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Les Lignes de Tidiane Kassé

Encore une fois, l’épouvantail est agité. Le monstre qui dort au fond de l’océan, repu des corps de plus de mille innocents voyageurs victimes d’une criminelle négligence d’Etat, est une nouvelle fois convoqué.

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Voici donc que resurgit la mauvaise conscience d’un peuple que l’indiscipline, l’irresponsabilité et/ou l’incivisme exposent souvent à des catastrophes quotidiennes et conduit à vivre sur le fil de la mort. On a encore parlé du Joola et ce n’est point pour faire référence aux ndiaga ndiaye bondés qui disputent à volonté leurs 6 Heures de Dakar sur le circuit Colombani de l’autoroute. Il n’est pas non plus question de ces centaines de milliers de Dakarois qui ont bâti maisons et masures sur le pipeline de la Sar, avec, au-dessus de leur tête, les fils électriques à haut voltage de la Senelec.

Le spectre du Joola est plutôt ressorti pour évoquer cette catastrophe humaine dont la trame se tisse, de manière silencieuse et sournoise, dans les entrailles de ce monstre qu’est le stade Demba Diop.

Avec Le Joola, ils étaient quelque 2 000 passagers dans le bateau qui s’est enfoncé dans les eaux sombres, au large de la Gambie, le 26 septembre 2002. La mort n’en a épargné qu’une cinquantaine. A Demba Diop, ils peuvent être 15 000, quand la «cuvette» fait le plein de ses gradins et vibre de toute la folie passionnelle qui les habite. C’est ce chœur joyeux qui, un jour, pourrait se transformer en ce lugubre chant de mort qui monte quand une foule se retrouve prise dans le piège sans rebours d’un tunnel ouvert sur la mort.

L’avertissement est du directeur du stade Demba Diop. Autour de lui, mercredi, il avait des sommités de la Commission pour la protection civile. Leur constat rejoint un champ de ruines qui couve des drames possibles.

Cela rappelle que l’histoire du football est jalonnée de tragédies qui ont détruit des corps, anéanti des vies, causé des traumatismes et des chocs émotionnels incurables, avec des bilans macabres qui marquent à jamais le nom de certains stades. Il y a les 320 morts qui collent au stade Nacional de Lima. C’était en 1964, lors d’un Pérou-Argentine. Les 126 morts du 10 mai 2001, à l’occasion d’un Hearts Of Oak-Kotoko à Accra, continuent aussi de hanter les mémoires. D’autres drames s’échelonnent entre 20, 30 et 60 morts survenus sur divers continents, là où la passion du sport n’a pas rencontré assez d’esprit de prévision pour contrer les funestes desseins de la mort.

Un stade est toujours un potentiel lieu de drame, quelles que soient sa modernité et sa fonctionnalité, ainsi que son niveau de sécurité. Et quand tous ces paramètres se résument à un degré largement inférieur à zéro et qu’on tombe dans le registre mortifère de Demba Diop, tous les périls hantent, tous les drames sont possibles à l’extrême.

En tous lieux, quand les foules s’agrègent et s’expriment à travers une forme de passion quelconque, leur dynamique devient difficilement contrôlable. Une foule, dit-on, n’a pas de visage. Dans cette masse compacte où les comportements individuels les plus extrêmes se dissolvent dans la couverture qu’offre le grand groupe, les dérapages qui s’ouvrent  sur des enchaînements dramatiques ne sont pas à exclure.

Demba Diop est devenu un dépotoir de déchets domestiques. Quand les énergumènes y entrent les poches vides, il leur suffit de s’acharner sur le béton des gradins pour détacher de quoi déclencher uneIntifada. Les jours de grande affluence, notamment avec les combats de lutte, il arrive que les tribunes «dansent» au rythme de l’excitation des supporteurs. Il ne s’agit pas d’une joie fusionnelle ressentie par le béton, mais les signes d’atteinte du seuil de rupture.

On l’a déjà écrit ici, Demba Diop n’est pas à réfectionner. Il est à refaire dans le style des stades modernes qu’on voit émerger ici ou là. On peut transférer Marius Ndiaye ailleurs et installer le basket dans un cadre qui soit enfin à la hauteur de son lustre. L’espace offert permettrait de redimensionner ce vieux temple du foot, le doter d’une contenance respectable et y créer un environnement plus convivial.

On peut se dire que Demba Diop atteint rarement son seuil de contenance critique. Mais aussi rares soient-ils, ce sont là des moments de folie où tout peut arriver. Notamment quand la lutte envahit les lieux ou que les navétanes s’y invitent.

Le compte à rebours est bien sûr déclenché pour la fermeture de ce stade et pour sa réfection. Mais il n’y a aucune maîtrise sur les dates, sauf qu’il faut attendre qu’on ait fini de remettre à neuf Léopold Senghor. En attendant, ce qui se fait à Demba Diop peut continuer de s’y faire. En tous risques et périls.

Suite aux constats de la Commission pour la protection civile, ne faudrait-il pas dégager des mesures conservatoires, faute de pouvoir fermer le stade ? Comme limiter la capacité pour les grands événements, interdire les manifestations nocturnes, diminuer la fréquence d’utilisation, etc.

L’intelligence, ce n’est pas de toujours évoquer Le Joola. Il faut bien que les 1 863 morts soient heureux de voir qu’on ne continue pas de s’en foutre, de banaliser ou de procastiner  face aux urgences qui assaillent.

 

WaaSport

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