Sa voix a toujours compté pour remobiliser la Tanière. Cette fois, le vice-capitaine des Lions ouvre son cœur aux lecteurs de Record. Sans détours, Kara Mbodj parle de la prochaine Coupe du monde en Russie. Le défenseur central d’Anderlecht (D1 belge) aborde également son indisponibilité pour les deux prochains mois tout comme le cas Diao Baldé Keita qui a récemment défrayé la chronique.
Kara Mbodj, avez-vous fini de digérer la qualification au Mondial 2018 ?
L’essentiel a été fait. Il faut reconnaître qu’à chaque fois que l’on pense au parcours qui a été le nôtre, on est content. Cette qualification est très importante à tous les niveaux pour nous. Mais aussi pour le peuple sénégalais. Tout le monde est satisfait. Mais aujourd’hui, on doit l’oublier et se projeter sur les prochains matchs.
Pensiez-vous être en mesure de décrocher ce ticket pour la Russie ?
Honnêtement oui. Moi, c’est surtout après le match gagné contre le Cap-Vert à Praia que je me suis dit que c’était possible. On a prouvé sur le terrain qu’on était les meilleurs. Cela a été rendu possible par la solidarité qui a régné dans le groupe jusqu’au bout.
Mais le doute s’était installé dans vos rangs après le double match nul face au Burkina ?
C’est normal. Après ce qui s’est passé lors de la 2ème journée en novembre 2016 en Afrique du Sud où on s’est fait battre par 2-1 que le doute s’était installé. Il y a aussi les deux matchs nuls face au Burkina Faso. Après, on a su faire la différence. Notre déplacement au Cap-Vert n’était pas évident. Les conditions climatiques étaient difficiles, il y avait beaucoup de vent. Malgré tout, on s’en est sortis avec les 3 points de la victoire en gagnant 2-0.
L’info sur la reprogrammation sur le match à rejouer contre l’Afrique du Sud a été un vrai soulagement…
C’est à l’aéroport de Ouagadougou après le match contre le Burkina que nous avons été informés de la décision de la FIFA de reprogrammer ce match de la 2ème journée. Quand le président de la Fédération nous a informés, nous avons dit que ce n’est que justice qui a été rendue. Je me rappelle ce fameux penalty sifflé contre nous à Polokwane. J’avais dit à l’arbitre ghanéen en anglais : « Monsieur, vous n’êtes pas en train d’arbitrer un match des éliminatoires de la CAN mais de la Coupe du monde. Vous jouez votre réputation parce que le monde entier est en train de regarder ce match. Et je suis sûr que vous serez suspendu parce que votre décision de siffler un penalty contre nous est injuste ». Il y a certaines personnes qui ont même demandé que l’on donne les 3 points de la victoire au Sénégal. Mais, je pense que cette décision de rejouer le match est juste parce que l’Afrique du Sud n’a rien à voir avec la décision de l’arbitre. On nous a, à tous les deux, redonné une chance. Heureusement que nous avons saisi la nôtre. L’Afrique du Sud est une équipe joueuse mais nous avons mis en place un système qui les a complètement embrouillés. Ils nous ont posé beaucoup de problèmes mais à l’arrivée on s’est imposé 2-0.
Personnellement vous Kara Mbodj, comment avez-vous vécu ce match à partir des tribunes ?
Je savais déjà que je n’allais pas jouer cette rencontre parce que j’étais suspendu pour cumul de cartons jaunes. Au départ, c’était compliqué pour moi. Mais, quand nous avons ouvert la marque, mes jambes sont devenues moins lourdes. J’avais beaucoup de pression et j’ai tremblé pendant un bon moment. Avant le match, j’avais dit à mes coéquipiers que ce serait difficile pour moi de suivre ce match parce que je ne serai pas avec eux sur la pelouse. Mais que, malgré tout, j’avais confiance en eux. Et je lisais sur leur visage qu’ils allaient le faire.
Quinze ans après, le Sénégal retrouve une Coupe du monde. Quel sera l’objectif ?
Notre objectif, ce sera d’abord et avant tout de rendre le peuple davantage fier de nous. Je sais qu’il l’est déjà. Cette qualification restera à jamais dans les esprits. Nous étions tous des gamins quand le Sénégal se qualifiait pour la première fois à une phase finale de Coupe du monde. D’ailleurs, ce sont ces aînés qui nous ont tous transmis l’envie de porter le maillot de l’équipe nationale. Ils nous ont donné l’envie d’être là où nous sommes présentement. Aujourd’hui, grâce à cette génération 2002, on a réalisé ce rêve.
