Joseph Antoine Bell s’ouvre une nouvelle fois à Stades. Comme à l’accoutumée, l’ancien international camerounais jette un regard sans complaisance sur le football sénégalais. Bell parle du coaching d’Aliou Cissé mais également des Lions qui vont bientôt s’engager dans les éliminatoires du Mondial 2018.
Le Sénégal a survolé les éliminatoires de la CAN-2017, pensez-vous qu’il peut rééditer ce parcours pour la qualification au Mondial 2018 ?
Ce n’est pas comme ça qu’il faut parler. Tout en applaudissant ce que Aliou Cissé et ses garçons ont fait, je pense que lui-même ne serait pas d’accord d’entendre qu’il a survolé les éliminatoires de la CAN-2017. Si on commence à parler comme ça, on se prépare aux lendemains un peu plus difficiles. Je suis sûr qu’Aliou, après tous ses matchs, ne s’est pas pris pour supérieur à ses adversaires. C’est pour cela qu’il a pu les battre. Au départ d’une nouvelle campagne, il ne va jamais dire qu’il va survoler sa poule. Il va prendre tous les matchs les uns après les autres. Mais surtout il va les prendre très au sérieux. Ce n’est qu’en essayant de les gagner tous qu’il pourra arriver éventuellement à se qualifier. En sachant que son objectif ce n’est pas de les gagner tous, son objectif reste la qualification parce que si jamais on se dit qu’on veut les gagner tous et si on est accroché une fois ça veut dire qu’on a déjà perdu son objectif et ça pourrait démobiliser sa troupe.
Quelle attitude ou stratégie lui conseillez-vous d’adopter au moment d’aborder ces éliminatoires pour le Mondial ?
Je n’ai pas de conseil particulier à donner à Aliou Cissé. Par contre, je lui fais l’amitié de lui faire confiance. Je lui conseillerais de ne pas s’attendre a survoler la poule mais de s’attendre à ce que l’équipe du Sénégal soit au meilleur d’elle-même. Là, si ça lui permet d’être premier, c’est bien. Si ça lui permet de survoler la poule ce sera simplement bien. N’oublions pas quelque chose: c’est ce manque de rigueur qui nous a conduits à ce que nous sommes. Personnellement, je ne me serais pas vu moins bon que le reste du monde. Or, quand les Africains se croisent entre eux-mêmes, ils oublient que leurs voisins ne sont pas forcément des concurrents au niveau mondial. Et donc battre éventuellement l’Afrique du Sud, le Cap Vert ou le Burkina Faso ne représente rien à l’échelle du monde. Mais pour le Sénégal cela doit avoir une signification particulière.
Qu’est-ce qui sera déterminant face au Cap-Vert que le Sénégal croise samedi pour le compte de la 1ère journée de ces éliminatoires ?
Il ne faut pas aller chercher ailleurs. Le Sénégal doit faire ce qu’il avait l’habitude de faire pour gagner. Après avoir remporté six matchs (dans les éliminatoires de la CAN 2017, ndlr), l’objectif d’Aliou Cissé doit être amélioré. Il a la capacité de se qualifier. Donc, il doit commencer à voir plus haut. Pour aller à la Coupe du monde, il va falloir de la qualité et Aliou doit intégrer dans son équipe la qualité de son jeu.
Êtes-vous d’avis, comme la plupart des observateurs, que le jeu du Sénégal est peu convaincant malgré les victoires ?
Si je devais juger aux résultats, je dis que quand on gagne six matchs d’affilée, on ne peut pas ne pas avoir convaincu au bout du sixième. À mon avis, ce serait très surprenant qu’on gagne sans convaincre au sixième match. Maintenant si les Sénégalais le disent, je me dis qu’après avoir gagné six matchs sans convaincre, il reste désormais à Aliou Cissé à bâtir une équipe qui va convaincre. Il vaut mieux travailler pour convaincre avec six victoires dans son escarcelle que le contraire. Et donc, je me dis qu’il devrait pouvoir y arriver. S’il a gagné six matchs sans la manière, aujourd’hui il doit lui être plus facile de construire avec la manière avec autant de victoires.
