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5 ans ! C’est l’âge du professionnalisme lancé en 2009 au Sénégal. Et ce n’est peut-être pas encore l’âge adulte, mais c’est quand même un temps requis pour se métamorphoser. Quelle mutation les clubs ont-ils connue ? Ont-ils réellement changé de statut ? Sont-ils réellement entrés dans le professionnalisme ? C’est, en somme, l’objet d’une série d’enquêtes que nous entendons mener sur le terrain. Et c’est dans ce cadre que nous avons fait une descente sur le terrain, pour faire l’état des lieux.
Aujourd’hui, nous faisons une incursion en milieu … universitaire, chez le Duc dont l’équipe de football est loin d’être aussi bien lotie que ses « sœurs » du basket.

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DAKAR UNIVERSITE CLUB : Toujours loin du compte !
Rien que pour l’image dégagée par l’équipe de basket, on aurait pu croire que le Dakar université club est un paradis du ballon rond dont rêverait n’importe quel footballeur. Mais, entre le football et le basket, il y a tout un gouffre. Autant le basket rayonne et se présente comme la formation la plus balèze (financièrement et sportivement), autant l’équipe de football traverse une crise (financière et sportive) qui limitent les ambitions du club. En cinq ans de professionnalisme, le club donne l’impression de marcher à reculons.

Au début de l’histoire, le Dakar université club se sentait bien dans un monde qu’il considérait déjà comme le sien. Comme dans la plupart des clubs d’entreprise, les pensionnaires du club estudiantin ne cachent jamais leur fierté, à chaque fois que l’occasion se présente, d’avoir toujours appartenu à une classe qu’on qualifierait de privilégiés du système. Le professionnalisme, qu’ils considèrent d’abord comme un état d’esprit, ils l’ont « vécu bien avant » d’autres. Son entrée en vigueur au Sénégal, il y a cinq ans maintenant, n’était donc qu’une sorte de transition, du moins théoriquement. « Le professionnalisme, c’est d’abord dans la tête, et ici, on a toujours vécu cela. Car même si les moyens étaient limités, on a toujours eu l’essentiel pour se sentir bien », avance le capitaine de l’équipe, Mansour Badji, l’un des rares à avoir fait toutes ses classes au club. En fait, la nouvelle génération de joueurs se fond dans une croyance populaire qui a longtemps placé le Duc au-dessus de beaucoup de formations dans une ère amateur maintenant révolue.