Le 14 novembre dernier, le Sénégal parachevait sa qualification et, personnellement, vous marquez le but de la victoire…
Nous avons vécu des moments inoubliables avec nos supporters, ce jour-là. Ces moments-là, on ne les vit pas tous les jours. C’est la première fois que je voyais une telle communion entre une équipe et ses supporters depuis que je suis footballeur professionnel. C’était magnifique.
Pour plusieurs observateurs, cette équipe du Sénégal ne rassure pas dans le jeu. Kara Mbodj partage-t’il cet avis ?
Il y a beaucoup de connaisseurs du foot au Sénégal. Ils donnent leur avis pour le bon fonctionnement de l’équipe. Ce qui est tout à fait normal. Il ne faut pas prendre ces critiques négativement. Au contraire, on doit tout positiver. Mais, il ne faut pas oublier que l’on jouait des qualifications pour une Coupe du monde. Et le plus important pour moi, c’est de se qualifier. Si on produit un beau jeu, tant mieux. Si on gagne sans le beau jeu c’est encore mieux. Maintenant, avant la Coupe du monde, on aura largement le temps de parfaire notre jeu.
N’oublions pas qu’à chaque fois que l’on vient en sélection, on a au maximum quatre jours d’entraînements. On n’a pas le temps de travailler. Si vous regardez l’équipe nationale du Sénégal qui a joué la dernière Coupe d’Afrique des Nations et celle qui vient de se qualifier pour la Coupe du monde, vous vous rendrez compte que, dans le jeu, on était meilleurs lors de la CAN. Le coach avait trois semaines pour bien travailler avec son groupe. Et c’est important. Cela nous fait du bien d’entendre des observateurs apporter leurs contributions pour l’évolution de l’équipe. Cela prouve que l’équipe nationale intéresse tout le monde.
Quels sont les secteurs à améliorer, selon vous ?
C’est toute l’équipe qui doit être considérée. Du poste de gardien de but à la ligne offensive, en passant par la défense et par le milieu, tout est en chantier parce que le football est un jeu collectif. On a des individualités qui ont démontré à plusieurs reprises qu’elles peuvent faire la différence mais le plus important reste le collectif. Et tout le monde comprend ça ainsi. Le coach et son staff savent ce qui nous manque. Entre nous joueurs aussi, nous nous parlons tout le temps. Avant le début de la Coupe du monde, je suis convaincu que nous aurons le temps de nos préparer.
La Coupe du monde, c’est le très haut niveau et de petits détails peuvent être fatals…
On en est conscients. Personnellement, j’ai joué la Ligue des champions. Je connais bien les exigences du haut niveau et j’en parle en connaissance de cause. Dans le haut niveau, ce sont effectivement les petits détails qui font souvent la différence. Et je sais que tous les joueurs de l’équipe nationale le savent parce qu’ils évoluent tous dans de très grands championnats européens.
Récemment, on a beaucoup parlé d’un écart de conduite de Diao Baldé Keita. Qu’en est-il exactement ?
Dans une équipe de football c’est normal qu’un joueur soit frustré quand il ne joue pas, parce qu’il aimerait bien être sur le terrain pour aider ses coéquipiers. Je ne veux pas que les gens fassent du cas Diao Baldé Keita un problème. Non. Ce n’en est pas un. Nous sommes en famille. On se parle entre nous et on se regarde dans le blanc de l’œil pour se dire la vérité. Diao Baldé n’est pas un cas. C’est un garçon charmant, un jeune qui a envie de progresser et de tirer l’équipe vers le haut. Chacun a son comportement et son tempérament. Je pense qu’El Hadji Diouf a raison sur ce dossier-là. Aucun footballeur n’est content s’il reste sur le banc de touche. Maintenant, les gens peuvent dire des choses qu’ils ne maîtrisent pas et on n’y peut rien.
Cela ne ferait-il pas désordre si un joueur boude à chaque fois qu’il ne joue pas ?
Non, tout le monde n’est pas comme ça. Aujourd’hui, il y a des joueurs qui ne jouent pas mais qui ne boudent pas non plus. Nous n’avons pas la même maturité. N’oublions pas que Diao Keita est encore jeune. L’équipe a besoin de lui, tout comme lui aussi a besoin de l’équipe. Il nous arrive de nous énerver en club parce qu’on n’a pas joué. Mais, comme je vous le dis, nous sommes une famille. C’est une histoire ancienne. Tout est rentré dans l’ordre.
Et si on parlait de la poule H que le Sénégal partage avec la Pologne, la Colombie et le Japon ?
