Vingt après, ils sont encore les étendards d’une génération dorée. À l’instar des El-Hadji Diouf, Khalilou Fadiga, Habib Beye ou Aliou Cissé, Omar Daf a marqué l’histoire du Sénégal et du football africain, lorsque les Lions de la Teranga s’étaient hissés jusqu’en quart de finale de la Coupe du monde 2002, en Corée du Sud et au Japon. De l’eau a coulé sous les ponts, et le Sénégal est grimpé sur le toit de l’Afrique, depuis. L’occasion pour l’actuel entraîneur du DFCO de se projeter sur la grande aventure de son pays au Qatar, au cœur d’une préparation marquée par le forfait brutal de la superstar Sadio Mané.
Omar Daf, il y a 20 ans, vous réalisiez un parcours épique avec le Sénégal. Avec le recul, à quel point ce parcours à été déterminant pour la réussite du foot sénégalais ?
Omar Daf : Je pense que ce parcours a été une prise de conscience. Il a donné beaucoup d’enthousiasme au peuple sénégalais. C’est un pays de passionnés, un pays où ça joue au football sur la plage, un peu partout. Et je pense que ça a fait aussi connaître le Sénégal. Nous sommes un petit pays. Et cette épopée nous a placé sur le devant de la scène.
La préparation du tournoi a évidemment été marquée par la blessure de Sadio Mané – d’abord incertain puis forfait : l’équipe a-t-elle les ressources pour surmonter cet obstacle ?
Je pense. C’est une grosse perte. Comme peut l’être Messi pour l’Argentine, Mbappé pour l’équipe de France, Neymar pour le Brésil et j’en oublie. C’est une perte énorme… J’espère que les joueurs vont tout donner pour lui pour compenser cette perte.
« Sadio Mané est plus qu’un leader technique, il symbolise le football sénégalais et africain »
Le fait que le Sénégal ait des forces vives dans toutes ses lignes peut-il combler ce vide, sur le terrain et en dehors ?
J’espère. Après pour être honnête je ne sais pas s’il y a quelque chose qui peut compenser l’impact qu’il peut avoir. On parlait de leader technique, il est plus que ça. Je pense qu’il symbolise vraiment le football sénégalais et africain dans son ensemble parce que c’est le Ballon d’Or africain, il a conquis le titre continental, il a été décisif pour qualifier le Sénégal pour cette phase finale. Maintenant, sur le plan humain et technico-tactique, il y aura ce vide à combler. J’espère que d’autres joueurs vont se révéler et faire de belles choses.
Est-ce que c’est ça, justement, le levier à activer pour Aliou Cissé : insuffler aux joueurs une force supplémentaire en se servant de ce coup dur pour souder le groupe encore plus ?
Exactement. Pour toucher les joueurs. Après, il ne faut pas se tromper : il ne pourra pas être remplacé. Il faudra que d’autres éléments du groupe puissent se transcender.
L’incertitude qui régnait autour de sa situation aurait-elle pu perturber le groupe une fois la compétition commencée ?
Je pense que depuis le début – enfin après quelques jours – des examens complémentaires ont été réalisés. Et pour l’avoir eu au téléphone, lui-même savait que ce serait très difficile pour lui de participer à cette compétition. Je pense que les joueurs qui sont proches de lui le savaient aussi. Il a essayé. Il y a un peuple qui attendait. Il a essayé de faire cet effort pour rassurer les gens. Mais la raison l’emporte et pour lui ce n’était pas possible de participer à cette compétition.
« Il a beaucoup de recul, c’est lui qui remonte le moral aux autres »
Vous l’avez à nouveau contacté, depuis ? Comment va-t-il moralement ?
Lorsque ça a été officialisé non, mais quelques jours après sa blessure je l’avais eu au téléphone. On a longuement échangé. Il a pris ça avec beaucoup de hauteur. Il est champion d’Afrique, 2e du Ballon d’Or, il tire le penalty qui qualifie le Sénégal pour la Coupe du monde… Il m’a dit : « si je n’y suis pas, c’est que je ne dois pas y être‘. Il a ce recul-là. C’est dur. Ça montre aussi la force qu’il a. Au début, je m’inquiétais pour lui, mais c’est plus lui qui remonte le moral aux gens par rapport à ce qu’il lui arrive.
Le profil idéal pour le remplacer existe-t-il ?
Honnêtement, il n’y a pas. Parce que c’est un joueur qui dégage une telle force, un tel charisme. C’est un joueur hors-normes ! Il fait partie des 10 meilleurs joueurs au monde. Donc imaginer un remplaçant ce serait même mettre la pression à celui qui va le remplacer. Je pense que le sélectionneur sait qu’avec ou sans Sadio, ce n’est pas la même chose. Donc il va sûrement appeler un joueur avec des qualités complètement différentes pour ne pas essayer de compenser ça parce que ce serait contre-productif.
Vous voulez dire qu’il faut à tout prix éviter d’aller sur le terrain de la comparaison ?
C’est ça. Il ne le faut pas parce qu’il est hors-normes. Il y a d’autres attaquants, comme Habib Diallo. D’autres joueurs qui sont dans le championnat de France ou à l’étranger. Je pense qu’ils sont en train de réfléchir pour prendre le joueur qui le mérite le plus.
« Je veux leur transmettre mon énergie pour qu’ils puissent nous faire rêver »
Avez-vous échangé avec Aliou Cissé au sujet de cette situation ?
Sur le cas de Sadio, non. Après, je l’ai régulièrement au téléphone. Avant d’être techniciens, on a joué ensemble et on est restés très proches. On parle de tout. Ils sont prêts. Il nous arrive de parler de football mais je préfère le laisser se concentrer. Ils sont forcément déçus de perdre un joueur de ce niveau-là. Je veux leur transmettre beaucoup d’énergie pour qu’ils puissent nous faire rêver.
Remontons moins d’un an en arrière. Qu’avez-vous ressenti lorsque le Sénégal a remporté la Coupe d’Afrique des Nations ?
Champion d’Afrique ! On l’a gagné. (Il marque une pause, ndlr). C’est comme si je l’avais gagné. J’ai appelé pas mal d’anciens coéquipiers, je les ai félicités. On l’a gagné aussi en quelque sorte parce qu’on a tellement sillonné, on a tellement couru après ce continent pour ramener ce trophée… Franchement, c’était une délivrance. On était très fier de nos jeunes frères.
« Il y a cette fierté d’avoir transmis aux plus jeunes »
On a l’impression qu’il y a un pont entre ces deux générations…
Oui parce que le Sénégal a toujours eu de bonnes générations mais il nous manquait ce côté compétiteur. Petit à petit, ça a commencé à être ancré. Et nous on avait une génération où l’on avait justement cette mentalité-là. Ça s’est joué à peu de choses. Il y a cette fierté de l’avoir transmis aux plus jeunes. Il fait vraiment garder cette mentalité. Bien jouer, c’est bien. Gagner, c’est encore mieux.
Vous arrive-t-il en plaisantant, parfois, de vous demander quelle génération est la plus forte ?
C’est différent. C’est ce que j’ai dit à Sadio ou Gana Gueye quand ils ont gagné. Je leur ai dit : ‘écoutez, vous êtes la meilleure génération parce que vous avez gagné, tout simplement.‘ On a fait des choses bien mais vous, vous avez gagné cette Coupe d’Afrique.
Aliou Cissé, Habib Beye, vous-même : On voit plusieurs cadres de cette génération dorée épouser une carrière d’entraîneur. Est-ce qu’il n’est pas là, finalement, le symbole de cette transmission ?
Quelque part, oui. Et c’est ce qui faisait aussi notre force parce qu’on était des passionnés. On a toujours eu cet amour du football et cette passion. Ce n’est que le début. J’espère que ça va continuer à marquer notre football et à transmettre ça à cette jeune génération. Il faut qu’ils croient en eux. On fait un métier fantastique. À nous de le rendre encore meilleur en montrant ses meilleurs aspects.
« Nous sommes liés pour l’éternité »
Vous parliez de vos échanges avec Aliou Cissé. Vous êtes tous restés en contact ? Il y a un lien spécial ?
Nous sommes liés pour l’éternité. On a partagé des choses qui font que toute notre vie ces souvenirs resteront indélébiles. Pour moi, ce sont plus que des coéquipiers ou des frères, ça va au-delà. Il y en a qu’on a plus au téléphone que d’autres, mais quand on se voit on a toujours un bonheur immense à se croiser, à se prendre dans les bras. Parce que je le disais tout à l’heure, on a sillonné le continent pour donner une bonne image de notre sport et de notre pays. On se disait que nous étions des ambassadeurs du Sénégal.
Cette union à vie, on imagine qu’il est aussi renforcé par le lien que vous aviez avec Bruno Metsu et Papa Bouba Diop*.
Ça nous montre toujours qu’on est pas grand chose. On le dit souvent mais ce ne sont pas des paroles en l’air. Il faut vivre les moments, les apprécier, donner le meilleur de ce qu’on a, et prendre aussi le meilleur des gens. Bruno a été de très bon conseil pour moi. Bouba avait un an de moins que moi, il m’a rejoint en sélection. J’ai toujours eu des bons rapports avec eux. Aujourd’hui, j’en suis fier. J’espère que là où ils sont, ils reposent en paix. Après le décès de Bruno, tout le monde n’a pas pu venir mais on s’est retrouvés dans le Nord à Dunkerque afin de lui rendre hommage avant que son corps puisse être enterré au Sénégal. Pour ce qui est de Bouba, c’est pareil. De loin, on a essayé de le soutenir. Il ne voulait pas qu’on se déplace pour le voir dans son état. Ces liens perdureront toujours.