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Des joueurs lucides, ayant du sang-froid. Giresse a ainsi fixé le profil des «Lions» qu’il veut demain sur le terrain, à Abidjan. Au-delà de tout ce qui est technique, tactique ou physique, un match se gagne ou se perd dans le mental. Ainsi la recherche de la performance se heurte parfois à cette barrière incompressible qui va de l’inquiétude à la panique.

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On parle de peur de perdre, mais il y a aussi la peur de gagner.

Le premier confine à la prudence, limite la prise de risque et tue l’initiative. Le second est un état psychologique dévastateur, qui atrophie l’esprit et installe un état d’incapacité totale. Il colle au scénario de la seconde période de Côte d’Ivoire-Sénégal d’il y a un an.

Cette peur de gagner se manifeste dans des circonstances où on tient un résultat sans savoir qu’en faire, des moments où l’imprévu de la situation qui se présente empêche de construire la suite. Il s’agit d’instants où on peut tuer un match, mais où on finit souvent par se faire tuer.

Le scénario le plus célèbre, que Giresse connaît bien d’ailleurs, et sur lequel les Français ont disserté à l’envi, c’est la demi-finale France-Allemagne du Mondial-1982. Les Français mènent 3-1 à la 98e mn des prolongations et filent vers une finale inespérée. Rummenigge entre, tout s’écroule. Les «Bleus» finissent par perdre aux tirs au but.

On a parlé du complexe allemand, de la peur du Boche et de l’inexpérience d’un groupe qui en était à son deuxième Mondial. Mais surtout de la peur de gagner. Ce n’est pas une question de haut niveau ou de bas niveau. C’est lié à l’environnement et à la mise en condition. Elle tient du déficit de confiance qu’on peut avoir en soi, quand tout acte sur le terrain peut être lourd de conséquences, quand l’intensité des enjeux tend à opprimer plus qu’elle ne libère.

Peur de perdre ou peur de gagner, il s’agit d’un handicap mental atrophie les capacités et brouille les intentions. Rater un geste technique facile, mal doser une passe à 2 mètres, faire une faute bête là où aucun danger n’imposait pareille réaction, aller à l’envers de tout sur un terrain, résulte de ce défaut de maîtrise qui s’installe quand les tripes se vident, que le cœur ne tient plus en place et qu’une sorte de brouillard enveloppe l’esprit. C’est là que le compétiteur perd ses repères, s’installe dans la confusion et attend la fin (n’importe laquelle) comme une délivrance.

Pour une bonne part, le Côte d’Ivoire-Sénégal de demain se jouera au niveau de cette charge émotionnelle. De part et d’autre d’ailleurs. Car quoi qu’en disent certains joueurs ivoiriens, ce match se dispute dans une sorte d’équilibre de la terreur. Quand une armée possède dix ogives nucléaires, il suffit que l’ennemi en possède deux pour disposer d’une capacité de destruction qui impose le respect et la prudence.

On peut regarder les «Lions» et se dire que des hommes qui ont tant vécu peuvent bien être au-delà de ces sentiments primaires de manque de confiance en soi, de doute et de vide total. Mais ce n’est pas une question d’avoir joué dans un Wembley plein ou d’avoir survécu à l’enfer d’Old Trafford.

Abidjan est un petit stade de 35 000 places. Mais on peut créer un enfer avec moins que ça. Ce n’est pas une question d’insécurité générale, car avec les dispositions internationales actuelles, les coupe-gorge comme Surulele de Lagos où les «Lions» ont vécu avec feu Mawade Wade un après-midi d’horreur, en 1978,  relèvent de l’histoire. C’est une question de vécu.

L’enjeu ne tue pas le jeu. Il tue la capacité de jouer. C’est une situation d’inconfort qui peut annihiler les savoir-faire tant maîtrisés, parce que tout simplement on n’a  pas su mettre au même niveau de préparation l’énergie physique et la force mentale. Mais la vérité est que tout cela se construit en même temps que le footballeur grandit avec sa personnalité propre.

Peur physique (refus du combat) et peur émotionnelle (stress, trac, anxiété) ont souvent habité de grands footballeurs dont la pleine expression s’évanouissait dès que l’intensité, l’enjeu et les circonstances environnantes les sortaient de leur confort de jeu. Il y en a, par contre, eu d’autres chez qui la castagne était une seconde nature, quand la technique était la première.

Difficile de pointer du doigt dans le premier registre. Mais on est fort aise de citer Salif Diagne (ex-Niayes, Ja), Koto (Ja) et Abdoulaye Bâ (Jaraaf) dans le second. Comme eux, il y en a eu tant et tant qui ont construit leur Adn sur les terrains vagues faits de pierre et de sable, où les tibias étaient soumis aux attentats les plus inouïs, où l’arbitre se postait le plus près de la ligne de touche pour siffler la fin du match et prendre ses jambes à son coup, laissant derrière lui la mêlée finale des règlements de comptes. On pouvait perdre le match, rentrer comme une bande de guerriers et avoir plein à se raconter pour les nuits blanches à venir.

Etre de quelques coins populeux de Dakar, revenait à porter un label de caïd. On se suffisait d’un ou de deux joueurs de talent, tous les autres servaient à installer la terreur et à faire le vide. Dans les alvéoles de leurs semelles plastiques, on trouvait des cailloux enfoncés pour faire des crampons.

Le stade Félix Houphouët-Boigny ne sera pas un tel repaire de hors-la-loi. Mais pour y aller avec lucidité et sang-froid, il faudra avoir le courage d’être. Un match de guerriers, comme les «Lions» disent préparer, ne se décrètent pas. Il faut le porter. Courage.

 

WaaSports

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