De l’espoir à la désillusion
De fait, l’arrivée du professionnalisme devait seulement offrir l’occasion à la formation universitaire de parfaire son image. Mais, on est encore loin du compte. Pour autant, le staff technique se contente déjà du peu, en attendant de bien meilleures conditions. « On ne se plaint pas trop. On s’est toujours contenté de ce qu’on a, on essaie d’exister comme les autres clubs. Les autorités de l’Université n’ont jamais ménagé aucun effort pour nous mettre dans des conditions de performance », l’entraîneur du club dixit. Abdou Karim Mané ne pouvait s’attendre à meilleur climat vu la précarité dans laquelle vivaient les formations sénégalaises avant le basculement vers le professionnalisme. Une nouvelle ère que les Etudiants, à l’image de leurs collègues des autres équipes sénégalaises, ont accueillie avec autant de soulagement que d’espoir. « On croyait que les choses allaient changer, que les conditions des joueurs allaient être meilleures. J’avais vraiment pensé que le professionnalisme nous sortirait de la misère qu’a toujours engendrée l’amateurisme », espérait Papis Dembo Coly. Et l’attaquant n’est pas le seul à avoir fantasmé pour ce système naissant qui façonne le plan de carrière de toute une génération en quête d’un avenir doré. Tous espéraient voir en ce professionnalisme un nouvel élan dans leur vie de footballeur. Opportunité d’une grande carrière internationale, conditions de vie meilleures, traitement salarial digne du rêve de gamin qui a engagé des milliers de jeunes dans ce sport etc., les raisons de croire au changement étaient énormes chez les acteurs. L’enthousiasme était tel qu’on se mettait, dès les premières heures, dans la peau des expatriés qui roulent sur des millions et forcent le respect de tous. « Je croyais qu’il y aurait, au moins, de gros changements, que les conditions salariales allaient s’améliorer, qu’on aurait, au moins, quelque chose comme 300.000 ou 400.000 FCfa de salaire par mois. Pour moi, le professionnalisme devait permettre aux joueurs de gagner plus d’argent, même si on n’est pas au même niveau que ceux qui jouent en Europe, au moins qu’on ait un salaire décent, une voiture, pourquoi pas ? », se demandait le capitaine des Etudiants, Mansour Badji. Il y a cinq ans, voilà donc à quoi ressemblait le monde imaginaire des footballeurs du Dakar université club. Déjà une éternité pour Mansour Badji et Papis Dembo Coly, aujourd’hui pris au piège d’un espoir qui tarde à arriver. Perdus dans une fiction inqualifiable, leur imagination se heurte aux dures réalités du système qui est encore loin de leurs espérances. Cinq ans et déjà le scepticisme règne en maître dans le groupe où s’étouffe l’espoir d’un avenir radieux. Et c’est avec beaucoup d’incertitude et le sentiment d’être berné par cette nouvelle formule que les joueurs du Duc appréhendent le futur. Pour cause, fait remarquer Mansour Badji, « quand on voit une équipe venir au stade en car rapide, des joueurs qui n’ont même pas de moyens de transport, obligés de se bousculer dans les cars pour venir aux entraînements, ce n’est pas ce que j’attendais du professionnalisme. Nous nous interrogeons aujourd’hui sur notre avenir et rien n’est rassurant ». Dans le même registre, le constat de Papis Dembo Coly est sans appel : « Les gens disent certes qu’on a fait un pas vers le professionnalisme, pour moi, on est encore loin des attentes. Parce que le professionnalisme qui se pratique dans les autres pays est très différent de celui qu’on vit au Sénégal : il n’y a pas les infrastructures ni les moyens pour faire une comparaison », constate l’attaquant.
Le président du club, pour sa part, jette un regard mitigé sur l’évolution des choses, notamment sur le plan administratif. Pour Youssou Camara, « il y a des avancées, mais sur le plan du management, il y a énormément de manquements. Le Conseil d’administration qui est censé gérer ne gère pas. Ce sont les Asc qui sont restées avec les mêmes habitudes, le même mode de gestion. A ce niveau, il faut reconnaître qu’il y a eu échec », réprouve le patron du club.

Encore du chemin malgré les avancées
Au Duc, on ne fait d’ailleurs pas dans la fine bouche, le club est encore loin du compte et personne n’essaie de camoufler le mal qui traumatise l’équipe de football qui croule sous le poids d’un manque de moyen inquiétant. « Qui dit football de haut niveau dit moyens et logistiques. On se doit d’être au top sur le plan financier, didactique et des ressources humaines et tout ce que cela comporte en matière de gestion, ce qui n’est totalement pas le cas chez nous. Mais, on essaie de s’adapter au contexte, c’est-à-dire vivre selon les moyens dont on dispose et aller de l’avant, à pas de canard.
Mais, nous vivons ce professionnalisme avec beaucoup d’anxiété parce que ça ne dit pas réellement son nom », regrette Abdou Karim Mané dont la survie de l’équipe dépend en partie des « sacrifices » de ses dirigeants. En effet, selon le président, le club qui doit faire face à une masse salariale mensuelle d’environ 3 millions de FCfa ne compte que « sur les recettes des matches qui ne sont pas énormes ; le reste, il m’appartient, en tant que président, de chercher avec mes contacts. Nous ne sommes pas des mécènes, mais nous contribuons largement au fonctionnement du club ». Une méthode pas tout à fait rassurante vu les sources de revenus trop limitées pour faire face à un budget annuel qui tourne autour de 30 à 40 millions de FCfa. En effet, « nous faisons la politique de nos moyens, ça c’est une règle. Ceux qui rentrent chez nous le savent au départ, nous ne faisons que ce que nous pouvons faire. Nous n’allons pas proposer des salaires qui ne sont pas soutenables, ni par l’institution ni par nous. Donc, celui qui veut rentre dans les rangs, sinon il est libre d’aller voir ailleurs », fait savoir le président.
Pourtant, en dépit du constat alarmant et du scepticisme, les joueurs se trouvent des raisons d’y croire. Car, malgré la lente évolution dans la mise en place d’un système fort, tous voient un signe encourageant dans l’amélioration des conditions de vie dans le club. « Les conditions du club ont un peu évolué, mais on pouvait avoir mieux.
Nous commençons à avoir petit à petit ce qui nous manquait à l’ère amateur ; nous n’avons plus de problèmes de matériels ni de salaires. Le début du professionnalisme est certes très difficile, mais j’ai espoir que si les gens redoublent d’efforts, nos jeunes frères auront plus de chance que nous et pourront bénéficier des acquis du professionnalisme », espère Mansour Badji. « Je pense que nous sommes sur le bon chemin. Au rythme où évoluent les choses, on peut espérer y parvenir dans quelques années, c’est tout ce qu’on souhaite », ajoute Papis Dembo Coly. Pour l’entraîneur, l’optimisme se justifie par le fait qu’« il y a des améliorations notamment dans la prise en charge des joueurs qui sont dans des conditions minimum de performances. Ils sont régulièrement payés et ceux qui n’ont pas où loger le sont ici au campus, du côté de la restauration aussi le problème ne se pose pas parce qu’il y a les restaurants qui fonctionnent. Certains clubs ne paient pas leurs joueurs, ce n’est pas le cas chez nous depuis que le professionnalisme est instauré », se satisfait Abdou Karim Mané.

