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5 ans ! C’est l’âge du professionnalisme lancé en 2009 au Sénégal. Et ce n’est peut-être pas encore l’âge adulte, mais c’est quand même un temps requis pour se métamorphoser. Quelle mutation les clubs ont-ils connue ? Ont-ils réellement changé de statut ? Sont–ils réellement entrés dans le professionnalisme ? C’est, en somme, l’objet d’une série d’enquêtes que nous entendons mener sur le terrain. Et c’est dans ce cadre que nous avons fait une descente sur le terrain, pour faire l’état des lieux.   Avant-dernière étape de notre tour du Sénégal des clubs pro, Niary Tally qui a fait une ascension express des Navétanes à la L1 et qui, aujourd’hui, se meut dans les mêmes difficultés que les autres clubs.

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NIARY TALLY : L’éternelle équation du manque de moyens
Tout a démarré en trombe pour Niary Tally. Mais, après quatre ans de professionnalisme, le club dakarois vit déjà un malaise qui commence à sérieusement inquiéter ses dirigeants. Malgré les réalisations et les grosses ambitions, le club souffre d’un manque criant de moyens qui s’ajoute à l’équation des infrastructures.
Des Navétanes à la Ligue professionnelle, l’ascension de l’ancienne puissance du championnat populaire n’a presque souffert d’aucune tâche noire. Brusque, elle l’aura été tant l’équipe a fêté ses premières années de gloire, notamment son accession à la Ligue 1 après un passage éclair en Ligue 2. Une montée arrivée plus tôt que prévue que savoure encore le club dakarois qui ne s’y attendait véritablement pas. « Nous avions bien débuté parce que nous avions pour objectif d’être en Ligue 1 en 2013, donc nous avons eu une avance sur le plan sportif. Cela a été quelque chose d’exceptionnel car nous ne nous attendions pas à se hisser aussi rapidement dans l’élite. Cela a été vraiment une grosse performance qui nous a permis de nous installer confortablement sans pression », se réjouit le président du club, Mouhamed Djibril Wade. L’ascension fulgurante des « Galactiques » a été surtout marquée par leur entrée fracassante dans l’élite, bousculant la hiérarchie, au point de rivaliser avec la première puissance du football sénégalais, le Diaraf de Dakar qui a frôlé la grosse humiliation. L’année 2010 fut bien celle de Niary Tally qui, pour son baptême du feu, a réussi à se hisser en finale du championnat avec le mérite d’avoir remporté la première manche (1-0) avant de céder au retour (3-1) devant les « Vert et blanc » alors amenés par un grand Abdou Khadre Dieylani Fall.
Après cette surprenante première année, certains n’avaient du reste pas manqué d’établir un rapport entre ce succès inattendu et l’euphorie et la chance du débutant pour verser du sable dans la machine « galactique ». Mais, la confirmation l’année suivante est venue balayer le scepticisme de certains adversaires jaloux du succès de la bande à Asse Mandaw Sy qui, à défaut de rééditer l’exploit réalisé en championnat l’année précédente, remporte la Coupe de la Ligue. Niary Tally était alors définitivement entré dans le monde professionnel avec un statut de petit aux ambitions de grand. En réussissant à préserver la même ferveur que durant les années de Navétanes, les dirigeants du club parviennent à donner une âme professionnelle à cette équipe qui s’installe peu à peu comme l’une des nouvelles forces sur laquelle peuvent compter les patrons de la Ligue professionnelle pour faire renaître la passion chez les footeux. L’équipe se donne surtout les moyens d’asseoir les bases de sa réussite dans un système à l’état expérimental. Un public attaché à son équipe, un stade rempli à chaque sortie, des produits qui s’écoulent comme de petits pains, la  classe dirigeante n’en demandait pas plus pour espérer doubler les vieilles écuries incapables d’avancer. L’objectif de Mouhamed Djibril de « rassembler toute la jeunesse de Grand Dakar qui va de Fann Résidence aux Hlm et touche les Sicap » est sur la bonne voie. D’où l’appellation Niary Tally-Grand Dakar-Biscuiterie (Ngb), adoptée depuis deux ans.

