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Ce n’est pas pour rien que Waa Sports s’y est mis depuis trois éditions. On retrouve cet air du temps bien connu. Pour l’heure, il s’agit juste d’un frémissement dans les quartiers. Les périodes de déferlement viendront plus tard, quand les journées seront emplies de cet enthousiasme général qui bouleverse la pyramide des âges, se joue des questions de genre et fait exploser les barrières sociales. Petit à petit, le dénominateur central va devenir l’Asc, et les «navétanes» se poser en plus grand commun rassembleur.

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Arrive donc ce temps des effusions passionnelles. Les «mères» passent des tuyaux au «Comité khon». Les «pa» écourtent les journées au bureau pour passer voir les «gosses» au stade. Les vieilles gloires qui se dorent dans les grand-places du quartier ressortent les théories du WM (une sorte de 3-2-2-3 qui prévalait dans les années 1920 à 1950) ou du 4-2-4 de la grande Hongrie des Puskas et Koscis, pour refaire le match de  la veille et glisser quelques conseils à l’inter (poste qui a disparu dans les mutations systémiques) ou au «faux ailier» (devenu excentré).

«Pa Elastique», dont les exploits des années 1960 et 1970 dans les buts font encore hocher la tête à ses contemporains, sort parfois de sa torpeur pour clamer que «l’équipe ne peut gagner sans un bon gardien, et quelqu’un qui ne sait pas faire du basang (1) ne mérite pas de porter le maillot».

On aime les navétanes pour tout ce que ça génère comme vie de quartier, comme adjuvant social dans la recherche des osmoses collectives. Quelques neurones grésillent encore dans les cerveaux qui dérivent du deuxième vers le troisième âge, quand sonnent ces moments où le Bac avait été évacué, de même que la session de juin à l’Université. C’est le temps où l’horizon se dégageait sur les terrains vagues. On allait fiévreusement vers l’Ag de l’Asc en ayant un œil sur les «mao mao» et les «trotskards», sans oublier les tenants de la «Révolution nationale démocratique»… Et populaire si on veut. Ils venaient armés des «pensées» du «grand timonier», sourcés par le «Génie des Carpates» ou nourris de hodjaïsme.

Mais c’était aussi le temps de l’ancrage culturel – caada gi, comme on disait. Pas dans la négritude de Senghor, mais dans ce que professait Cheikh Anta Diop et qui faisait résister Sembène Ousmane.

La Section culturelle de l’Asc était un foyer ardent. On chantait Lamine Senghor, Alfousseyni Cissé (2), etc., on honnissait les conseillers techniques blancs du pouvoir (Bellamy, Chéramy…)  L’hagiographie «réactionnaire» ne le retient pas, mais le Sénégal avait failli «éclater» pour une histoire de «d». Fallait-il écrire «Ceddo» ou «Cedo» ? Ce fut tout un film. Pas besoin de dérouler le scénario. Ce n’est pas ce qui va empêcher Dakar de dormir…

Qu’importait le vainqueur de l’Ag. L’essentiel, par la suite, était moins dans la pensée révolutionnaire que dans la recherche des sous. Les soirées étaient faites d’intenses «porte-à-porte». On allait «taper» les portefeuilles des gens du quartier en ciblant les «gros bailleurs», afin de préparer le trésor de guerre. Pas difficile. On n’avait pas de primes à payer. D’ailleurs, les gosses du quartier auraient payé d’eux-mêmes pour descendre sur le terrain. Il suffisait de leur remplir la «boîte à pharmacie», assurer le déjeuner du regroupement, avoir de quoi louer un car rapide pour aller au terrain, et…

… Là nichait la nébuleuse. Quand arrivait l’histoire de la «deuxième force», la tension montait d’un cran. Question fondamentale : combien ? Mais surtout qui payer ? Ce lugubre personnage avec qui on a perdu deux finales ? Le plus simple, c’était de laisser au «Comité khon» gérer ses mystères. On l’attendra toujours au tournant de la victoire ou de la défaite.

Les décennies ont passé. Parfois, on a quitté le foyer originel pour migrer vers d’autres quartiers. Mais on traine toujours avec soi quelque chose de ce qu’on fut.

Intéressé, parfois soucieux de ce qu’est devenu l’héritage laissé derrière soi, on ressasse la nostalgie de ces périodes qui furent une école de la vie. Surtout quand on tombe sur un résultat ou que le nom d’une équipe vous interpelle.

La reconfiguration urbaine a changé les entités de base que sont les quartiers et fait disparaître certaines équipes ; d’autres ont également émergé. Mais on ne se perd pas dans ce Sénégal du navétane. La dynamique est porteuse de la même vie, animée des mêmes pulsions qui font de la collectivité de quartier une communauté de destin autour du ballon.

On ne se fera pas les anciens combattants d’une pureté originelle. On dira juste que si chaque époque fixe ses identités, l’esprit reste un fondement que seule la trahison de soi peut altérer.

Mais sur quelles normes bâtir le navétane quand tout se délite aujourd’hui et que la société trahit elle-même ses valeurs ?

Notes

1) Le gardien plongeait pour se saisir du ballon et rouler dans les jambes du joueur.

2) Un des premiers marxistes sénégalais et un des étudiants qui avaient été envoyés dans l’armée pour fait de grève. Il est mort en Casamance durant la guerre de libération de la Guinée-Bissau.

WaaSport

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