Les subventions du Coud et du Rectorat, un trompe-l’œil 
Pour faire face aux charges du club dont le budget tourne autour de 80 millions de FCfa, les dirigeants du club doivent se débrouiller. Absence de sponsor, sources de revenues limitées, des subventions insignifiantes, le Dakar université club vivote dans le professionnalisme que ses dirigeants vivent avec beaucoup de scepticisme.
« Nous voulons qu’il y ait plus de moyens pour nous permettre de réaliser nos objectifs, c’est-à-dire créer un club de type nouveau, capable de rivaliser avec les plus grands clubs d’Afrique à l’image du Tp Mazembe, de l’Asec d’Abidjan, entre autres ». En tenant ces propos, l’entraîneur de l’équipe Abdou Karim Mané sait, sans nul doute, que ce n’est pas demain la veille. Il faudra encore attendre plusieurs décennies pour voir le club estudiantin marcher sur les traces des géants du football continental. Ni le niveau encore moins le poids financier du club ne permet d’espérer un avenir aussi illuminé dans un futur proche. Car, à l’image du paysage sportif sénégalais, le Dakar université club ne présente aucune politique sportive à même de lui permettre d’assainir ses finances et de se donner une indépendance pour gérer ses compétitions. Aucun sponsor, aucune source de revenu fiable, en dépit de son statut de club d’entreprise, la formation universitaire n’est pas loin du gouffre. Pour survivre, elle dépend surtout de l’entregent de ses dirigeants, le seul moyen de s’assurer des conditions d’existence décentes.   En effet, le club qui doit faire face à un budget d’environ 80 millions de FCfa, ne compte aujourd’hui, en partie, que sur les bonnes volontés. Les recettes des matches ne pouvant à elles seules combler le gap laissé par la faiblesse des subventions reçues chaque année de la Direction du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud), le Rectorat de l’Université ayant coupé le robinet, les choses se compliquent chaque année. « Nous n’avons rien reçu du Rectorat depuis cinq ans. Ce n’est que le Coud qui participe et la participation ne couvre qu’une partie de nos dépenses. C’est une subvention de 3 millions de FCfa allouée au club et des postes de temporaires donnés directement aux joueurs et qui tournent autour de 70.000 FCfa par poste. Si vous pensez que ces montants règlent les problèmes du club, on est loin des chiffres », déplore le président Youssou Camara.   Les subventions du Coud ne sont donc qu’un trompe-l’œil. Elles ne couvrent en fait qu’une partie des charges, notamment les salaires des joueurs.  « La masse salariale est réglée par le Coud à près de 80%, mais pour ce qui est du reste, notamment le salaire de certains joueurs, celui des techniciens, le fonctionnement quotidien, les regroupements, le médical, le transport parce que le Coud ne donne plus de transport, c’est nous qui le réglons », révèle le patron du club. Youssou Camara et ses ouailles ne peuvent dès lors compter que sur leur carnet d’adresses pour chercher des moyens additionnels, quitte à sacrifier les petites catégories. « Nous avons engagé nos responsabilités parce qu’il nous appartient de régler ce gap. Mais, tout n’est pas réglé, les problèmes sont là. Les primes ne sont pas payées, les salaires des techniciens cadets, juniors et séniors ne sont pas encore payés », dévoile le président. Ce qui, selon lui, « ne peut prospérer. Si on continue comme ça, on risque de disparaître », prévient Youssou Camara.

 

Lesoleil

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