Alain Giresse n’est pas repassé par Dakar après l’élimination à la CAN. Lui, est retourné à Saly Portudal (Mbour) pour continuer à diriger son équipe (Diambars). Plus de deux semaines après, l’ex adjoint du sélectionneur français des Lions, avec qui la «collaboration n’a pas tout le temps été gaie», a toujours du mal à digérer la déroute des «Lions» en Guinée Équatoriale. Aujourd’hui, Boubacar Gadiaga ne «réclame rien», mais se dit toujours prêt à «servir».
Après une victoire (2-1) d’entrée sur le Ghana, qu’est-ce que vous vous êtes dit en regardant cette équipe disputer la finale ?
Ce n’est pas parce qu’on a battu une équipe qu’on doit aller jusqu’au bout. Le Ghana a su rebondir après cette défaite, c’est tout son mérite. Ils ont su se remobiliser pour gagner le deuxième match (1-0 contre l’Algérie, Ndlr) puis le troisième (2-1 contre l’Afrique du Sud, Ndlr) pour se qualifier. C’est tout à l’honneur de cette équipe. Nous étions dans une poule où tout le monde pouvait passer ou se faire éliminer. Personnellement, avant même la CAN, j’étais presque sûr que l’un des finalistes sortirait de ce groupe. Malheureusement pour nous, cela a été le Ghana et il faut les féliciter et apprendre de leur capacité de réaction, pour l’avenir.
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Entre le succès au premier match et la défaite contre l’Algérie, synonyme d’élimination, à quel moment le ressort s’est-il cassé ?
Il n’y a pas de ressort cassé. On a vécu le dernier match comme on devait le vivre. Nous étions bien organisés et concentrés. Il y avait une bonne dynamique de groupe. Par contre, nous avons commis des erreurs dans la partie. On a fait des choix sur le deuxième match (1-1 contre l’Afrique du Sud, Ndlr) qui nous ont coûté cher. On a peut-être coupé le rythme de l’équipe et on l’a payé cash. Après le premier match, je pense qu’on aurait dû rester sur la même dynamique, et peut-être (il se répète) qu’on aurait eu un meilleur résultat.
Etiez-vous d’accord avec Giresse sur les changements lors du match contre l’Afrique du Sud ?
(Il soupire). C’est une décision du staff, qui a été très discutée. Je n’étais pas d’accord sur le champ (Ndlr ; il fait allusion aux nombreux changements contre l’Afrique du Sud), mais je n’ai apporté que mon expertise. Après, c’est lui (le coach) qui décide, en disant : « je veux jouer avec ça ». Souvent, il y a eu des choix qui ont été discutés de manière très rude. Parfois, on n’était pas d’accord. Et comme je suis à la fois têtu et correct, nous avons parfois eu des échanges difficiles.
«Je n’étais pas toujours d’accord avec Giresse dans ses choix»
Beaucoup de gens ont décrié le manque de communication de Giresse. Est-ce qu’il discutait de ses choix avec vous ?
Oui, on en parlait. La veille du match, il a dit : »Je vais jouer comme ça ». J’ai dit ce que j’en pensais et ce n’était pas ce qu’il voulait. Après, j’ai donné mes arguments, mais il a dit : « Non, je veux jouer avec ça. Je suis le patron et c’est moi qui gère le groupe ». J’ai répliqué : « Qu’Allah nous accompagne et nous aide ». On est parti(s) avec ça, convaincus d’avoir les moyens pour faire un grand match. On avait fait des matchs amicaux qui nous avaient donné de la confiance. Il y a eu aussi la victoire face au Ghana, qui nous en a donné davantage. On avait l’impression que rien ne pouvait nous arriver. On est donc parti(s) avec ça. Mais avec du recul, on se dit qu’on aurait pu faire autre chose.
Vous voulez dire que vous auriez aimé voir le Sénégal jouer avec une équipe différente ?
Je mets un joker. Sincèrement, je n’étais pas toujours d’accord avec les choix. C’était dur et on l’a accepté. On croyait dur qu’on allait passer. Quand le patron est convaincu d’une chose, on positive. J’étais à 200% avec les choix. Je donne tout ce que j’ai. C’est notre rôle. Quand il fait ses choix, je n’ai plus d’état d’âme. Il faut préparer les onze joueurs qui doivent démarrer. Mais en amont, on avait dit que ce n’étaient pas les meilleurs choix.
Qui participaient aux réunions d’avant match?
Nous étions quatre à discuter et faire les choix. Il y avait le coach, moi, Sidath Sarr (entraîneur des gardiens) et David Le Goff (préparateur physique). Il (Giresse) fait ses choix et nous demande notre avis.
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Quelle est votre part de responsabilité dans cet échec ?
Le rôle d’un adjoint est de faire une autre proposition après celle du coach. Il dit ce qu’il pense, mais le dernier mot revient à l’entraîneur. Dès lors, notre réflexion est tournée vers ce que nous pouvons apporter aux titulaires, notamment sur le plan tactique. Une fois que les choix étaient faits, on avait la conviction de pouvoir nous qualifier avec ce qui avait été décidé. Comme je l’ai dit tantôt, on avait fait tourner l’équipe durant les matchs amicaux et tout le monde avait répondu à nos attentes.
Qu’est-ce qui s’est passé contre l’Algérie, où le Sénégal était méconnaissable ?
L’équipe n’était pas méconnaissable. Contre l’Algérie, tous nos voyants étaient au vert. Il y a eu 148 duels disputés et le Sénégal en a gagné 90, contre 58 pour l’Algérie. Donc, dans l’engagement et le caractère, on était au-dessus. Sur les frappes au but, nous en avons eu 18, contre 9 pour l’Algérie. Sur les tirs cadrés, ils en ont réussi 6, contre 3 pour nous. Là, il faut reconnaître qu’on a failli. On a manqué de justesse dans le dernier geste. Et sur la maîtrise collective, le Sénégal a eu 53% de possession et plus de 300 et quelques passes réussies sur un total d’environ 433. Donc, on a eu plus de maîtrise que l’Algérie, mais on a mal exploité tout cela. On a manqué d’une certaine lucidité, parce que l’équipe est jeune. On a perdu ce match à cause du but pris dans les quinze premières minutes. On a manqué de concentration et d’attention sur ce but, qui nous a plombés. Si les joueurs étaient bien concentrés, ce but serait évité et le match serait à nous. Mais comme l’ont dit certains, on n’a pas joué défensivement sur ce match. Quand on aligne trois défenseurs, c’est justement pour presser haut et gagner les duels. On en a gagné plus dans la zone défensive de l’adversaire. Cela prouve que l’équipe était conquérante. C’est douloureux, mais c’est un apprentissage.
Mais vous avez quand même des regrets…
Sincèrement, je n’ai pas dormi le soir de l’élimination. Je suis même tombé malade le lendemain, parce que j’étais atteint au plus profond de moi. J’étais persuadé que nous avions une équipe qui pouvait aller au moins jusqu’en demi-finale ou en finale. Peut-être gagner la coupe, je ne sais pas. Mais j’avais la certitude et la conviction qu’on allait faire une grande CAN, parce que tout le monde nous craignait. Après le premier match contre le Ghana, tout le monde parlait du Sénégal comme une équipe athlétique et technique. Ce sont les référents actuels du football, il faut être athlétique et technique. Après, nous nous sommes vus trop beaux. Je ne parle pas des joueurs, mais du staff. On a manqué d’humidité et on s’est trompé(s), passant ainsi à côté d’une grande CAN, parce qu’on avait une équipe compétitive, joueuse, qui avait envie de vivre une expérience exceptionnelle, avec un investissement sans faille de tout le monde.
«Dans la continuité, je pense avoir ma place»
Maintenant que Giresse est parti, peut-on dire que c’est aussi la fin de votre compagnonnage avec les Lions ?
Je suis au Sénégal et je suis toujours à la disposition de mon pays. J’ai fait un rapport pour dire ce qui a marché et ce qui n’a pas fonctionné. Aujourd’hui, je sais que ce qui manque à l’équipe n’est pas énorme. En deux ans, j’ai fait 22 matchs. Je connais mon point fort et ce qui nous fait défaut. Je sais aussi ce que je peux apporter à l’équipe. Je suis là pour continuer à aider mon pays. Nous avons des dirigeants avertis, qui savent ce qu’ils veulent. Ils vont réfléchir avec la plus grande honnêteté intellectuelle, pour décider de la continuité ou de la rupture. Ce n’est pas moi qui décide, mais dans la continuité, je pense avoir ma place. J’ai énormément appris pendant deux ans et j’ai suffisamment d’expérience pour aider l’équipe. Certains joueurs ont été mes poulains. J’ai d’énormes acquis qui font que s’il y a continuité, j’ai un rôle à jouer. Il y a eu 8 matchs amicaux (5 nuls et 3 victoires), 6 matchs dans les éliminatoires de la Coupe du Monde (3 nuls, 2 victoires et une défaite). En 6 matchs de qualification pour la CAN, nous n’avons perdu qu’une fois, contre la Tunisie. Ce qui fait 3 défaites en 22 matchs joués. Il y a le noyau dur à améliorer. C’est ça la continuité. Je pense qu’il y a largement de la matière pour faire une bonne campagne de qualification pour la prochaine CAN (2017), puis enchaîner sur le Mondial (2018). Que ce soit avec moi ou un autre, cette équipe n’a plus besoin de grand-chose pour aller plus loin. Qui refuserait l’équipe du Sénégal ? Nous avons tout ce qu’il faut pour réussir.
Vous êtes donc prêt à continuer l’aventure avec l’Équipe nationale ?
Bien sûr ! Je suis à 200% à la disposition de mon pays pour accompagner cette équipe. J’ai pris énormément de plaisir. Je ne suis plus un novice. Je connais l’environnement et j’ai un vécu avec les éliminatoires, les matchs amicaux et la CAN. Il faut dire les choses. Au Sénégal, on a les compétences qu’il faut. J’ai le même diplôme (DEF: Diplôme d’Entraîneur de Foot, Ndlr) que Hervé Renard. Au Sénégal, il y a beaucoup d’entraîneurs qui ont le même diplôme que lui. Comme je l’ai dit, j’ai la ferme volonté et une réelle envie de continuer, parce que je sais que je peux apporter quelque chose. Je ne réclame rien et si les dirigeants me font confiance et font appel à moi pour aider l’équipe, je serais là. Si ce n’est pas moi, je prierais pour que ceux qui prendront le flambeau réussissent, parce que l’équipe du Sénégal le mérite. Si on fait bien les choses, le Sénégal va vite rebondir et prendre sa place en Afrique.
«J’ai le même diplôme que Hervé Renard»
Pourquoi avoir présenté un rapport à la place de Giresse ?
C’était sur demande de la Fédération. Giresse n’étant plus ici, le président de la Fédération me l’a demandé et je l’ai fait. J’ai toujours travaillé comme ça. Je prends des notes, avec tous les détails. Cela n’a pas duré, parce que du début jusqu’à la fin, j’avais tout noté. Au moment de se quitter, j’ai remercié Giresse pour sa confiance portée sur ma personne pour être dans son staff, même si notre collaboration n’a pas tout le temps été gaie.
Que pensez-vous du débat sur le nouveau sélectionneur du Sénégal ?
Je pense qu’il y a des gens plus habilités pour en parler. Je l’ai dit dans le rapport, je sais que nous avons une équipe presque prête. Il nous manque peut-être un, voire deux joueurs. On a aujourd’hui une équipe compétitive, jeune et dynamique. Il faut trouver la bonne ou les bonnes personnes techniques pour diriger l’équipe. Il y a des Sénégalais compétents pour le faire.