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Comme par hasard, Sadio, j’étais là, assis, sur un rocher, au bord  de cette plage de Mermoz, interdite à la baignade. Mais très fréquentée par certains de tes compatriotes qui fuient la pollution et le vacarme. Ils seront bientôt privés de ce “bonheur”, puisque les hôteliers et des intouchables fortunés, parfois nourris aux OGM des deniers publics, ont fini d’occuper presque tout l’espace, en obstruant la vue sur la mer.

Ces blocs de pierre rangés le long de la plage et ces tonnes de béton qui soutiennent ces maisons, les pieds dans l’eau, veulent couper à l’océan ses ailes de liberté. En arrêtant sa progression. De la prétention, Nantio, puisque l’essence de l’eau est de couler, de se déployer. Dans ses habits d’envahisseuse, elle arrachera à la terre ferme ses quartiers… La nature en a décidé ainsi, sous la dicté de l’Architecte de l’univers.

L’océan me rappelle ma finitude

Cet immense océan qui emprunte à l’infini et me rappelle ma finitude, a englouti mon regard perdu, accroché, en vain, à un horizon insaisissable. A l’image de ma pensée bohémienne, condamnée à l’errance et à exil intérieur, à force de questionner le monde.

Mais mon regard, prenant la juste mesure de l’étendue de l’océan, est parfois distrait par ces petits poissons qui éprouvent le plaisir à faire des bons hors de l’eau, avant de retomber au fond du liquide précieux. Ils jouent au plus malin…Bientôt, Sadio, ces petits êtres seront emportés par des rouleaux compresseurs de vagues charpentées d’écume.

Quelque chose d’innommable

Il y a quelque chose d’innommable que je voudrais partager avec toi, petit génie du ballon rond. Je ne parviens pas à m’expliquer cette sensation subite d’entendre, de la profondeur, puis de la surface de la mer, ces airs de Kora de Lalo Kéba Dramé, entonnant “kaabu Niantios Lé”.  Sadio, j’ai la chair de poule, mes veines se dilatent, mon visage est perlé de sueur. Je n’ai qu’une seule envie : prendre le glaive et … Tu vois ce que je veux dire. Je sais que tu ressens la même chose, parce que tu t’es abreuvé à la source des Niantios. “Sur les champs de bataille, leur réputation de cavaliers intrépides, courageux, vaillants et invincibles bravant constamment la mort, était reconnue et admirée de tous les Kaabunkés, au sein de l’aristocratie régnante comme au niveau des couches populaires”. (Mamadou Mané, historien, Le KAABU (XIIIe-XIXe siècle) Une des grandes entités historiques de l’espace mandingue de Sénégambie). Le sentiment d’invulnérabilité dope leur courage et leur témérité fait parler la poudre qui met le feu dans le camp ennemi.

Tu as raison d’avoir tort

Je vois le sourire au coin de tes lèvres, me balançant à la figure, cette objection polie, du genre : grand, ce temps est révolu ! Mais tu as raison d’avoir tort, puisque l’humanité se conserve parce que le présent est condamné à copier le passé pour servir un futur bientôt dépassé. Sadio, l’humanité, c’est finalement l’histoire du serpent qui se mord la queue.

Personne ne t’en voudra d’avoir choisi de troquer le glaive de tes ancêtres contre le cuir. Le Niantio que tu es, n’a fait que changer de champ de bataille. Comme les Seigneurs de guerre (Nantios), tu useras, sur le gazon,  de stratégie, de subterfuge, de ruse et de feinte exquise, pour se jouer de ton adversaire, avant de loger le ballon au fond des filets.Et tu arracheras ainsi à ton entraîneur, Jürgen Klopp, quelques cris de joie.

Je te sens plus…

Sadio, très franchement, je te sens plus sur le terrain. L’attaquant intrépide venu du Boudié, a fini de se retirer derrière le rideau du doute. Ton moral est au plus bas et le rendement a beaucoup perdu au change. Il se passe des choses dans ta tête, tu te culpabilises et reproches aux autres de t’avoir lâché, n’est-ce pas ?  Les réalités sociologiques de ton pays nous renseignent que ton peuple n’aime pas les vaincus,  ceux qui trébuchent ou tombent. Il adore les vainqueurs parce qu’ils nourrissent ses fantasmes. La dernière coupe du monde a coupé le cordon ombilical avec certains qui pensent que tu as refusé d’incarner le messie  qui leur fera oublier la grisaille de la vie quotidienne. Au même moment, ton coéquipier, Salah, qui avait entamé sa descente aux enfers, depuis sa  blessure causée par un Ramos saï-saï, a été tenu par la main ; son peuple l’a aidé à se relever.

Le temps est venu de briser les chaînes. Oublies ces pensées noires, personne ne t’a rien fait, et tu n’as rien fait à personne…

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