Publicité

Le bonheur, c’est comme une boisson gazeuse. Les bulles qui remontent  à la surface pour exploser ne changent rien au fond de la bouteille. Au moment où Pikine est inondée d’une joie pétillante qui n’est que l’écume des choses, on pense aux profondeurs qui cachent l’essentiel. A ces vérités qui finissent par ramener aux réalités. Vérités souvent amères, lie d’un calice dont l’aigreur tient le football sénégalais à la gorge depuis des générations.

Publicité

La saison prochaine, l’As Pikine sera en Ligue africaine des champions et on redoute ce qui est arrivé tant et tant de fois, alors que l’histoire aurait pu se conter autrement. Elle y va avec une légitimité jamais portée par un club sénégalais allant dans cette compétition. Car la dernière fois qu’une équipe avait réalisé le doublé, la Ligue des champions n’existait pas. En 1997, on allait en Coupe d’Afrique des clubs champions et c’est l’As Douanes qui s’était armée d’un doublé pour s’y rendre. Cela tient presque de la Préhistoire, mais rien n’a vraiment changé dans l’évolution de l’«homo footballiscus senegalensis».

A l’époque, le footballeur sénégalais était un amateur marron. Aujourd’hui, il est un professionnel marron dans des clubs gris. Des couleurs trop fades pour briller en Afrique. Aussi, les lueurs qui illuminent Pikine ne doivent pas faire prendre des vessies pour des lanternes. L’élixir avec lequel on célèbre le succès actuel pourrait devenir le poison qui a tant tué dans le football sénégalais.

Bien sûr, quand on atteint le sommet de la montagne, tous les horizons deviennent visibles. Mais on sait ce qu’il en est de cette ligne imaginaire qui se pose en trompe l’œil. On sait aussi que le paysage n’est pas le même depuis la pointe du Kilimandjaro que du toit du plateau de Diass.

Le club du président Mamadou Fall peut s’envisager un bel avenir, mais il faut savoir le construire sur du fiable et non du faisable. Sortie de la Ligue 2 il y a cinq ans, auteur d’un doublé aujourd’hui, la formation pikinoise a suivi le raccourci qui masque les faiblesses connues ailleurs. Mieux lui en vaut de moduler ses forces en direction de l’Afrique (en espérant toujours miser peu pour ramener gros) pour concentrer ses efforts sur les paramètres d’une réelle émergence.

Les processus de construction de club fort, à travers des étapes de progression maîtrisées depuis la base, prennent une dizaine d’années. On peut aussi emprunter des raccourcis en se payant des «variétés améliorées» sur le marché. Des joueurs à maturité avancée, ayant une productivité élevée et un cycle rapide de production. Mais on sera toujours tributaire de la loi de l’offre et de la demande. Toujours à courir derrière des «variétés» à haut rendement, dont les coûts sur le marché sont difficilement maîtrisables.

Le modèle de développement que semble choisir Pikine relève de la fatale fuite en avant. L’objectif de se renforcer pour tenter le coup de poker africain revient à jouer à la roulette russe. Ça passe ou on s’explose le cerveau. A part la Ja du début des années 2000, tous les clubs sénégalais ont laissé leur matière grise et leur boîte crânienne sur la table de jeu des compétitions africaines.

L’évidence est claire, mais personne ne s’y soumet. La base économique du club sénégalais ne permet pas encore de construire en se basant sur la logique du portefeuille. Le Psg l’a fait en France, mais l’argent du Qatar coule à flot sur Seine. Ici, on compte sur une main les clubs qui disposent d’un véritable capital. Et encore… La plupart du temps, toute la richesse qu’on possède se limite à des joueurs qu’on peut vendre. Et ce n’est pas avec cela qu’on va réveiller un banquier.

Un titre, une coupe… et quoi demain ? Rien que des ambitions, aucune possession.

Portée par le vent de son triomphe, Pikine peut chercher à sortir de ce cercle fermé des errements toujours recommencés. Elle peut tendre vers une orbite qui ne ramène pas sur les sentiers battus. L’urgence n’est pas «demain l’Afrique», mais «le temps de l’avenir». La participation à la prochaine Ligue des champions ne devrait pas être une finalité, mais une opportunité. Car, avec cette équipe, les atouts sont énormes pour construire dans la durée.

Ce que Niary Tally fut il y a trois ans, à la dimension d’un quartier, l’As Pikine l’est à la mesure d’une agglomération. Le stade Alassane Djigo ne lui appartient pas, mais il n’est pas loin de porter son identité. C’est un «bien» dont la mise en valeur peut renforcer sa stratégie commerciale. On peut regretter qu’il tourne autour de 10 000 places pour une «ville» qui taquine le million d’habitants. Mais c’est déjà une garantie de recettes et une opportunité de merchandising pour une équipe dont les supporteurs collent aux couleurs.

A y travailler, l’As Pikine peut se développer non pas avec des recherches de fonds, mais sur des stratégies d’appels de fonds. Le tissu urbain qui lui sert de base affective constitue un énorme fond de commerce. Il lui faut savoir le valoriser et attirer les vendeurs d’image.

L’As Pikine peut éviter les impasses où se perdent les illusions. Jusqu’à présent, ce sont les résultats sportifs qui déterminent les ambitions au Sénégal. On ne construit pas pour les attendre. C’est quand ils se présentent qu’on cherche à se forger un destin. Or il n’y a rien de plus aléatoire.

Dans la nouvelle logique du foot, c’est la puissance économique qui détermine la puissance sportive. Sans capacité à mettre en place un projet de développement qui peut durer indépendamment des résultats court-termistes, on ne fera que bâtir des châteaux de sable. Et à Pikine, la mer n’est pas loin.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici