l’environnement d’un point de vue managérial. Et quand on parle de management, il y a une structure qui est chargée des équipes nationales de notre football, c’est la Fédération.

Est-ce le seul facteur…

L’autre aspect, c’est que nous sommes un pays de tradition jacobine. Que ça soit en France, au Sénégal, il y a ce qu’on appelle la Direction  technique nationale qui n’existe pas en Angleterre. Mais est-ce qu’il ne faudra pas revoir le rôle du Directeur technique national dans le processus de développement de notre football d’une manière générale, le management et l’évaluation des entraîneurs des équipes nationales. S’il y avait une Dtn très forte, structurée, avec une division de haut niveau capable de venir en appoint à l’entraîneur pour rectifier, peut-être qu’on pourrait faire l’économie de cette mésaventure en terre équato-guinéenne.

Est-ce que aujourd’hui, compte tenu de l’expérience que vous avez du haut niveau, pour avoir été directeur de la Haute compétition, vous ne pensez pas qu’on est parti pour une nouvelle crise dans le football Sénégal ?

De toute façon, les germes de la crise existe. N’oubliez pas qu’on est dans un pays où l’Etat délègue, dans certaines conditions, ses pouvoirs à des fédérations qui ont une mission de service public. Mais ces fédérations, particulièrement celle du football, dans le monde, sont protégées plus ou moins par la Fifa. Et après la campagne, on voit effectivement notre opinion publique qui commence à s’interroger sur la Fédération sénégalaise de football. Est-ce que ça ne peut pas créer une crise de confiance entre les populations et la Fédération ? Où quelle sera l’attitude du ministère des Sport par rapport à cela ? Est-ce que ça ne peut pas entraîner une rupture de confiance, parce que, jusque-là, le ministère et la fédération ont cheminé dans une parfaite symbiose. Le ministère, l’Etat a mis des moyens extraordinaires, donc on ne peut rien reprocher à l’Etat. Maintenant, est-ce que l’Etat va continuer à laisser cette Fédération-là à continuer à gérer le football ? Ce sont des questions qu’il faut se poser.

Pensez-vous qu’elles vont être posées ces questions ?

En tout cas, j’estime qu’une Fédération, quand elle prend des décisions et qu’elle se trompe, une fois, on peut se dire que c’est de bonne foi. Deux fois, ça commence à devenir trop. Mais trois fois, il faut s’arrêter et réfléchir. En 2012, après Bata, la Fédération a remercié son entraîneur et elle est restée. Après l’élimination contre la Côte d’Ivoire, Koto a été remercié. Aujourd’hui, Giresse est remercié et c’est cette même Fédération qui commence à parler de critères pour recruter un nouvel entraîneur. Est-ce que compte tenu des choix qui n’ont pas été judicieux ou opérants, elle n’est pas disqualifiée à faire le choix d’un futur entraîneur national ? Est-ce qu’il ne faut pas créer une commission nationale auprès de la Fédération pour leur permettre de choisir un entraîneur qui sied au potentiel qu’on a ? En tout cas, il faut faire l’économie d’une nouvelle crise. Et pour ça, il faut que chaque acteur s’assume pour que notre football puisse sortir de cette mésaventure. N’oubliez pas que tous les footballs se sont développés à partir de crise. Que ça soit en France, en Espagne, au Brésil, en Allemagne, c’est à partir de crise que les acteurs ont pris à bras-le-corps le problème, qu’ils ont posé les bonnes questions et qu’ils ont trouvé effectivement les ressources nécessaires pour installer leur football dans une voie de performance. L’essentiel, c’est, en un moment, se poser les bonnes questions pour trouver les bonnes réponses et surtout ne pas se tromper. Parce que c’est trop facile après une campagne de dire que la responsabilité incombe au seul entraîneur et que tout le monde a fait son job et qu’on cherche un autre entraîneur. Or, depuis 2012, c’est la même chose qu’on fait. Il faut élargir le questionnement aussi bien au niveau de la Fédération, de l’environnement et même des joueurs, quitte à faire des entretiens avec eux pour voir ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qui ne va pas quand ils viennent en sélection, parce qu’ils sont performants dans leurs clubs respectifs. On a assez de ressources humaines pour se poser les bonnes questions et trouver les bonnes réponses pour repartir. Mais le danger, c’est très rapidement de liquider Giresse et que la Fédération trouve un autre entraîneur, sans que pour autant se munir des garanties qu’il faut pour trouver l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Sinon, ça va conduire aux mêmes résultats qu’en 2012, 2013 et 2015.  

Pensez-vous comme ceux-là qui estiment que le problème, aujourd’hui, c’est la Fédération ?

C’est une question qu’il faut se poser. Elle est très réaliste. Est-ce que la Fédération, actuellement, compte tenu de tout ce qui s’est passé, bien qu’elle ait la légitimité parce qu’elle a été élue, peut-elle moralement continuer à administrer le football Sénégalais ? Il faut se poser cette question, sans pour autant rentrer dans un conflit inutile entre l’Etat du Sénégal, la Fifa et la Fédération sénégalaise de football. N’oubliez pas qu’en 2008, la défunte Fédération dirigé par Mbaye Ndoye, qui s’est arrêtée en poule au Ghana, a été contrainte de démissionner purement et simplement. Comme je l’ai dit, il faut savoir que le jeu en dehors du terrain est aussi important que le jeu sur le terrain et c’est ce qu’on appelle le management. A partir de là, n’importe quelle réflexion doit intégrer la part de responsabilité de la Fédération. Si on le dit, les gens croient qu’on est contre X ou Y, mais c’est l’intérêt général qui est en jeu. Il faut rappeler que le sport est une prérogative de l’Etat et dans notre pays, il est érigé en service public. Le service public, c’est l’intérêt général, c’est la continuité et la permanence. Toute solution retenue doit aller dans le cadre de l’intérêt général.

Vous pensez que la Fédération doit partir ?

Si dans l’intérêt général, dans l’intérêt de notre football, il est nécessaire que cette fédération-là parte, alors il faut que les acteurs de la Fédération le comprennent. Avant-hier, j’écoutais un acteur du football, Abdoulaye Sarr du Navétane, qui disait que cette fédération-là on doit peut-être la renouveler à 80%. Mais quand vous renouvelez une structure à 80%, c’est que vous la renouvelez totalement. Donc, des voix commencent à se lever véritablement sur ça et il faut éviter une crise de confiance entre la Fédération et les populations. Dans tous les pays, quand il y a des crises pareilles partent. Par exemple en 2010, après la Coupe du monde avec la France, le président de la Fédération de football avait démissionné. Il en avait été de même en 93, lorsque la France a été éliminée par la Bulgarie. Chacun est libre d’assumer ses actes. Mais dès qu’on dit évaluation, il faut prendre le temps, ne pas se précipiter et évaluer objectivement notre participation à cette Can. Et notre participation ne doit pas se résumer au cas Giresse. Il faut évaluer l’environnement de l’équipe, le management de la Fédération depuis le choix de Giresse jusqu’à maintenant.

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