Quatre ans et déjà des difficultés financières inquiétantes
Niary Tally peut tout se permettre. « Le public nous rapportait beaucoup. En plus d’assurer un certain spectacle au stade, il nous permettait de gagner de l’argent par les quotes-parts qui constituaient une manne financière non négligeable », se félicite le président du club. Le passé employé par le boss est très explicite. Car, elle est bien loin de cette période où Niary Tally faisait le plein et incarnait le rêve de révolution de tout un quartier. Depuis deux saisons, le club connaît une crise de performances qui affecte, du coup, son fonctionnement. L’absence de résultats a, en effet, porté un sérieux coup aux ambitions des dirigeants qui semblent à bout de force pour faire face aux exigences du professionnalisme. « Je pense qu’il ne faut pas faire la fine bouche. Il faut reconnaître que cela devient de plus en plus difficile pour nous. Aujourd’hui, nous devons un mois et demi de salaire à nos joueurs. Ce qui n’était pas arrivé pendant pratiquement cinq ans. Financièrement, nous sommes dans des difficultés », explique le président. Mais, malgré les difficultés financières, le club tente tant bien que mal de survivre en s’appuyant notamment sur ce qui a déjà été établi pour lui permettre d’intégrer le championnat professionnel. Des changements palpables dont se réjouissent aujourd’hui joueurs et techniciens. En fait, même si l’équipe est encore loin de satisfaire toutes exigences du cahier des charges, beaucoup de choses ont changé surtout sur le plan du travail. « Par exemple, auparavant, nous n’avions que deux jeux de dossards, mais maintenant nous avons assez de plots et suffisamment de chasubles de différentes couleurs. Ce qui nous permet de bien travailler avec plus d’ateliers qu’avant. Au niveau de l’organisation, l’équipe est plus structurée. Avant, il n’y avait que l’entraîneur et son adjoint, mais maintenant, nous avons un préparateur physique, un entraîneur des gardiens, un intendant, un bagagiste et ils sont tous rémunérés », renseigne l’entraîneur Amadou Lamine Seck dit « Imam ».
Les joueurs sont tous rémunérés certes, mais les salaires sont bien en dessous de ce qu’espéraient les joueurs au moment de l’entrée en vigueur du professionnalisme. « Nous espérions voir nos conditions s’améliorer. Mais, ce n’est pas encore le cas. Nous espérons tout de même que cela va changer parce que les choses évoluent peu à peu. Cela va être lent, mais nos jeunes frères pourront connaître une situation plus reluisante que la nôtre », croit le capitaine Djiby Diaw Tireira. L’un des rares membres de l’effectif à avoir évolué à l’étranger, Vito Badiane, confirme les propos de son capitaine. « On ne peut pas comparer ce qui se passe chez nous et ce qui passe dans les championnats où je suis passé parce qu’ici, les joueurs vivent dans des conditions extrêmement difficiles. Certains se décarcassent même pour trouver quelque chose à manger après les entraînements. Ailleurs, on n’a pas ce genre de problèmes. Tout est normal, bien organisé. Tu es aisé, tu es dans de bonnes conditions, tu n’as aucun souci », déplore l’ancien capitaine de l’équipe nationale Juniors. Pour sa part, le directeur technique du club, Abdoulaye Diaw, pense qu’on est encore loin du compte. « En fait, on ne voit que deux types de professionnels dans l’équipe : ce sont les joueurs et les entraîneurs. On oublie le médecin ; or un club professionnel doit avoir deux ou trois médecins », constate l’ancien Dtn qui garde une autre conception du professionnalisme. « J’avais écrit en 1994 un document sur l’avènement du professionnalisme à l’attention du ministre des Sports de l’époque. Mais il a été biaisé. J’avais dit que pour participer à un championnat professionnel, chaque club de Ligue 1 doit avoir un minimum de 100 millions de FCfa et 80 millions pour les clubs de Ligue 2. C’est sur ces bases qu’on peut parler de championnat professionnel avec tout ce que cela englobe comme exigence ».

Pas d’infrastructures
A l’image de la majorité des clubs professionnels sénégalais, Niary Tally souffre en fait d’un manque criant de ressources financières et d’une absence presque totale d’infrastructures à même de permettre à l’équipe de dérouler son ambitieux programme de mettre sur pied un club de type nouveau avec tout ce que cela demande comme moyen. Alors que la masse salariale mensuelle est estimée à environ 10 millions de FCfa, pour un budget annuel de 100 millions de FCfa, Mouhamed Djibril et ses collaborateurs souffrent terriblement de l’absence de bailleurs pour faire face aux dépenses colossales. Tandis que les sponsors se font désirer, les autorités municipales semblent avoir d’autres priorités. Aujourd’hui, les trois maires, celui de Dakar, celui de Grand Dakar et celui de Biscuiterie n’ont pas mis la main dans la pâte. « Le maire de Biscuiterie s’était signalé en nous donnant la première année une subvention de 11 millions de FCfa, la deuxième année 6 millions mais cela s’est arrêté là. À la troisième, quatrième et cinquième année, nous n’avions rien reçu du tout », déplore Mouhamed Djibril Wade. Pour faire face aux dépenses, le club dépend particulièrement du portefeuille de ses dirigeants, ce qui, selon le coach, ne peut prospérer. « Cela ne peut plus continuer comme ça. Il faut que les clubs adoptent des politiques qui puissent leur permettre d’avoir des sponsors et d’autres sources de financements parce que le président seul ne peut pas assurer toutes les dépenses du club. Il faut qu’il y ait à côté de lui une équipe bien structurée, un agent capable de détecter des joueurs de talent qui permettraient à l’équipe d’offrir un spectacle à même d’attirer les sponsors », plaide Amadou Lamine Seck. Les initiatives ne manquent pas cependant. « Du point de vue marchandising, ça marche. Depuis cinq ans, Niary Tally change régulièrement de maillots. Cette année, malgré les mauvais résultats, nous avons vendu plus de 1.000 maillots à 5.000 FCfa l’unité et le comité des supporters organise des soirées ; ce sont ce genre d’initiatives qu’il faut prendre pour faire revenir le public », estime le président qui « ne veut pas compter sur les transferts des joueurs » pour faire vivre le club.
Sur le plan infrastructurel, la situation n’est pas plus reluisante, loin de là. Le patrimoine de l’équipe se limite juste à deux bus et une petite voiture de liaison. Niary Tally n’a ni siège encore moins un terrain de jeu qui lui appartient. Aujourd’hui, c’est ce qui empêche Niary Tally de décoller. « Les infrastructures sont notre problème principal et tant qu’on ne l’aura pas réglé, on ne pourra pas relever le défi du professionnalisme. Il nous faut un terrain parce que nous ne pouvons pas à chaque fois louer le terrain Demba Diop à 20.000 FCfa pour les Seniors et laisser les équipes de jeunes. Nous avons besoin aussi d’un siège fonctionnel et pour cela, il nous faut l’aide des pouvoirs publics, de l’Etat, de la municipalité, du Conseil régional. Sur le plan administratif, nous essayons donc de nous débrouiller, mais cela ne suffit pas », regrette le président.

Un club à dimension continentale, plus qu’un rêve
Malgré les difficultés financières, Niary Tally voit l’avenir en rose. Les dirigeants du club ambitionnent, en effet, de bâtir une formation à dimension continentale.  « Notre projet, c’est de rassembler toute la jeunesse de Grand Dakar qui va de Fann Résidence aux Hlm et touche les Sicap. Il nous faut aussi avoir des infrastructures, un siège et créer un grand club à l’image des clubs londoniens, c’est cela la mission de Niary Tally », dévoile Mouhamed Djibril Wade. « Niary Tally veut jouer l’Afrique. Je pense que c’est faisable d’ici trois ans. En tout cas, au vu de notre rapide ascension. Notre première année, nous avons joué une finale, la deuxième nous avons remporté une coupe et cette année, nous avons fait un championnat assez correct. Ce sont là autant de facteurs qui nous permettent d’espérer voir l’équipe se qualifier en Afrique dans trois ans », pense le coach « Imam ».
Le club a déjà posé les premiers jalons de son image du futur. Conscients que la jeunesse incarne l’avenir, les dirigeants se sont tournés sur la formation des jeunes. Après avoir réussi à consolider l’équipe Senior, les Juniors et les Cadets, ils ont mis sur pied une académie qui regroupe les meilleurs jeunes, âgés de 11 à 13 ans, des écoles de la commune avec comme objectif de « mettre sur pied un grand centre de formation ». Les motifs de satisfaction ne manquent pas. « Cette année, ils ont participé à un tournoi en France où ils ont été éliminés en demi-finale par Strasbourg, après avoir battu des équipes comme l’Olympique de Marseille. Ils font Sport et Etudes et nous comptons sur cette génération pour la formation. Et tous les deux ans, nous faisons un recrutement. Nous prenons des initiatives peu coûteuses », se félicite le président.

©Lesoleil

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