Contrairement à ce que pensent certaines personnes, nous sommes tombés sur une poule très difficile à jouer. Vous savez, toutes les équipes qui se qualifient à la Coupe du monde se valent presque. J’ai suivi un match amical que la Belgique a difficilement gagné contre le Japon. C’est pourquoi je dis que nous aurons du pain sur la planche. On doit rester humbles même si en Coupe du monde, il n’y a pas de calcul. Il faut que nous soyons tous à 100%.
Quel sera concrètement l’objectif de l’équipe du Sénégal à la Coupe du monde 2018 ?
Nous n’y allons pas comme des touristes mais pour jouer crânement nos chances. On va se faire respecter. Et ça vous pouvez compter sur tout le groupe.
Le Sénégal pourra-t-il atteindre les quarts de finale comme en 2002 ?
Honnêtement, nous avons beaucoup de respect pour cette génération 2002 qui nous a montré la voie. Les gens ont l’habitude de comparer les deux générations. Etant jeunes, on a beaucoup supporté l’équipe de 2002 qui nous a donné l’envie de ce maillot national. Cette génération nous a inculqué le fighting spirit. On leur doit beaucoup de respect. Il ne faut pas comparer les deux générations. Aujourd’hui, nous sommes en 2018. On ne fera pas fixation sur un objectif. Le plus important, ce n’est pas de faire mieux qu’eux mais plutôt de se faire respecter et hisser le drapeau national comme jamais il ne l’a été.
Vous avez eu pour la énième fois des altercations avec des supporters d’Anderlecht. Qu’est-ce qui s’était passé ?
C’est après le match contre le FC Bruges qu’un supporter m’a lancé des insanités. C’est la même personne qui m’avait traité de singe à l’époque. J’étais obligé de descendre de mon véhicule pour lui régler son compte. Cela n’a rien à voir avec le football. Ce sont les propos racistes qui m’ont fait sortir de ma réserve. N’eut été l’intervention de la police et des stewards, il n’allait plus recommencer. Il faut que les gens sachent que ce n’est pas Kara qu’on a attaqué parce qu’il a mal joué. Non, loin de là.
Quelle a été la réaction du club ?
Le club n’a pas réagi. Les dirigeants savent que c’est une minorité parce que ces propos racistes n’ont rien à voir avec le football. Même les supporters reconnaissent qu’à chaque fois que je suis sur le terrain, je ne me réserve pas. Je donne tout ce que j’ai dans les tripes. C’est pourquoi je dis que ces propos racistes n’ont rien à voir avec le football. Récemment, Kalidou Koulibaly a été aussi victime de tels propos en Italie.
Restons dans votre club, Anderlecht. Quel bilan à mi-parcours faites-vous de la saison ?
Ça va. Même si tout n’est pas rose depuis le début de la saison. Là, on continue à nous battre pour confirmer les prestations de la dernière saison. On s’est fait distancer mais on aura les moyens d’y arriver. Le Championnat belge avec ses play-offs est atypique. Personnellement, comme chaque saison, j’essaie toujours de donner le meilleur de moi-même en montant en puissance. Ça se passe bien, Dieu merci.
Quel est l’objectif d’Anderlecht qui est quand même champion en titre ?
Je ne sais pas si je vais terminer la saison ici. Mais, comme vous le savez, l’objectif est d’être champion parce qu’Anderlecht ne vise que la première place du classement. Je suis ambitieux. Il s’est passé beaucoup de choses dans ma carrière. Mais, le Bon Dieu a décidé que je sois ici et j’accepte cette volonté divine.
Pourquoi votre transfert au FC Séville a-t-il capoté ?
Je ne dirai pas qu’il a capoté. On était deux défenseurs à être dans le viseur de Séville. Ils ont finalement pris ce dernier (ndlr : Simon Kjaer, ancien défenseur de Fenerbahçe). Le deal n’a pas capoté. Au mois de janvier, j’avais trois propositions en provenance d’Angleterre. Mais, le club a refusé de me laisser partir.
Là, il semble que vous êtes blessé et out pour trois mois…
(Rires). Non c’est deux mois et retenez ça.
Parlez-nous un peu de vos duels avec Neymar que vous avez croisé à deux reprises en matchs de poule de la Ligue des champions…
Personnellement, Neymar est un joueur que je respecte. Après, dans le terrain, on sent que c’est un artiste dans le jeu. Dans ces matchs, on n’a pas eu de contacts particuliers tous les deux. Ceux qui ont suivi les matchs savent que je me suis fait respecter par les joueurs adverses. Ce n’était pas un match Kara Mbodji contre Paris Saint-Germain. C’était PSG / Anderlecht. Collectivement, on n’était pas là. On a pris 5 buts. Tout le monde s’est moqué de nous. Mais, après, le Celtic en a pris 7. Ce qui montre la puissance de cette équipe parisienne et la qualité des joueurs qui la constituent.