Les mots sortis à la fin de Sénégal-Côte d’Ivoire sont édifiants. Pour sanctifier les «Lions» et les remercier pour la dose de béatitude nationale qu’ils ont inoculée dans les cœurs, en ces temps de marasme et de déprime, il est question d’honneur, de fierté et de courage. Le triptyque ferait beau comme devise sous un drapeau national.
Devant la plénitude du match de Casablanca, ce qui est ainsi salué tient autant au talent qu’à l’engagement. Le premier ayant été au service du second pour quatre-vingt-dix minutes d’une symbiose féconde.
Le contexte, la charge négative attachée à l’équipe nationale ces derniers temps et le défi sportif lié à une participation au Mondial suffisaient de levain pour impulser un tel haut-le-cœur.
Mais ces dimensions ne sont pas une donnée nouvelle. Que n’a-t-on pas dit aux «Lions» pour éprouver leur courage, exorciser leurs doutes, décupler leur motivation ? Et si le désespoir était si grand devant leur déchéance, c’est que rien ne semblait suffisant pour les pousser à se sentir concernés, impliqués, déterminés et conquérants.
Dans la transformation fondamentale qui s’est fait jour samedi à Casablanca, il y a donc des éléments de ruptures à prendre en considération.
A voir cette équipe prendre autant son destin en main, chercher dans ses ratés le courage de revenir encore et ne point désarmer devant les difficultés, la mutation ne tient pas du superficiel. Bâtir une équipe, c’est capitaliser les acquis. Et pour réussir, il faut savoir inscrire la compétitivité dans la durée. Réfléchir à fond sur ce qui s’est passé samedi peut aider à baliser le futur.
Face à la Côte d’Ivoire, la véritable rupture était dans le profil de l’équipe nationale. A considérer le onze de départ de Giresse, on se rend compte qu’en dehors de Lamine et de Salif Sané, tous les autres joueurs alignés au coup d’envoi sont issus du football local. Le haut niveau européen les a portés à leur dimension actuelle, mais leur ancrage émotionnel par rapport aux défis qui les interpellent avec l’équipe nationale demeure fortement endogène.
Le débat ainsi posé ne tend pas vers l’exclusion. Les binationaux restent une réalité centrale à capitaliser dans l’édification de l’équipe nationale. Mais il faut travailler à dégager les identités qui peuvent s’avérer remarquables dans la «Tanière». On ne peut continuer à succomber au mirage des performances qui se réalisent dans des contextes différents, dans des cadres où, avec 50 % de ses capacités, il est possible de rayonner parce que le collectif est fait pour que les faiblesses soient compensées à travers des automatismes bien maîtrisés.
Le haut niveau africain a des réalités différentes de ce qui s’exprime ailleurs, notamment en Europe. Il s’agit d’une adversité qui dépasse le derby du dimanche, entre France et Navarre. En Afrique, le projet qui fonde la compétition n’est pas seulement sportif. Il se double de valeurs qui forgent les identités nationales. Si le football repose sur des paramètres techniques, son expression totale et entière reste nourrie par des réalités sociales (pour ne pas dire plus).
Une réflexion est nécessaire sur le processus d’émergence de l’international sénégalais de haut niveau. Depuis que feu Bruno Metsu s’est appuyé à fond sur les binationaux pour impulser le virage de 2002, la démarche est devenue systématique. Elle tend même vers une solution de facilité qui consiste à rechercher des «All stars», en dehors de toute logique d’équilibre.
Le recours à des «sorciers blancs» ne doit pas conduire à dépendre de grilles d’analyses formatées comme du prêt-à-porter. Le match de Casablanca a été un révélateur des errements subis depuis une dizaine d’années. A ce jour, on ne compte plus les binationaux laissés au bord de la route comme des pneus crevés et qui sont allés remplir le cimetière des illusions perdues.
Si la responsabilité des choix incombe au sélectionneur national, il appartient aux techniciens investis de cette mission de fixer les directions stratégiques à suivre, de favoriser ce qui donne une âme au football sénégalais et faire de sorte que la chaîne d’évolution qui se dessine vers le haut niveau ne soit pas court-circuitée dans les dernières étapes, pour conduire vers des voies d’errance non maîtrisées.
La formule heureuse que Giresse a mis sept matches à trouver aurait pu sortir de manière plus précoce, si un cadre cohérent servait de trame, pour faire de l’équipe nationale l’aboutissement d’un processus bien maîtrisé. On ne peut réussir un projet sans définir les valeurs techniques, mentales, etc., qui s’y collent et l’expriment au mieux. C’est un des chantiers à investir.
Waasport