Pourtant de l’avis général l’équipe du Sénégal regorge de bons footballeurs…
Le Sénégal a de la chance d’avoir de bons joueurs depuis toujours. Cela ne date pas d’aujourd’hui. La dernière fois que je suis venu à Dakar, j’ai déjeuné avec Aliou Cissé, on avait beaucoup parlé. Aujourd’hui qu’il est à la tête de l’équipe nationale du Sénégal, évidemment à la prochaine petite occasion, on se verra et on parlera encore. Mais je crois qu’il faut connaître l’histoire d’une équipe. Ça permet de mieux travailler. Je me rappelle, l’ancienne époque où il y avait les Boubacar Sarr, Oumar Guèye Sène, Sagna (Christophe), Jules Bocandé qui étaient de très bons joueurs dans le championnat de France, le Sénégal avait du mal à mettre en place une équipe nationale performante. Si aujourd’hui, après que le Sénégal y est parvenu de manière très éphémère en 2002 notamment, par la suite si ça revient avec la génération des Sadio Mané, Gana Guèye ou encore Kouyaté, je crois qu’Aliou doit bien réaliser que sa mission est qu’avec de très bons joueurs du Sénégal il ne peut que mettre en place une très bonne équipe nationale. Sa tâche doit être exaltante mais pas insurmontable.
Qu’est-ce qui explique que depuis 2006, le Sénégal a du mal à franchir le cap du premier tour lors des phases finales de CAN ?
J’ai tellement bien suivi cette équipe que je me suis fait beaucoup d’ennemis au Sénégal (éclats de rires) avant éventuellement de me faire beaucoup d’amis. Il y a un amour particulier entre le Sénégal et moi. Je me suis fait beaucoup d’amis du temps où j’étais joueur notamment quand j’étais capitaine de l’Olympique de Marseille. Je me suis par la suite fait beaucoup d’ennemis parce que je disais les choses avant tout le monde sur le Sénégal. Des choses qu’on a comprises beaucoup plus tard. Et maintenant, je pense que je dois être honnêtement réconcilié avec les Sénégalais. Ce qui se passe avec le Sénégal se passe ailleurs. C’est-à-dire, nous sommes à l’affût du moindre signe pour dire que nous sommes les meilleurs. On est chauvin et ce chauvinisme va à l’égocentrisme un peu. On veut vite et malheureusement, je ne vais pas m’excuser, que ce soit au Sénégal ou ailleurs, on a tendance à proclamer les choses sans pouvoir les réaliser. C’est cette escroquerie qui nous vient de l’étranger. Ce qui fait qu’on nous donne gratuitement ce que nous n’avons pas gagné. On nous proclame développé, on nous réclame démocratique dès qu’on a réussi une partie des élections. En réalité, c’est l’Occident qui nous a enseigné la dictature.
Vous semblez insinuer que le Sénégal se voit trop beau alors qu’il n’a rien gagné…
Il faut que le Sénégal arrête de s’exalter des victoires qu’il n’a pas encore acquises sur le terrain. Et cela s’applique au continent dans son ensemble. Je vous donne l’exemple de la Coupe du monde 2010. Quand elle venait en Afrique, on a proclamé qu’un pays africain devait la gagner. Et toute l’Afrique s’est mise derrière comme si elle pouvait gagner la Coupe du monde par déclaration. Dès qu’on a un ou deux joueurs, on nous fait croire au Père Noël. A partir de la, on croit qu’on est les meilleurs au monde. Nous ne nous apercevons jamais des réalités. En son temps, tout le monde a dit que l’Afrique a progressé parce qu’elle avait en son sein Drogba, Eto’o et Essien. Nous-mêmes Africains, nous ne voyons pas l’aberration de ces déclarations occidentales. Aujourd’hui, c’est le cas avec le Sénégal qui regorge de bons footballeurs. Il a en son sein un certain Sadio Mané sur qui tout le continent africain doit compter, mais pour y arriver, il faut que ce Sénégal la travaille durement.
Comment le Sénégal doit-il procéder pour retrouver son lustre d’antan ?
Une équipe se construit dans le temps et je pense qu’Aliou doit s’y atteler avec l’aide des Sénégalais qui doivent arrêter de le mettre au sommet avant qu’il n’y arrive. Maintenant, accorder ce temps ne doit pas désespérément impliquer de la complaisance. Moi, je ne réclame pas pour Aliou de la complaisance. Il doit et peut être critiqué sur des choix et sur la manière sans qu’on ne détruise tout. Il faudrait que ceux qui le critiquent le fassent sur des bases objectives et que lui et ses joueurs de l’autre côté acceptent la critique et travaillent à corriger ce qui est critique pour démontrer que la critique s’est trompée. Mais qu’on ne devienne pas des ennemis parce que les uns ont critiqué.